Thierry Reygades (secrétaire national du SNES-FSU) : "L’idée est de créer un bac technologique industriel unique"

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Thierry Reygades (secrétaire national du SNES-FSU) : "L’idée est de créer un bac technologique industriel unique"
Thierry Reygades // © 
Treize organisations demandent la non-application de la réforme de la première technologique prévue pour la rentrée 2011. Elles redoutent une réforme motivée par une logique d’économies et qui fait disparaître la spécificité de la voie technologique par rapport aux voies professionnelle et générale. Interview de Thierry Reygades, secrétaire national du SNES-FSU, l'une des organisations contestataires.

Le SNES était favorable à une réforme de la voie technologique. Pourquoi n’adhère-t-il pas à celle qui est en cours ?

Nous l’étions et le sommes toujours. La voie technologique n’avait pas été rénovée depuis longtemps et était de moins en moins attractive. Et puis les technologies évoluent. Le problème, c’est qu’avec la définition des programmes de première et de terminale menant aux bacs technologiques industriels STI2D [sciences et technologies de l'industrie et du développement durable], ex-bacs STI [sciences et technologies industrielles], on a vu se préciser l’abandon de ce qui faisait la spécificité de la voie technologique. L’idée est de créer un bac technologique industriel unique en abandonnant les spécificités pédagogiques qui permettaient de travailler sur un champ précis, alors qu’il fallait revoir la structure et les contenus de programmes en définissant des champs pertinents et attractifs pour les jeunes. C’est ce qui a été fait pour la série STD2A [sciences et technologies du design et des arts appliqués], devenue une série spécifique sortie des STI. Dans cette série, des enseignements généraux ont été définis en résonance avec les enseignements technologiques. Les programmes de ce bac couvrent l’ensemble des problématiques pédagogiques spécifiques aux arts appliqués. L’enseignement passe par la mise en activité et en production des élèves. C’est ce modèle-là qu’il aurait fallu appliquer à toutes les séries technologiques industrielles. Malheureusement, les enseignants n’ont pas été écoutés et les représentants du patronat non plus. La spécialité génie civil, par exemple, qui correspondait aux besoins de recrutement sur les chantiers, est transformée en architecture et construction. Dans cette dernière spécialité, on va, par exemple, enseigner l’informatique comme on le ferait en électronique et informatique, en travaillant le système pour lui-même et pas dans son application. Cela n’a aucun sens.

Selon vous, comment aurait-il fallu s’y prendre ?

En déclinant les séries par champ spécifique, en analysant l’ensemble du cycle du produit, puis en construisant les parties communes aux enseignements de spécialité définis. L’idée du tronc commun dans les enseignements technologiques consiste à se dire qu’il y a des méthodes d’analyse et de résolution de problèmes communes à l’ensemble des champs technologiques. C’est ce qui est développé en sciences de l’ingénieur, par exemple. Mais ce n’est pas ce qui a été prévu par le ministère de l’Éducation nationale. Il a extrait des disciplines purement technologiques pour les intégrer dans le tronc commun des bacs. Cet enseignement commun a été défini a priori et représente la moitié des enseignements technologiques de ces séries. Depuis le début, ce projet de tronc commun a pour objectif de regrouper un maximum d’élèves pour faire des économies. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun syndicat d’enseignants pour soutenir la réforme de la voie technologique en cours et les branches professionnelles du bâtiment sont également très critiques. De plus en plus d’acteurs sont opposés à cette réforme, y compris les lycéens de la FIDL [Fédération indépendante et démocratique lycéenne] et de l’UNL [Union nationale lycéenne], qui se mobilisent en ce moment contre les suppressions de postes et le démantèlement de la voie technologique.

Ne pensez-vous pas que le tronc commun permettra d’élargir les possibilités de poursuite d’études après un bac STI2D, comme l’affirme le ministère de l’Éducation nationale ?

Actuellement, les bacheliers de la voie technologique poursuivent à 90 % leurs études postbac, grâce à leurs compétences et leurs connaissances. Effectivement, l’objectif affiché du ministère de l’Éducation nationale est d’élaborer des formations plus générales pour former davantage d’ingénieurs. Mais les programmes ne traitent plus de production et de recyclage, ce qui aura pour conséquence que les ingénieurs auront une vision déformée du système économique. Des ingénieurs qui ne sauront plus de quoi ils parlent parce qu’ils ne sauront plus comment sont produits les systèmes. À titre d’exemple, on abordera l’écoconception sous l’angle de la conception et du prototypage. C’est complètement absurde de parler développement durable si on n’étudie pas la production et le recyclage. On ne peut pas faire d’écoconception si on n’a aucune idée de la manière dont sont produits les systèmes. C’est aussi absurde de dire que l’on ne va plus rien produire en France dans ce domaine, alors que tout le monde affirme qu’il faut réactiver un système de production, parce que c’est l’une des manières de se protéger des crises économiques. C’est une vision tronquée à la fois de l’économie du pays et de la pédagogie spécifique à la voie technologique. Les élèves évolueront dans des classes plus chargées et feront de la technologie virtuelle sur ordinateur. On les mettra en situation de regarder comment fonctionne un système au lieu de leur apprendre à le concevoir et le produire. Inutile de préciser qu’on peut avoir de plus gros effectifs dans une classe qui regarde que dans une classe qui fait !

Comment prévoit-on de former les enseignants de la voie technologique à la mise en œuvre des nouveaux programmes ?

Les collègues intervenant en classe de première à la rentrée 2011 doivent effectivement être formés. Cela se passe différemment selon les académies, mais une soixantaine d’heures de formation au tronc commun est prévue pour les professeurs de STI toutes disciplines confondues. Par ailleurs, des formations de trois jours en chimie sont dispensées pour les professeurs de physique appliquée, lesquels sont titulaires d’un CAPES spécifique en physique appliquée et vont devoir délivrer un enseignement général de physique-chimie. Entre parenthèses, la physique-chimie va se substituer à la physique appliquée, alors même que cet enseignement était construit en cohérence avec les enseignements technologiques. Pour prendre un autre exemple, les enseignants en mécanique, électronique et électrotechnique d’un lycée parisien s’apprêtent à recevoir trois jours de formation à l’architecture et à la construction. Pour décrocher un CAPET de génie civil, c’est quatre ans d’études ! À mon avis, les professeurs vont enseigner ce qu’ils connaissent déjà et une partie du programme passera à la trappe. 10.000 enseignants de STI qui interviennent en première et terminale sont concernés par une modification de leur discipline et doivent être formés dans les trois ans. On ne peut donc pas mettre en application la réforme à la rentrée. De plus, les équipements manquent, ne serait-ce que des machines d’essai et d’analyse des comportements, qui permettent d’appréhender un système technique quel qu’il soit, de le faire fonctionner et de regarder ce qui se passe. Il faut rénover les équipements dans les lycées, mais les régions rechignent à équiper les établissements d’autant qu’elles doutent également de la réussite de la réforme.

La voie technologique est-elle également concernée par les suppressions de postes à la rentrée 2011 ?

Le gouvernement est assez subtil. La réforme de la classe de seconde n’a pas supprimé de postes pour cette dernière. Et il devrait préserver les STI réformées à la rentrée pour éviter la révolution. Mais on s’aperçoit aujourd’hui que des suppressions massives de postes sont prévues pour cette classe. Toutes les académies perdent des classes de seconde et augmentent les effectifs. Comme le projet de réforme de la voie technologique n’est pas attractif – on le constate dans l’enseignement technologique d’exploration industrielle de seconde –, les jeunes ne s’engageront pas massivement dans cette voie et les classes ne seront pas remplies. Nous craignons donc des suppressions de postes à la rentrée 2012 sur la base des effectifs réels. Nos actions viseront à réaffirmer que les formations technologiques industrielles sont pertinentes et qu’il est nécessaire d’avoir des formations diversifiées au lycée.


 

Parution des programmes des nouveaux bacs technologiques STI2D, STD2A et STL

Les programmes des classes de première des nouveaux bacs technologiques STI2D (sciences et techniques de l’industrie et développement durable), STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliquées) et STL (sciences et technologies de laboratoire), anciennement STI et STL, sont parus au span style="font-style: italic;">Journal officiel du 25 février 2011.

Ils rentrent en application pour la première à la rentrée 2011 et en terminale en 2012.

➢    Pour en savoir plus sur les profils des nouveaux bacs technologiques.

Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le