Xavier Nau, membre du CESE : « La politique d’éducation prioritaire doit s’appuyer sur tous ceux qui concourent à l’éducation sur un territoire »

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Xavier Nau, membre du CESE : « La politique d’éducation prioritaire doit s’appuyer sur tous ceux qui concourent à l’éducation sur un territoire »
Xavier Nau // © 
La section de l’éducation, de la culture et de la communication du CESE (Conseil économique, social et environnemental), organisme consultatif et troisième assemblée constitutionnelle de la République, a largement approuvé, le 13 septembre 2011, son premier strong>avis sur les inégalités à l’école. Une refonte de l’éducation prioritaire figure parmi les préconisations. Xavier Nau, professeur de philosophie, membre du groupe CFDT du CESE et rapporteur de cet avis, s’en explique.

Vous pointez l’échec de la politique d’éducation prioritaire actuelle qui se concentre, selon vous, sur ce que vous appelez « l’exfiltration ». Qu’entendez-vous par là ?


On est effectivement dans une idée d’exfiltration, qui consiste à enlever les perturbateurs pour les envoyer ailleurs et les plus motivés pour les mettre dans des parcours d’excellence. Dire que les personnes issues de milieux défavorisés ont le droit d’entrer dans les élites, c’est bien, mais cela ne doit pas résumer l’éducation prioritaire.
Récemment encore, l’éducation prioritaire a été remise en avant quand il y a eu les violences urbaines. Avec le programme Clair, axé sur la violence, puis le programme Eclair, prenant en compte les écoles. Ce programme Eclair a vocation à être l’avenir de l’éducation prioritaire. Le tout sans lien avec les mairies et les collectivités territoriales… Il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle.



Que préconisez-vous ?


L’idée est de « re-territorialiser » l’éducation prioritaire. Il faut bien considérer qu’il est impossible pour l’école d’arriver à quoi que ce soit sans travailler avec les collectivités territoriales, les acteurs sociaux, les associations… La politique d’éducation prioritaire doit s’appuyer sur tous ceux qui concourent à l’éducation sur un territoire. C’est ainsi qu’elle a été conçue lorsque Alain Savary l’a mise en place au début des années 1980.



Pourquoi pensez-vous qu’une politique d’éducation prioritaire fondée sur la coéducation pourrait réussir aujourd’hui alors qu’elle a échoué hier ?


L’idée même de l’éducation prioritaire était révolutionnaire à l’époque. Elle a été perçue comme une rupture de l’égalité républicaine. Alain Savary et ses soutiens ont fait face à des freins énormes. À l’époque, il y a peut être eu des confusions de casquettes. Or, chacun doit tenir son rôle.
Depuis ce projet de ZEP (zone d’éducation prioritaire), il n’y a eu au total que sept ou huit ans de réel pilotage politique de l’éducation prioritaire, nous faisait remarquer Marc Douaire, président de l’OZP [Observatoire des zones prioritaires], que nous avons auditionné. S’il y a une politique globale et volontariste, on peut remonter des établissements, au lieu de continuer à aggraver les choses, comme c’est le cas avec la libéralisation de la carte scolaire, qui a renforcé l’homogénéité sociale des établissements.



De nombreux parents adoptent des stratégies d’évitement scolaire, particulièrement lorsque leurs enfants dépendent d’établissements relevant de l’éducation prioritaire. Comment pensez-vous pouvoir les convaincre de faire passez l’intérêt général devant l’intérêt particulier ?


Je ne vois pas comment on pourrait demander à des parents de sacrifier leur enfant au profit de l’intérêt général ! En revanche, il ne faut pas croire que son enfant va progresser davantage dans des classes très sélectives. Ce n’est pas vrai. Et, pour certains gamins, c’est même une catastrophe.
Il faut rappeler qu’une classe hétérogène fait non seulement progresser les élèves faibles – alors que l’homogénéité n’y parvient pas –,mais qu’elle fait aussi progresser davantage les bons élèves qu’une classe homogène. Toutes les études montrent que l’hétérogénéité des classes est un facteur important d’amélioration des compétences des élèves.
Cela passe par un redécoupage de la carte scolaire et également par l’idée d’une dotation aux établissements en fonction de l’origine sociale des élèves. On peut y arriver avec 35 élèves par classe dans les beaux quartiers, pas dans les quartiers difficiles. Mais nous ne préconisons pas seulement de réduire les effectifs. L’idée est d’adapter le nombre d’enseignants, d’améliorer les locaux, de proposer des options attractives… C’est essentiel. Les enfants issus de milieux défavorisés ont envie de réussir comme les autres ! Et, avec une offre éducative de qualité, il devient inutile de fuir.


N’y a-t-il pas des endroits où il est trop tard pour espérer rétablir la mixité sociale et l’hétérogénéité des classes ?


Pour ce qu’on appelle les « ghettos urbains », je suis persuadé qu’il faut parfois éliminer le collège et le reconstruire ailleurs. Ce sont des solutions extrêmes que nous n’avons pas proposées dans ce rapport parce qu’elles concernent très peu d’établissements.



Le coût des mesures que vous recommandez n’est pas précisé. L’avez-vous évalué ?


Non. Nous n’avons pas chiffré les préconisations. Ce n’est pas le rôle du CESE. Et nous n’avons pas voulu réduire les propositions à des questions de moyens. D’autant que, lorsque nous suggérons de mettre le paquet sur l’éducation prioritaire, par exemple, cela peut se faire à budget constant.



« À budget constant », cela signifie-t-il que vous adhérez à l’idée de Luc Chatel prônant récemment « la qualité plutôt que la quantité » pour défendre les suppressions de postes ?


On ne doit pas voir la qualité au même endroit ! Sa conception de l’éducation prioritaire ne va pas dans le bon sens, et dans un contexte de réduction de postes, strong>l’enquête publiée par le SNPDEN strong>[Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale] à la rentrée prouve que les nouvelles mesures annoncées par le ministre, comme l’aide personnalisée, sont les variables sur lesquelles jouent les établissements.

Les 5 préconisations du CESE : Pourquoi ?  Comment ?

1/ Priorité à l’école primaire, dès la maternelle
Parce qu’il est plus facile et moins coûteux de prévenir les difficultés ou d’y pallier dès qu’elles apparaissent.
Les budgets de l’Etat et des collectivités locales doivent être prioritairement concentrés sur le primaire.

2/ Rendre réellement professionnelle la formation des enseignants
Parce que la masterisation ne garantit pas de formation professionnelle initiale des enseignants.
Le rapport préconise d’organiser des stages devant les élèves pour tous les enseignants préparant les concours de recrutement et de les accompagner lors de leur entrée dans le métier.

3/ Intensifier l’éducation prioritaire
Parce que les problèmes massifs se concentrent sur 5% des établissements en France.
Le CESE estime nécessaire de concentrer les efforts à ces endroits là.
Le rapport propose de territorialiser l’éducation prioritaire pour que l’école travaille en lien avec tous les acteurs de l’éducation sur un territoire (acteurs sociaux, associations,…). Le rapport insiste également sur la nécessité de pérenniser les équipes. Cette nécessité est d’autant plus grande que les établissements concentrent un certain nombre de difficultés.

4/ Repenser la carte scolaire 
Parce que la libéralisation de la carte scolaire (après une carte scolaire trouée) a pour effet de garantir l’entre soi, qui va contre la mixité sociale et ne permet pas de garantir la réussite pour tous. Les pays qui ont les meilleurs résultats à PISA sont ceux qui ont les classes les plus hétérogènes et font le plus progresser les élèves les plus en difficulté.
Le CESE propose de sortir de la logique éducation prioritaire/ hors éducation prioritaire, pour aller vers une logique plus graduelle des moyens. Le rapport préconise que les dotations aux établissements soient inversement proportionnels au milieu social dont les élèves scolarisés sont issus. Cette proposition inclut l’enseignement public et l’enseignement privé sous contrat.

5/ Garantir la bonne conduite des réformes
Parce qu’on lance une grande réforme sans garantir sa mise en œuvre ou en revenant en arrière. Exemple : une récente circulaire autorisant le redoublement d’un élève au sein du cycle est en contradiction totale avec la politique des cycles de 2005, qui prévoit d’évaluer l’élève à l’issue du cycle de trois ans (cycle 1 : PS-MS /cycle 2 : GS-CP-CE1/ cycle 3 : CE2-CM1-CM2).
Le CESE estime qu’il faut se donner les moyens pour former les enseignants et les personnels qui ont à mettre en œuvre les réformes. Lorsque les moyens sont insuffisants pour mener des réformes sur l’ensemble du territoire, le rapport préconise de les mener sur une partie du territoire et de les étendre progressivement.

Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le