Une nouvelle étape vers un diplôme commun européen ?

Oriane Raffin Publié le
Une nouvelle étape vers un diplôme commun européen ?
Un diplôme européen verra-t-il le jour lors de la prochaine mandature du parlement européen ? // ©  DEEPOL by plainpicture/Wilfried Wirth
Fin mars, la Commission européenne a publié de nouvelles propositions pour faire avancer le sujet d'un diplôme commun européen pour dépasser les alliances entre universités européennes. Mais les défis à relever sont encore importants, dont notamment celui de l'évaluation de ces diplômes.

À Bruxelles, le sujet est sur la table depuis plusieurs années : mettre en place un diplôme commun aux pays de l'Union européenne, pour dépasser les actuelles alliances entre établissements.

Fin mars, la Commission européenne a publié trois propositions sur des moyens à mettre en œuvre pour faire avancer la coopération et viser, à terme, cet objectif de diplôme commun.

Différents acteurs du secteur ont salué la démarche de la Commission. "Le diplôme européen, c'est une excellente chose, appuie ainsi Nelly Fesseau, directrice de l'agence Erasmus+. Ça va dans le sens de ce que cherche à faire Erasmus depuis 1987 : former des citoyens européens et faire en sorte que les jeunes européens se sentent encore plus européens."

De son côté, le 16 mai, France universités inclut dans sa liste de propositions pour les élections européennes du 9 juin, le fait "d'expérimenter un cadre institutionnel pour les universités européennes leur permettant de délivrer de véritables diplômes."

Simplifier l'administratif grâce à une reconnaissance automatique

Ce diplôme européen, proposé sur la base du volontariat par des établissements du supérieur de l'UE, serait un titre reconnu automatiquement partout au sein de l'Union européenne, basé sur une série de critères communs. Une façon d'aller au-delà de ce qui existe aujourd'hui et qui simplifierait le volet administratif pour les établissements.

"Aujourd'hui, on fait en général des doubles diplômes, français, plus celui d'une université partenaire. Et on bricole un diplôme commun qui n'a aucune valeur juridique et n'est pas reconnu dans les différents pays", explique ainsi Jean-François Dreuille, vice-président formation de l'Université Savoie Mont-Blanc, membre de l'alliance UNITA.

"Les établissements qui veulent mettre en place des "joint degrees" doivent aujourd'hui satisfaire les contraintes de tous les pays partenaires, et, éventuellement négocier des assouplissements avec les agences d'accréditations nationales, déplore Pierre Beauseroy, directeur délégué EUT+ portée par l'UTT et responsable du projet JEDI sur le diplôme européen. Si ensuite on veut mettre en place un "joint degree" avec un partenaire différent, les règles ne seront pas les mêmes, donc l'expérience acquise sur le premier ne sera pas transposable."

Un diplôme européen offrirait un cadre général et une ingénierie un peu plus systématique de construction de ces partenariats.

Apporter plus de visibilité aux diplômes européens

Les étudiants aussi devraient y trouver leur compte, avec une reconnaissance plus large de leur diplôme. "Cela apportera beaucoup de visibilité au système des diplômes européens, confirme Pierre Beauseroy. Aujourd'hui, les critères mis en avant ne sont pas les mêmes. Par exemple, pour les ingénieurs, certains pays disposent d'ordres professionnels, avec des conditions très particulières pour que les diplômes étrangers soient reconnus".

"On pensait qu'avec le processus de Bologne et le système Licence-Master-Doctorat [lancé en 1998] on avait tout fait, estime Christian Lerminiaux, président du Conseil d'orientation stratégique de la CDEFI et directeur de l'École nationale supérieure de Chimie de Paris-PSL. Mais on s'est rendu compte que finalement, ça n'avait pas beaucoup changé les choses, notamment en matière de mobilité étudiante, qui est encore faible".

Cela apportera beaucoup de visibilité au système des diplômes européens. (P. Beauseroy, UTT)

Pour lui, cette mobilité à l'échelle du continent est indispensable, "si l'on veut que l'UE soit compétitive vis-à-vis des Etats-Unis ou de la Chine". Et le diplôme européen renforcera l'attractivité des établissements européens chez les étudiants étrangers. Un atout pour faire venir de futurs talents.

"On manque de compétences dans certains champs. Il faut que l'UE ait cette capacité à attirer les talents, pas uniquement les Etats-Unis, ou à les retenir, en proposant des diplômes à haute valeur ajoutée pour les étudiants européens et internationaux", appuie Jean-François Dreuille.

Des expérimentations lancées dans certains domaines

Des expérimentations sont déjà en cours depuis plusieurs années, à l'image des masters communs Erasmus Mundus ou encore du projet Ecotopia, mené dans le cadre de EUTOPIA, auquel Luciana Radut-Gaghi, vice-présidente Relations internationales et partenariats stratégiques, CY Cergy Paris Université EUTOPIA European University, participe.

Ce réseau de licences en économie a mis en place une coordination des maquettes, des ateliers et des projets étudiants conjoints, ainsi que des écoles d'été et une mobilité d'un an.

"Les étudiants reçoivent une expérience européenne et internationale véritable. Nous leur délivrons une certification Ecotopia, en plus de leur diplôme. L'ensemble des critères pilote du diplôme européen sont remplis, à part le diplôme lui-même", note Luciana Radut-Gaghi.

Résoudre la difficulté de l'évaluation

Pour autant, s'il est vivement souhaité par certains, ce diplôme ne sera pas si facile à mettre en œuvre. Car il soulève de nombreuses questions et se heurte à différents freins - à la fois culturels - l'enseignement supérieur reste une compétence nationale -, réglementaires et administratifs.

Parmi les grandes interrogations : comment ce diplôme sera évalué ? "Je suis favorable à la délégation et à la confiance", affirme ainsi Christian Lerminiaux, qui verrait la charge reposer sur les instances nationales d'accréditations. "J'aime bien le côté fédéral : si une entité d'un des pays valide le diplôme, alors il est validé partout !" Avec la volonté d'éviter d'ajouter un échelon supplémentaire.

Luciana Radut-Gaghi explique pour sa part que son alliance est favorable à des accréditations européennes. "En attendant, il faudra compter sur l'adaptabilité des instances nationales, et les échos que nous avons eus en France sont très encourageants", souligne-t-elle.

La Commission européenne propose une première étape, un "label de diplôme européen" pour reconnaître les diplômes communs. Ainsi que la création d'un laboratoire européen de la politique des diplômes, dès 2025. Ces pistes seront discutées prochainement avec le Conseil de l'UE.

Une mise en place qui dépend de l'implication des acteurs

"Une fois levée la question des contraintes administratives et règlementaires, cela libère l'esprit et laisse place à davantage d'initiatives", se projette Jean-François Dreuille, qui liste cependant les difficultés inhérentes à tel un projet : les déplacements, l'harmonisation des pratiques et des rythmes d'apprentissage, les droits d'inscription, les modes de sélection, etc. Ou encore le rapport aux stages et à l'apprentissage. Mais si la volonté est là chez les partenaires, rien ne lui semble insurmontable.

Christian Lerminiaux estime "qu'on ne peut pas imposer le diplôme européen d'en haut. Il faut donner une possibilité. Si les acteurs le veulent, alors on y arrivera". Selon le représentant de la Cdefi, les alliances européennes permettront une sorte d'impulsion pour construire ou transformer les diplômes européens.

"Tous les établissements seront tentés de jouer le jeu, car ils n'auront pas envie de rester sur le bord de la route. Les alliances créeront une émulation, que ce soit au sein d'une d'entre elles, ou entre alliances". Ce qui permettra peut-être aux pays les plus frileux - préférant garder leur indépendance - de franchir quand même le pas.

Tous les établissements seront tentés de jouer le jeu, car ils n'auront pas envie de rester sur le bord de la route. (C. Lerminiaux, CDEFI)

"Pour moi, la question qui se posera au niveau des acteurs sera celle de la marque, ajoute Christian Lerminiaux. Laquelle portera le diplôme européen s'il réunit trois, cinq ou huit établissements ? Je ne suis pas sûr que tous les établissements soient prêts à dissoudre la leur".

Ils n'auront cependant pas forcément le choix. "Si on n'européanise pas notre système d'enseignement public, j'ai peur que des opérateurs privés, qui n'ont pas les mêmes contraintes, s'implantent depuis des pays étrangers, avec les diplômes de leurs pays et des modèles commerciaux", prévient Pierre Beauseroy.

"Le risque, c'est que ce soient eux qui définissent les compétences, la façon dont on les évalue et comment elles sont dispensées. La crainte de certains États de perdre la main sur la formation pourrait être bien plus sévère que si nous créons quelque chose à l'échelle européenne", ajoute le directeur délégué EUT+ et responsable du projet JEDI.

Oriane Raffin | Publié le