Vers le retour de l'apprentissage dès 14 ans ?

Sandrine Chesnel Publié le
La publication le 15 février d’un décret précisant les conditions de l’ouverture de dispositifs d’alternance aux élèves de quatrième et de troisième a été dénoncée par la quasi-totalité des syndicats enseignants comme un retour de l’apprentissage à 14 ans. Qu’en est-il ?

Que dit exactement le décret ?

Le décret n°2012-222 du 15 février ne parle pas d’apprentissage mais de «dispositifs d’alternance personnalisés ». Ces dispositifs d’alternance personnalisés seront proposés à des élèves de 4ème ou de 5ème « qui éprouvent des difficultés dans l’acquisition du socle commun [de connaissances] ou manifestent des besoins éducatifs particuliers ». Ces jeunes pourront, pendant les vacances scolaires, suivre des stages en entreprise d’une semaine maximum, et des stages dans des CFA (centres de formations d’apprentis) ou des sections d’apprentissage.

S’agit-il d’apprentissage ?

La lecture détaillée du décret et des articles de la loi Cherpion auxquels il se réfère ne permet pas de conclure que des élèves de 14 ans vont pouvoir signer des contrats d’apprentissage dès la rentrée prochaine. C’est en tout cas l’avis de plusieurs directeurs de CFA pour lesquels ce décret ne fait qu’institutionnaliser ce qui existe déjà : «Chaque année nous accueillons déjà pour une ou deux journées des jeunes de 4ème ou de 3ème qui nous sont envoyés par les principaux de leurs collèges, explique Richard Skrypzack, directeur des CFA de la CCI de Versailles-Val d’Oise-Yvelines ».

Même lecture en ce qui concerne l’accueil des jeunes en entreprise : « C’est une pratique qui existe déjà dans les collèges via les stages en entreprise, formalisés par des conventions de stage explique Richard Skrypzack. La vraie nouveauté avec ce décret, c’est qu’il semble vouloir impliquer davantage les CCI dans la recherche de stage ». L’article 15 de la loi Cherpion auquel fait référence le décret précise en effet que « dans l’exercice de leurs compétences, les chambres consulaires apportent leur appui à l’organisation de ces périodes » en entreprise.

Ce décret est-il applicable à grande échelle ? 

Le décret s'avère difficilement applicable à grande échelle, selon les responsables de CFA. « Les entreprises ne sont pas des nurseries plaide Annick Fortin, directrice des CFA de la CCIP. Elles ne sont pas armées pour accueillir des élèves aussi jeunes que des collégiens de quatrième. On prend le risque de démotiver les jeunes, qui vont s’ennuyer, et  les entreprises, qui auront encore moins de temps à consacrer aux 'vrais' apprentis ».

Autre problème pointé par Richard Skrypzack: « le public visé ». « Il est écrit noir sur blanc dans ce décret que ces dispositifs seront proposés à des collégiens en difficultés. Je ne vois pas comment on peut revaloriser l’enseignement professionnel et les formations en alternance si on continue de les réserver aux élèves qui ont du mal à s’adapter au cursus scolaire classique ».

DIMA, dispositif d’alternance personnalisé : quelles différences ?

Même si le décret du 15 février manque de précisions quant à la façon dont ces dispositifs d’alternance personnalisés vont être mis en place, il ne faut pas les confondre avec un dispositif mis en place à la rentrée 2008, le DIMA (dispositif d’initiation aux métiers en alternance).
Avec le DIMA, le jeune, qui peut être élève de 4ème mais doit avoir 15 ans révolus, garde son statut scolaire, même s'il est à temps plein en CFA. Il n’est pas salarié, et découvre différents métiers lors de périodes en entreprise de courte durée. « Dans les faits, les DIMA sont assez peu développés, explique Richard Skrypzack. Dans les Yvelines, ils sont le plu souvent réservés aux élèves de SEGPA ». 
 

La 3ème année de bac pro en apprentissage ?

Lors de son interview télévisée du 15 février, le président de la République Nicolas Sarkozy, a répété son souhait que la dernière année de bac professionnel se fasse systématiquement en apprentissage. « L’intention est louable, mais elle est irréalisable, commente Richard Skrypzack. Nous avons déjà du mal à placer nos jeunes qui choisissent de préparer leur bac pro en apprentissage, la situation ne fera qu’empirer s’il faut trouver une place dans une entreprise à tous les jeunes de terminale professionnelle ». A l’indisponibilité des entreprises s’ajoute le problème du financement des ces apprentis supplémentaire, comme l’explique Annick Fortin : « le président décrète, mais, en matière d’apprentissage, ce sont les régions qui financent. La taxe d’apprentissage baisse avec le niveau d’activité des entreprises et la masse salariale : je ne vois pas comment on peut financer une telle mesure ». 

Sandrine Chesnel | Publié le