Relations formation-emploi : les conséquences insoupçonnées du processus de Bologne en Allemagne

De notre correspondante en Allemagne, Marie Luginsland Publié le
Le processus de Bologne a été un puissant facteur de changement au sein des universités européennes. Initié par la déclaration de la Sorbonne en mai 1998,il a été utilisé par les gouvernements européens comme un levier pour conduire des réformes universitaires aux enjeux avant tout nationaux. Chaque pays a son propre rythme et des champs différents : offre de formation, accès à l’enseignement supérieur, financement... En Allemagne par exemple, il s’est notamment traduit par une réflexion sur la structure des diplômes et la transition université-emploi. L’introduction des filières bachelors a contribué à diminuer la durée des études, mais n’a toujours pas répondu aux attentes des recruteurs.

Les « bachelors » allemands ont raccourci la durée des études... Le processus de Bologne a notamment eu pour conséquence, outre-Rhin, de propulser plus vite
les étudiants dans la vie active, pourtant réputés prendre leur temps.  L’introduction des filières bachelors (trois années d’études, contre quatre auparavant en théorie) a en effet contribué à réduire la durée des études. Alors que pour les cursus traditionnels les étudiants allemands dépassent en moyenne le temps imparti de plus de trois semestres, les détenteurs d’un bachelor n’excèdent – selon une étude de la HRK (Hochschulrektorenkonferenz, conférence des présidents d’université) – la durée normale que d’un semestre (au total 6,9 semestres, contre 6,3 en règle générale). Seul hic à la réforme, leur niveau ne satisfait pas encore pleinement leurs futurs employeurs.


... mais peinent encore à convaincre les recruteurs. Selon la troisième enquête effectuée par le CHE (Centrum für Hochschulentwicklung, centre de recherche
sur l’enseignement supérieur) depuis l’introduction du processus de Bologne en coopération avec les DRH de quarante-trois entreprises allemandes, les universités allemandes ne préparent pas suffisamment leurs bachelors à la vie professionnelle. Cette analyse, qui porte sur les capacités à s’adapter à un contexte professionnel et sur les compétences méthodologiques, fait apparaître d’importantes lacunes chez les diplômés d’université. Il en est tout autrement des bachelors issus des Fachhochschulen (équivalents des IUT) qui font état de davantage de connaissances du terrain. Sur les trente et un établissements d’enseignement supérieur dans les disciplines économiques et techniques sélectionnés parmi les 550 ciblés par l’étude, seuls deux relèvent de l’université.
Il s’agit de la faculté de construction mécanique deSiegen et de celle d’informatique économique à Münster. Des facultés très renommées comme celle de Tübingen ou encore la RWTH d’Aix-la-Chapelle se retrouvent en revanche en queue de peloton. « Les universités traditionnelles se cantonnent encore trop souvent à l’enseignement de compétences théoriques, seules quelques-unes ont su développer des projets spécifiques aux filières bachelors et exigent de leurs étudiants des activités personnelles », constate Gero Feder keil, auteur de l’étude du CHE.


Les PME-PMI désarçonnées. Les résultats du CHE rejoignent ceux de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie, qui signale qu’un tiers des entreprises restent très « critiques » sur le niveau des bachelors. Si les grands groupes industriels connaissent le niveau par le biais de leurs filiales étrangères,
les PME-PMI habituées jusqu’alors à recruter des équivalents bac + 4 ont quelques difficultés à s’adapter. « Si ces entreprises souhaitent embaucher en recherche et développement, il faut qu’elles visent les masters », déclare, lapidaire, Margret Wintermantel, présidente de la HRK. Les universités de leur côté imputent ces lacunes à la réduction de la durée des études qui rend plus difficiles les stages à l’étranger par exemple et comprime l’enseignement théorique. D’ailleurs, comme le remarquent certains professeurs, le but de la filière bachelor est davantage de préparer les étudiants au master qu’à la vie professionnelle...

La déclaration de la Sorbonne, il y a dix ans
Il faut reconnaître à Claude Allègre sa force visionnaire. Lorsqu’il prépare en 1998, avec quelques conseillers de son cabinet, le colloque de la Sorbonne, rien ne laissait présager qu’il donnerait naissance au processus de Bologne. Un mouvement sur lequel allaient s’appuyer un certain nombre de gouvernements européens pour réformer leur enseignement supérieur. En mai 1998, quatre ministres en charge de l’enseignement supérieur – allemand, britannique, français et italien – signent la déclaration de la Sorbonne. Elle appelle à la création d’un espace européen de l’enseignement supérieur, en améliorant la cohérence et l’harmonisation par la convergence des systèmes existants. Chaque signataire s’était engagé avec ses motivations propres. Les ministres allemand et italien y ont vu le moyen d’approfondir et d’accélérer les réformes internes en cours ; Claude Allègre, un levier pour faciliter des changements au sein des universités (c’est l’époque du 3-5-8 d’Attali) ; la ministre britannique, la preuve de la bonne volonté de son gouvernement sans engagement spécifique. Dans un premier temps, la réaction du reste de l’Europe est dominée par l’indifférence. Mais, en juin 1999, vingt-cinq nouveaux signataires s’impliquent dans la conférence de Bologne. Le processus est lancé. Ce sera ensuite au tour de la Commission européenne de se saisir du mouvement afin d’y faire progresser ses propres objectifs dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.

MF

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