Bilan du quinquennat Macron : la loi de programmation de la recherche peine à rattraper le retard en matière de financement

Martin Clavey Publié le
Bilan du quinquennat Macron : la loi de programmation de la recherche peine à rattraper le retard en matière de financement
Des centaines de chercheurs, enseignants et étudiants s'étaient mobilisés en juin 2020 contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche. // ©  Amélie Petitdemange/Educpros
Retour sur un quinquennat qui n’a réellement commencé qu’en 2019 du côté de la recherche. La réforme Parcoursup ayant mobilisé le ministère de l'Enseignement supérieur pendant les deux premières années, la recherche a eu du mal à se faire une place. Symbole de ce retard à l’allumage, la loi de programmation de la recherche (LPR) n’a été évoquée qu’à partir de février 2019 et votée fin 2020 rendant difficile un vrai bilan de son application en fin de mandat. Il en est de même pour les différentes tentatives de planification de la recherche en intelligence artificielle et dans le quantique.

Philippe Aghion, l’un des inspirateurs du programme 2017 du candidat Emmanuel Macron, le disait lui-même en juin 2018 au micro de France Inter : "Pour l’instant je ne vois pas de politique de la recherche au gouvernement". Finalement, il aura fallu attendre février 2019 pour que le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, évoque, lors des cérémonies des 80 ans du CNRS, la volonté du gouvernement de mettre en place une loi de programmation pluriannuelle de la recherche "parce que la science s’inscrit dans le temps long".

Une loi de promesse d’augmentation de budget d’ici 2030

Cette loi, portée par la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, affichait l’ambition de refinancer la recherche française qui perdait en capacité à la suite d'un sous-financement chronique, d’adapter les politiques de ressources humaines et de développer la recherche partenariale. Le constat du manque de financement était unanimement partagé et la crise du Covid-19 l’a amèrement souligné avec les difficultés de lancement de vaccins qu’a connues l’industrie pharmaceutique française.

Cette loi, votée fin 2020, prévoit une augmentation régulière du budget public de la recherche d’ici 2030 pour arriver à un budget cumulé de 24 milliards d’euros mais elle fait porter l’effort budgétaire le plus important sur les dernières années de cette période, planifiant moins de 500 millions d’euros pour l’année 2021 et 5 milliards d’euros en 2030, ce qui reporte mécaniquement sur les prochains gouvernements le soin de remplir sa promesse et risque finalement de n’être qu’une simple compensation de l’inflation.

"Nous sommes très loin du compte des 3% du PIB pour le budget de la recherche par le public et le privé qui avaient été actés au début des années 2000 et du 1% pour la recherche publique, estime Anne Roger, secrétaire générale du SNESUP-FSU, en 2019 nous en étions à 0,76% et le financement prévu dans la loi de programmation de la recherche permettrait éventuellement d’atteindre les 0,8 à 0,85% du PIB dans sept ans."

De son côté, Manuel Tunon de Lara, président de France Universités, considère lui, que "la loi de la recherche est un investissement majeur : 24 milliards d’euros, c’est considérable !"

Une recherche "darwinienne"

Antoine Petit, nommé PDG du CNRS en 2018 et renouvelé en ce début d’année, avait demandé dans les colonnes du journal les Echos fin 2019 "une loi ambitieuse, inégalitaire, vertueuse et darwinienne". La loi votée prévoit notamment une place prépondérante à l’Agence nationale pour la recherche (ANR) qui finance la recherche sur projets. Elle intègre aussi la création de Chaires de professeurs juniors de contrats à durée déterminée de trois à six ans "en vue d’une titularisation dans un corps de directeurs de recherche [ou de professeurs]" et des "CDI de mission scientifique" qui prendraient fin avec la réalisation du projet mais pourraient être rompus, au minimum un an après leurs débuts, si l’employeur considère que le projet n’est plus réalisable. Le texte prévoit aussi une revalorisation des carrières par la réorganisation des primes.

La loi de la recherche est un investissement majeur : 24 milliards d’euros, c’est considérable ! (M. Tunon de Lara, France Universités)

Pour Manuel Tunon de Lara, "le financement de l’ANR va permettre un taux de succès bien supérieur et le préciput de ce financement prévu - qui revient aux laboratoires et établissements sélectionnés par l’agence pour pouvoir absorber le sur-coût des projets - aura un effet indéniable". Il trouve cependant que la revalorisation des carrières "est quand même insuffisante par rapport aux chiffres de l’OCDE". Enfin le président de France Universités juge que "la mise en œuvre de la loi est trop lente et très administrée" : "Si l’effort financier avait été prévu sur sept ans, il aurait été beaucoup plus visible et stimulant vis-à-vis des chercheurs."

Pour Anne Roger, cette loi ne va pas améliorer le recrutement des enseignants-chercheurs : "Entre 2006 et 2019, nous avons une baisse des recrutements de 2.600 à 1.300 titulaires et celle-ci se poursuit". La responsable du SNESUP-FSU rajoute, "quand on sait que les titulaires sont ceux les plus à même d’assurer la continuité de la recherche, ça en dit long sur l’encadrement de la recherche à l’université".

Si cette nouvelle organisation de la recherche française a été contestée notamment par le conseil scientifique du CNRS, le comité d’éthique du CNRS et des mouvements comme "Rogue ESR" ou la "coordination des facs et labos", la pandémie du Covid-19 arrivée en pleine discussion sur le projet de loi a obligé les universitaires à gérer les cours en ligne et la réorganisation des laboratoires et permis le vote de la loi sans trop d’encombre.

Des appels à projets ciblés sur l'écologie, l'intelligence artificielle et le quantique

En parallèle de cette loi de programmation de la recherche, le gouvernement a porté une planification de certains sujets de recherche comme l’écologie, l’intelligence artificielle ou le quantique. Le programme "Make our planet great again" mis en avant en 2017 avait surtout un enjeu géopolitique pour Emmanuel Macron dans le but de se placer en opposition à Donald Trump qui faisait reculer les États-Unis dans leur engagement sur l’Accord de Paris sur le climat. Si ce programme a surtout concerné des chercheurs français expatriés, aucun bilan public n’a été présenté.

Après la commande d’un rapport sur l’Intelligence artificielle au député Cédric Villani, le gouvernement a lancé fin 2018 un plan "IA" dotant la recherche sur ce sujet de 528 millions d’euros et comportant notamment la création de quatre centres interdisciplinaires "3IA", le fléchage de financements de thèses sur l’IA et le financement de supercalculateurs.

Enfin, début 2021, le gouvernement a annoncé un plan quantique, espérant rattraper le retard qu’a pris la France dans ce domaine derrière la Chine et les États-Unis. L’agrégat des financements publics de ce plan s’élève à un milliard sur cinq ans, prenant 400 millions d’euros sur le budget de la LPR et 600 millions d’euros au PIA. Il est encore trop tôt pour faire le bilan de ces différents plans mais les différents acteurs se plaignent de la lourdeur administrative pour les mettre en place. Et Manuel Tunon de Lara pointe aussi leur limite : "Les pays qui sont très forts en innovation ont su organiser des écosystèmes d’innovation avec beaucoup de recherches orientées par la curiosité scientifique mais il est difficile de téléguider et préméditer les réussites".

Des établissements publics de recherche en souffrance

Si le gouvernement a mis en valeur le financement de la recherche par des plans très médiatisés, les établissements publics de recherche tels que le CNRS, l’Inria ou le CNES souffrent. Dans son audition au Sénat en février dernier pour son renouvellement à la tête du CNRS, Antoine Petit a rappelé que "le CNRS a perdu 11% de ses effectifs en 10 ans, soit environ 3.000 postes".

Le CNRS a perdu 11% de ses effectifs en 10 ans, soit environ 3.000 postes. (A. Petit, CNRS)

Du côté de l’Inria, "une ambiance délétère s’est installée depuis plusieurs mois" selon Médiapart. Autoritarisme et négligence de la recherche fondamentale au profit de la création de start-up seraient reprochés au PDG de l’institut, Bruno Sportisse, selon le média en ligne. Enfin, les salariés du Centre national d’études spatiales (Cnes) sont massivement en grève en cette mi-avril pour dénoncer le contrat d’objectifs et de performance (COP) signé avec le gouvernement.


Libertés académiques et "islamogauchisme"
Frédérique Vidal a essuyé une levée de boucliers après avoir annoncé début 2021 sur Cnews sa volonté de commander une enquête du CNRS sur l’"islamogauchisme" qui gangrènerait l’université. Le centre de recherche et l’alliance Athéna ayant refusé poliment mais fermement de conduire cette enquête, il est difficile de savoir où elle en est.
Selon le JDD, le tribunal administratif de Paris cherche d’ailleurs en vain à mettre la main dessus pour pouvoir statuer sur son éventuelle illégalité. Pour Anne Roger, "Frédérique Vidal a aussi réduit les libertés académiques par la généralisation des appels à projets qui orientent les thématiques sur de la recherche à court terme. Nous ne sommes plus sur un temps long qui amène la liberté de découvrir des connaissances scientifiques nouvelles".

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