À Toulouse 2, une dissolution des conseils centraux pour sortir du blocage

Camille Pons Publié le
À Toulouse 2, une dissolution des conseils centraux pour sortir du blocage
Le campus de Toulouse 2-Jean-Jaurès est totalement bloqué depuis le 6 mars 2018. // ©  Camille Pons
Mardi 20 mars 2018, Frédérique Vidal a décidé de dissoudre les conseils centraux de l’université de Toulouse 2 , après la non-tenue de son conseil d’administration, pour la cinquième fois consécutive. Justifiée par une crise "grave" selon l'État, la décision, jugée inacceptable par de nombreux acteurs universitaires, n'est pas pour autant garante d'un retour à la normale.

"À la question : y a-t-il dissolution des instances ? La réponse est oui. Il n'y a donc plus de président... À la question : un administrateur provisoire a-t-il été nommé ? La réponse est oui, Richard Laganier, que l'on ne connaît pas." Mardi 20 mars 2018, à la mi-journée, la désormais ex-direction de l'université de Toulouse 2-Jean-Jaurès n'en savait guère plus. Un peu plus tôt dans la matinée, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, avait pris la décision de dissoudre les conseils centraux de l’établissement.

Pour cela, elle s'est appuyée sur les dispositions de l'article L. 719-8 du Code de l'éducation, qui prévoit qu'"en cas de difficulté grave dans le fonctionnement des organes statutaires", la ministre "peut prendre, à titre exceptionnel, toutes dispositions imposées par les circonstances".

En proie à un mouvement depuis le 12 décembre 2017, durci jusqu'au blocage total du campus depuis le 6 mars, la séance du conseil d'administration avait dû être levée après l’intrusion d'une intersyndicale de personnels et d’étudiants, opposée au projet d'université intégrée et à la réforme de l’entrée à l’université.

Les nouvelles élections doivent se tenir d’ici à trois mois. L'administration provisoire de l'université a été confiée à Richard Laganier, qui occupait le poste de conseiller de sites et d'établissements au ministère, après avoir présidé l'université de la Guyane de 2014 à 2017. Il a été dépêché sur le campus dès mercredi 21 mars.

Une décision "sans précédent"

"À situation exceptionnelle, décision exceptionnelle", justifie la rectrice de l'académie de Toulouse, Anne Bisagni-Faure, à l'origine de l'alerte faite à la ministre. Une décision jugée "autoritaire" et "brutale" par l'intersyndicale de personnels et d'étudiants.

"Cette annonce a été très mal prise et le personnel a été choqué", rapporte le militant du Snesup FSU, Xavier Lambert, qui s'étonne de cette décision alors que l'université avait subi, en 2009, "un blocage plus long et plus dur" qui n'avait pas donné lieu à une mise sous tutelle. Blocage en effet plus long, mais sans que les instances soient paralysées.

Pour Pierre Chantelot, c'est "une bombe". Le secrétaire national du Snesup est d'ailleurs à l'origine de la motion adoptée au Cneser, mardi 20 mars : ses membres y dénoncent "un droit d'ingérence sans précédent". Une atteinte "inacceptable à l'autonomie des universités et à la démocratie", estime le syndicaliste, rejoint depuis par plusieurs organisations, étudiantes notamment.

4.500 étudiants exposés à des problèmes d'admissibilité en M1

La situation "exceptionnelle" évoquée par la rectrice tient aux "perturbations graves et durables du fonctionnement pédagogique et administratif de l'établissement" et à un budget qui "n'a pu ni être examiné ni être adopté", indique le ministère dans un communiqué. Sollicité par EducPros, tout comme l'ex-direction de l'université, celui-ci n'a pas tenu à s'exprimer.

S'il est vrai que le budget n'avait pu être voté, la rectrice avait le pouvoir de le rendre "exécutoire" depuis le 1er mars 2018. Alors, pourquoi une telle décision ? "Arrêter ce budget est en effet assez simple, reconnaît Anne Bisagni-Faure. Mais valider l'ensemble de l'exercice 2018 ne permet pas un fonctionnement habituel d'une université, qui a besoin de se prononcer sur des décisions modificatives, en fonction des besoins."

Valider l'ensemble de l'exercice 2018 ne permet pas un fonctionnement habituel d'une université, qui a besoin de se prononcer sur des décisions modificatives.
(A. Bisagni-Faure)

La rectrice, qui dit avoir reçu de nombreuses plaintes d'étudiants, évoque d'autres difficultés, confirmées par le premier bilan établi par Richard Laganier, après avoir rencontré la rectrice et des responsables de services et de composantes. La problématique des prochaines paies, s'il n'y a pas d'intervention pour transmettre tous les éléments le 28 mars à la DRFiP (Direction régionale des finances publiques), celle de 120 vacataires dont les contrats se sont arrêtés, qui risquent de ne pas percevoir leurs indemnités chômage, des contrats de vacation qui ne peuvent être réalisés, des factures impayées, ainsi que des subventions en attente, comme les 700.000 euros promis par la Région pour la rentrée prochaine pour des formations professionnalisantes, la convention n'ayant pu être adoptée en conseil d’administration.

Du côté du service de la scolarité, 4.500 étudiants de L3 seraient potentiellement exposés à "des problèmes d'admissibilité" en M1 s'ils ne peuvent produire les documents requis, dont les relevés de notes. Les retards de scolarité font naître une "vraie préoccupation" pour les boursiers. Ils représentent ici 30 % des effectifs et n'ont droit qu'à un redoublement pour conserver leur bourse.

Pas de remise en route sans un arrêt du blocage

Les problèmes se font aussi jour aussi du côté de la campagne d'emploi. Pour l’instant, cinq recrutements seulement ont été gelés. Même si l'administrateur arrive à relancer les processus, un blocage temporaire s'imposera pour tous les profils nécessitant l'avis d'une instance.

C'est d'ailleurs le hic de la manœuvre : toute décision relevant d’un passage devant les instances devra attendre l'installation des nouveaux conseils. L’université a trois mois pour organiser de nouvelles élections. Trois mois durant lesquels Richard Laganier aura un pouvoir "relativement limité".

Pour l’heure, l’administrateur provisoire souhaite construire sa stratégie autour d’une priorité : "rétablir la confiance par le dialogue", ce qu'il a commencé à faire dès son arrivée, en rencontrant des représentants de l'intersyndicale.

Et "rassurer" sur ce qu'il considère être le "principal point de friction" : le projet d'université intégrée. À ce titre, il considère que la dissolution des instances de l’établissement a le mérite de "bloquer le projet, puisque les porteurs ne sont plus là" et de permettre à de "nouvelles instances d'en définir un nouveau".

Reste que les quelque 200 à 300 personnels grévistes, qui s’opposent également à la réforme ParcourSup, ont reconduit la grève.

Camille Pons | Publié le