Enseignement supérieur privé : les spécificités des établissements catholiques

Sarah Nafti Publié le
Enseignement supérieur privé : les spécificités des établissements catholiques
A Lyon, Ucly et l'université de Lyon sont partenaires dans le cadre d'une convention cadre. // ©  Laurent CERINO/REA
Existant depuis 1875, cinq établissements supérieurs catholiques forment près de 90.000 étudiants chaque année. Contrôlés par l'État, ces établissements privés à but non lucratif travaillent en collaboration avec les établissements publics pour délivrer des diplômes reconnus par l'Etat, même si parfois des désaccords subsistent.

Les établissements catholiques - instituts et universités - occupent une place à part dans le paysage de l'enseignement supérieur. Ils sont cinq établissements historiques, installés à Angers, Lille, Lyon, Paris et Toulouse.

Labellisés Établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (Eespig), ces établissements sont privés à but non lucratif - une obligation pour obtenir ce label - et proposent des formations pluridisciplinaires, à l'instar des universités classiques.

Si ces établissements ont des facultés de théologie, l'essentiel des quelque 90.000 étudiants suivent des cursus classiques dans les grandes disciplines du supérieur, non religieux.

Statut, reconnaissance, collaborations avec le public, le modèle des universités catholiques est parfois questionné, notamment dans l'usage du terme "université" et l'articulation avec l'offre des universités publiques.

Les universités catholiques, des établissements autofinancés

Si l'État leur accorde une subvention qui représente environ 6% de leur budget, les 94% restant proviennent de leur autofinancement. La non-lucrativité assure que l'ensemble des produits financiers est réinvesti dans l'outil éducatif.

Olivier Artus, recteur de l'UCLy (université catholique de Lyon), souligne donc que l'existence même de ces établissements repose sur le choix des étudiants et de leur famille, qui acceptent de payer plusieurs milliers d'euros, en fonction de leurs revenus, pour y étudier.

Accompagnement des étudiants et relations avec les entreprises : un modèle pédagogique spécifique

Ce qui fait notamment la spécificité et le succès de ces établissements, "c'est un modèle pédagogique fondé sur de petits groupes et le tutorat" et "un lien fort avec les entreprises", qui assure "une bonne insertion professionnelle", pour Olivier Artus.

"Nous avons un projet de formation intégrale de la personne", ajoute Laurent Péridy, recteur de l'UCO (université catholique de l'Ouest). Ce qui passe "par un accompagnement important notamment en première année".

La taille des promotions, de 150 étudiants maximum à l'UCO, est propice au suivi, ce qui leur permet d'afficher un taux de réussite élevé en licence. L'UCO annonce ainsi 86% de réussite en licence 1 à l'UCO.

Une offre alternative aux universités publiques soumise à des critères

Pour le recteur de l'UCO, cette offre n'est pas une concurrence mais "une proposition alternative" à l'université.

"Nous contribuons aux missions de service public. En lien avec le ministère, nous devons répondre à des critères en matière d'ouverture sociale, et nous assurons la qualité des diplômes et de la recherche".

Les instituts et universités catholiques modulent leurs frais d'inscription en fonction des revenus, et proposent des bourses, en plus de celles du Crous. À l'UCO, 38% des étudiants sont boursiers.

L'articulation avec les universités "classiques"

Pour délivrer des diplômes nationaux, ces établissements passent des conventions avec des universités publiques.

"Lorsque le conventionnement n'est pas possible, nous sollicitons le rectorat, qui met en place un jury", précise Patrick Scauflaire, recteur de l'université catholique de Lille et président de l'Udesca (Union des établissements d'enseignement supérieur catholique). 

"Cette voie dérogatoire est importante car, parfois, le conventionnement est difficile". En effet, ce sont les composantes des universités publiques, qui décident de conventionner, ou non, avec l'établissement catholique. L'université de Nantes a par exemple décidé de cesser tout conventionnement avec l'UCO, car elle ne souhaite plus "que des diplômes soient délivrés à des étudiants qu'elle n'a pas formés".

L'exemple de la convention cadre à Lyon

À Lyon, en revanche, le partenariat entre Lyon 2 et l'UCLy est couvert depuis deux ans par une convention cadre, ce qui a permis d'harmoniser les pratiques entre les différentes composantes.

L'UCLy reverse 200 euros sur les frais d'inscription à l'université Lyon 2, alors qu'auparavant, "chaque composante ne monétisait pas forcément sa collaboration", explique Marie Karine Lhommé, vice-présidente Commission de la formation et de la vie universitaire de l'université Lyon 2. Cette somme permet "une compensation des frais de gestion", car le conventionnement représente du travail supplémentaire, "avec des centaines d'étudiants à traiter en plus".

Adrien Bascoulergue, doyen de la Faculté de droit de Lyon 2 voit ce partenariat comme une "collaboration pédagogique", avec des interventions réciproques entre collègues des deux établissements. Le droit étant une filière très demandée en licence, le doyen n'y voit pas de concurrence et explique rester très vigilant sur le contenu des formations, avec "la même exigence en évaluation".

À partir du master, le travail se fait "en complémentarité" afin de ne pas concurrencer les diplômes existants. L'université s'assure notamment qu'il n'y ait pas davantage de places ouvertes à l'UCLy qu'à Lyon 2.  "C'est une manière de développer l'offre de formation", résume le doyen.

"À Lyon, la collaboration est particulièrement opérationnelle et fluide", confirme Olivier Artus, qui rappelle que l'UCLy fait partie de la Comue Lyon Saint-Etienne, ce qui lui permet de penser la complémentarité pour les formations et la recherche.

La question de l'usage du terme "université"

Si cette collaboration entre public et privé fonctionne, il existe toujours des points de friction. À commencer par l'usage du nom "université" qui, comme le rappelait, en février 2023, la Cour des comptes dans son rapport "Universités et territoire", est explicitement interdit d'usage pour les établissements supérieurs privés par le code de l'Éducation, sous peine d'amende.

À l'UCO, Laurent Péridy plaide "le droit d'usage" qui dure "depuis près de 150 ans" et s'appuie sur la réponse aux magistrats du ministère de l'Enseignement supérieur, qui reconnaît "l'usage historique cette appellation".

À Lille coexistent un nom commercial - Université catholique de Lille - et un nom officiel - la fédération universitaire et pluridisciplinaire de Lille. "Nous n'utilisons le terme 'université catholique' que pour nos échanges avec le Saint-Siège [qui représente le Pape]", détaille Olivier Artus, recteur de l'UCLy.

Pour le reste, l'établissement lyonnais a un nom de marque, "UCLy", ou utilise la traduction en anglais "Lyon catholic university", qui n'est pas interdite par le code de l'éducation. Une façon de jouer avec la législation, qui ne satisfait pas Virginie Dupont, vice-présidente de France Universités.

Dans son rapport, la Cour des comptes notait également un risque pour les conventionnements de "participer à la concurrence entre les universités publiques". Une mésaventure qu'a connue Virginie Dupont, en tant que présidente de l'Université Bretagne Sud (UBS). L'UCO a décidé d'ouvrir une licence de gestion, conventionnée avec l'UBS, sur les sites de Niort et Laval, sans avertir les universités du Mans et de Poitiers. Depuis, le partenariat assure qu'aucune implantation ne peut se faire sans prévenir à la fois l'université qui accrédite et l'université de proximité.

Le souhait de ne pas être assimilé à l'enseignement supérieur privé lucratif

Les établissements catholiques souhaitent continuer à faire valoir leur différence dans le débat actuel sur l'encadrement du privé dans le supérieur. Pour Olivier Artus, certaines pratiques du privé lucratif "font du tort" au privé non lucratif, qui y est assimilé dans le terme "privé".

Patrick Scauflaire salue lui la volonté du gouvernement "de regarder la qualité des formations dans le privé lucratif". Avec toutefois un point de vigilance : "on ne voudrait pas que notre spécificité soit gommée par l'émergence d'un label pour tout l'enseignement supérieur privé, alors que nous avons déjà un label qualité avec l'Eespig".

Sarah Nafti | Publié le