Triche aux examens et concours : comment l’éviter

Propos recueillis par Isabelle Maradan et Sophie de Tarlé Publié le
Triche aux examens et concours : comment l’éviter
?? Merle Tournier // © 
Si les élèves pris la main dans le sac le jour du bac représentent une part infinitésimale des candidats (0,05 %), la triche aux examens et concours est largement répandue. Valérie Pécresse vient de demander à l’IGAENR un rapport de recommandations pour sécuriser les épreuves. Le sociologue Pierre Merle et le proviseur Philippe Tournier analysent ce phénomène à quelques heures du bac 2011. Tous deux remettent en question la prééminence de l’écrit dans les évaluations.

« Le problème de la triche renvoie à un système très sélectif »

Prévenir, surveiller, sanctionner, limiter les enjeux des évaluations sont les quatre pistes de réflexion proposées par Pierre Merle, sociologue et professeur à l’IUFM de Bretagne, pour lutter contre la triche à l’école.

Comment lutter contre la triche lors des évaluations ou des examens ?
On peut notamment prévenir la triche entre pairs au collège et au lycée en donnant deux sujets différents aux élèves assis côte à côte. Il peut s’agir des mêmes exercices en changeant les chiffres, en mathématiques, par exemple, ou en inversant simplement l’ordre des questions, pour d’autres disciplines. Mais, évidemment, c’est contraignant, car il faut prévoir deux sujets au lieu d’un. Et puis les élèves peuvent mettre en cause le fait que l’un des sujets soit plus difficile que l’autre. Le professeur doit donc s’assurer qu’il obtient bien la même moyenne générale pour les deux sujets, ou harmoniser les notes. C’est donc une double contrainte pour ce dernier. Par ailleurs, au bac ou aux examens universitaires, il est indispensable de laisser une place libre entre chaque élève ou étudiant pendant les épreuves.

Ce que vous proposez permet d’éviter qu’un élève ne copie sur son voisin, mais la triche a évolué avec les calculatrices de plus en plus sophistiquées et les smartphones notamment. Comment peut-on contrer les nouvelles formes que prend la triche ?
La surveillance est un autre point central. Il faut éviter un certain laxisme. Lorsque les élèves ont un devoir surveillé, le professeur peut leur demander de laisser les sacs et les portables à l’entrée, parce que certains sont très forts en SMS rédigés sous la table et peuvent solliciter quelqu’un à l’extérieur.

Quant aux calculatrices, il suffit d’en prendre trois ou quatre au hasard avant chaque contrôle et de vérifier ce qu’il y a dans la mémoire pour être à la fois dans la prévention et la surveillance. Et s’il y a triche, il faut sanctionner, sans quoi des élèves sérieux peuvent aussi être dégoûtés. Je me souviens du cas d’un élève qui avait des notes convenables et s’était subitement arrêté de travailler en milieu d’année. Il m’avait expliqué qu’il était écœuré et découragé, parce qu’il ne trichait pas alors qu’un autre élève avait 17 de moyenne en trichant.

Quoi qu’il en soit, il y aura forcément toujours un petit pourcentage de gens qui s’en tireront grâce à la triche. Ce sont les règles du jeu à l’école qu’il faut interroger.

Existe-t-il des formes d’évaluation qui rendent la fraude impossible ou inutile ?
Les évaluations orales sont à encourager. D’abord parce que ce sont des compétences à développer, et ensuite parce que les élèves n’ont pas vraiment de moyens de tricher. Pendant la préparation de l’oral, le professeur vient souvent dans la salle voir le candidat. Le problème, c’est que les oraux sont très coûteux à mettre en œuvre. Cela fonctionne donc dans des situations exceptionnelles lorsque les élèves sont peu nombreux pour du rattrapage, au bac ou à l’université, ou en classes prépas pour les colles.

Une autre façon de prévenir la triche, c’est de proposer des sujets de réflexion, qui permettent aussi de contrôler les connaissances, mais pour lesquels il est plus difficile de tricher. Enfin, il faut limiter les enjeux dans l’évaluation.

Qu’entendez-vous par « limiter les enjeux dans l’évaluation » ?
Le problème de la triche renvoie à un système très sélectif, qui la favorise. Lorsque l’enjeu est d’avoir un bon livret, une mention au bac, parce que cela détermine l’entrée dans la classe préparatoire la plus recherchée, les bons élèves aussi peuvent tricher.

La France et la Belgique sont les pays d’Europe où l’on redouble le plus, alors qu’on sait qu’à niveau équivalent, l’élève qui passe fera une meilleure scolarité que l’élève qui redouble. Du coup, les élèves veulent réussir les contrôles pour accéder à la classe supérieure. Et la triche est, pour certains, une technique utilisée à chaque évaluation.

Si on sort d’une politique du redoublement, notamment, et si l’école, c’est apprendre, progresser, plutôt qu’être bon au contrôle, on modifie aussi le rapport à la note, à l’évaluation. Et donc, le rapport à la triche. Pour savoir si ce raisonnement est bon, il faudrait aller voir si les élèves sont moins stressés et s’il y a moins de triche en Finlande et Norvège, par exemple, où l’on ne redouble pas pour des problèmes scolaires, mais uniquement quand on a eu des problèmes de santé ou si l’on a perdu un proche.

« La triche officialisée, c’est la calculatrice »

Proviseur au lycée Marcelin-Bertellot de Saint-Maur (94), Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN-UNSA (Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale), tire la sonnette d’alarme sur le problème de la triche au lycée. D’après lui, le problème va aller en s’aggravant, et l’école doit agir vite afin de prendre en compte l’évolution des nouvelles technologies.

La triche est-elle devenue un problème au lycée ?
La législation actuelle n’est pas adaptée aux nouvelles technologies. La triche officialisée, c’est la calculatrice. Cela fait quelque temps qu’on peut intégrer dans sa calculatrice des données sans rapport avec les calculs, son cours, des exercices par exemple. C’est bien pour ça que la calculatrice est interdite dans d’autres matières. Le problème est que, si l’on n’autorise plus la calculatrice en sciences, il faut changer le programme de mathématiques et de physique-chimie.

Une solution serait d’acheter des calculatrices de base qui seraient la même pour tous. Cela a été un temps suggéré puis abandonné faute de moyens sans doute. En attendant, on maintient une situation hypocrite.

La généralisation des smartphones a-t-elle amplifié le phénomène ?
Tout à fait. On a beau surveiller les candidats, leur demander de poser leur sac au fond de la classe, comment lutter contre celui qui va aux toilettes avec son téléphone pour regarder des cartes, trouver des citations, des définitions, un corrigé, voire envoyer un texto. On ne peut pas faire de fouille intégrale à l’entrée des toilettes !

Ce n’est d’ailleurs pas un problème uniquement français, tous les pays sont soumis aux mêmes difficultés. Mais seule la France est confrontée à ce point. Car, en France, l’écrit est généralisé aux examens. Dans d’autres pays, la place de l’oral a plus d’importance, à l’occasion de l’entrée dans l’enseignement supérieur notamment. C’était le cas en France aussi à la création du bac, mais peu à peu l’écrit a supplanté l’oral car c’était devenu trop coûteux.

Que préconisez-vous pour lutter contre la triche ?
La forme des épreuves doit être rapidement repensée car le problème va aller en s’aggravant. L’école doit prendre en compte l’évolution des nouvelles technologies. On ne peut pas faire comme si rien n’avait changé, c’est un combat perdu d’avance. C’est comme la Sorbonne qui était contre l’imprimerie au XVe siècle. De toute façon, est-ce qu’il est toujours utile de déployer un système aussi cher et lourd que le bac en termes d’organisation, pour un examen qu’on obtient dans 85 % des cas. Si au moins cela permettait de vérifier que les candidats ont acquis des connaissances, mais ce n’est même pas le cas. La preuve, le bac n’apporte même pas la certitude qu’un bachelier est capable de faire une dissertation.

Je pense qu’il serait préférable de garder seulement trois épreuves avec les matières principales, sous forme d’oral, le reste pourrait être noté en contrôle continu comme l’EPS (éducation physique et sportive) actuellement. Il faudrait que ce soit un oral sans préparation, pour éviter que les élèves sortent leurs antisèches. Le problème est que François Fillon avait déjà proposé un bac en contrôle continu, et s’était heurté à l’époque à la fronde des étudiants. C’est dommage, car c’est une peur irrationnelle. En effet, lorsque les élèves de terminale postulent dans l’enseignement supérieur, les notes du bac ne sont pas encore connues. Seules celles des bulletins sont prises en compte.

En savoir plus

Dans son enquête span style="font-weight: bold;">« Triche au bac et aux examens : ce que vous risquez vraiment », letudiant.fr montre que les tricheurs sont rares à être pris et que les sanctions restent peu sévères .
L’enquête fait également le point sur
le plagiat à l’université qui serait pratiqué par un étudiant sur deux, la triche aux concours des grandes écoles ou encore
le difficile réveil de l’Éducation nationale face à ce phénomène croissant avec les nouvelles technologies.
Et enfin comment trichent nos voisins , avec un tour du monde passant par l'Angleterre, le Danemark, la Chine, le Japon et le Maroc.

Propos recueillis par Isabelle Maradan et Sophie de Tarlé | Publié le