Université de la Terre : « Quelle éducation pour nous préparer à la société de la connaissance ? »

Maëlle Flot Publié le
Faut-il spécialiser les étudiants ou au contraire former des généralistes dans la société de la connaissance ? Les avis étaient partagés parmi les intervenants de la conférence « quelle éducation pour nous préparer à la société de la connaissance », donnée le samedi 18 octobre 2008 à l’Unesco dans le cadre de la troisième édition de l’Université de la Terre, organisée par la compagnie Nature & Découvertes. Ils étaient cinq à débattre des enjeux de la société de la connaissance : Marc Drillech (groupe Ionis), Axel Kahn (université Paris Descartes), Marc Luyckx (philosophe), Bernard Ramanantsoa (DG groupe HEC) et Dominique Thys (administrateur délégué à la direction générale de la Maif).

« L’université doit faire des généralistes », plaide Marc Luyckx, mathématicien et philosophe. Ce doyen de la Faculté de Zagreb (Croatie), proche de Jacques Delors alors que ce dernier était à la tête de la Commission européenne, rappelle que « nous assistons à la fin de la société industrielle et à l’entrée dans l’ère de la société de la connaissance. Une société dans laquelle l’humain représente 80 % et le capital à peine plus de 20 %. Le progrès est de moins en moins synonyme de quantité et de plus en plus de qualité, notamment dans le monde de l’information. Désormais, il faut donner aux salariés davantage de sens à leurs actions, davantage d’éthique aussi. Le manager est ainsi davantage centré sur l’humain pour la bonne raison qu’il n’est pas possible de commander la créativité ».

La créativité rime souvent avec pluridisciplinarité

« La créativité est souvent issue du pluridisciplinaire, et si nous formons des spécialistes il est alors impossible de faire du pluridisciplinaire. C’est pourquoi les grandes entreprises, et j’en parlais récemment avec un ami chef d’entreprise, attendent des généralistes adaptables. La créativité est la clé ; notre cerveau droit, celui de la créativité, ne sera pas externalisé en Chine ! ». 

Des « généralistes adaptables » ou des « spécialistes réadaptables » ?

Président de l’université Paris 5 René Descartes, le généticien Axel Kahn « essaie de former ses étudiants afin qu’ils aient une bonne insertion professionnelle. Ce qui suppose aussi de leur donner la possibilité de changer de métiers au cours de leur vie professionnelle. Nous avons besoin de spécialistes car c’est ce que demandent les responsables d’entreprises que je côtoie, mais des spécialistes réadaptables, avec de bonnes bases donc ».

Bernard Ramanantsoa , le directeur général du groupe HEC, lui-même de formation pluridisciplinaire, estime aussi qu’il faut nécessairement une dimension technique à une formation de manager même « si dans ce domaine, les savoirs d’hier changent et sont souvent remis en cause. Nous devons former des jeunes qui ont la capacité de se forger des grilles de lecture du monde qui les entoure. Un monde incohérent, mouvant. S’ils veulent l’expliquer aux autres en tant que manager, c’est nécessaire qu’ils le comprennent, qu’ils aient les clés et peut être alors pourront-ils le changer ». 

Un peu plus d’éthique dans les formations ?

Marc Drillech , en charge du marketing, de la communication et de la relation avec les médias pour le groupe Ionis, s’est fait applaudir de la salle en faisant remarquer que désormais tout le monde – les entreprises, les établissements d’enseignement supérieur, etc.- se voulait « éthique » : « Notre société est particulièrement hypocrite dans ce domaine. Concernant la crise financière, si la finalité du projet économique avait été partagée, nous n’aurions pas assisté à ces dérives ».

« A partir du moment où la connaissance n’a pas d’autre sens qu’accroître un bonus, comme c’est le cas du monde des finances par exemple, alors on arrive à des situations comme celle que nous connaissons aujourd’hui, a enchéri Axel Kahn. Si un jeune ne peut dire vers quel objectif il va, alors il y aura forcément des dérapages. L’université dont je rêve doit apporter le savoir sur la nature des choses mais aussi donner les modalités de l’action ». 

Changer de paradigme dans le secondaire

D’après Marc Drillech, le système éducatif est aussi fautif. « Le secondaire en France est tout le contraire de l’esprit critique. C’est le conformisme même, l’absence de travail en équipe, or le travail en équipe est essentiel dans une entreprise… Le secondaire est la pierre angulaire du système éducatif, la réforme de l’éducation passe par là sinon nous n’arriverons à rien. D’autant que les entreprises consacrent très peu de temps à la formation, et enfoncent souvent les salariés dans leurs tâches quotidiennes… Il faut décréter un plan Marshall pour l’éducation ».

« Les politiques et la société française ont réellement commencé à parler de l’enseignement supérieur depuis quatre-cinq ans, rappelle Bernard Ramanantsoa. Cet intérêt est donc très récent. Le temps du politique n’est pas celui de l’éducation. Dans le meilleur des cas, le politique verra à cinq ans ». La prochaine étape selon lui ? L’évaluation de la politique menée en matière d’enseignement supérieur. Et les conséquences financières qui devraient en découler.

Maëlle Flot | Publié le