Brexit : des effets a priori limités pour les établissements français

Jean-Claude Lewandowski Publié le
Brexit : des effets a priori limités pour les établissements français
Le Brexit et ses incertitudes pèsent sur l'enseignement supérieur des deux côtés de l'Atlantique. // ©  ink drop/Adobe Stock
Avec ou sans accord sur le divorce, le Brexit ne devrait pas changer radicalement la donne pour l’enseignement supérieur. La Grande-Bretagne ne fermera sans doute pas ses frontières aux étudiants et enseignants européens. Pour les établissements de l’Hexagone, le principal enjeu est peut-être d’attirer les étudiants internationaux tentés de se détourner du Royaume-Uni.

Brexit dur, Brexit "soft"… Et ensuite ? Quelles conséquences pour les acteurs de l’enseignement supérieur - étudiants, enseignants, écoles et universités ? Malgré le report de l'échéance au 31 janvier 2020 au lieu du 31 octobre, l’incertitude continue de régner. Même si la probabilité d’un accord s’est nettement renforcée.

Pour l’heure, depuis le vote de juin 2016, l’impact paraît négligeable. Pas de changement majeur dans les comportements. Les étudiants européens en Grande-Bretagne poursuivent leur cursus sans problème. Et l’on ne ressent aucune inquiétude, alors que la date "fatidique" approche.

"Je suis ravi d’étudier en Angleterre, je m’y sens très bien, et tous mes camarades sont dans le même état d’esprit", assure Pierre Delaporte, en 2e année du cycle "grande école" sur le campus d’EM Normandie à Oxford, qui envisage même de rester sur place l’an prochain. "Oxford est une ville jeune et accueillante. Nous sommes parfaitement intégrés. Le Brexit n’est pas un problème."

Moins d'étudiants français désireux de s'installer au Royaume-Uni

De façon générale, l’attrait des universités britanniques ne faiblit pas trop. "C’est plutôt le contraire : de plus en plus de nos élèves veulent aller en Grande-Bretagne", observe-t-on à la direction de Polytechnique. Un bémol cependant : une enquête réalisée par l’Edhec NewGen Talent Centre montre que le taux d’élèves qui souhaitent s’installer au Royaume-Uni après leur diplôme a reculé depuis le vote du Brexit, passant de 47% à 30%. Quant aux Anglais venus étudier en France, ils sont très peu nombreux.

"Nos collègues britanniques nous sollicitent davantage pour coopérer, note pour sa part Thomas Flichy de La Neuville, professeur de géopolitique à Rennes School of Business. Ils sont inquiets et sentent qu’ils vont davantage avoir besoin de nous." D’autant que, comme le remarque Christian Lerminiaux, vice-président de la Cdefi (Conférence des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs) et directeur de Chimie ParisTech, "les projets européens s’élaborent désormais sans les Britanniques : iIs ne participent plus aux négociations." En revanche, les accords de partenariat déjà signés perdurent.

Point d'interrogation sur les visas et les frais de scolarité...

Mais pour l’avenir, chacun s’interroge. Tout dépendra, bien sûr, de l’issue des négociations et du contenu d’un éventuel accord entre Bruxelles et les Britanniques. Premier point d’interrogation, les visas. "En cas d’accord, il n’y aura guère de changement. Sinon, une phase de transition est prévue jusqu’au 31 décembre 2020 (ou au-delà en raison du nouveau report au 31 janvier), durant laquelle il faudra demander une autorisation de séjour temporaire, valable trois ans. Ensuite, à partir de 2021, il faudra solliciter un visa d’étudiant, accordé au cas par cas", expose Frank Bournois, président de la Commission formation à la Conférence des grandes écoles (CGE) et directeur général d’ESCP Europe.

Autre question cruciale, les frais de scolarité. Actuellement, ils sont identiques pour les étudiants européens et les Britanniques. "En cas de Brexit sans accord, les tarifs s’aligneront sur ceux des étudiants internationaux, prévoit Thomas Flichy de La Neuville, professeur de géopolitique à Rennes School of Business. Mais la hausse serait compensée en partie par la baisse de la livre." On peut s’attendre toutefois à un bond significatif - de l’ordre de 50%, voire davantage.

...Comme sur les accords de mobilité et la reconnaissance des diplômes

Pour les accords de mobilité - à commencer par le programme Erasmus + - il est probable qu’un accord sera trouvé, qui donnera au Royaume-Uni le même statut de "pays associé" que la Suisse ou la Norvège. Quant à la reconnaissance des diplômes, elle ne dépend pas toujours de l’UE et est souvent le fait d’accords entre Etats. Un mémento publié récemment par les autorités britanniques revient sur ces différents points et précise les modalités selon les différentes options.

De toute façon, les écoles françaises les plus présentes outre-Manche ont pris leurs précautions. ESCP Europe figure ainsi parmi les 387 institutions reconnues par l’Office for Students britannique. "Nous sommes un établissement anglais, avec les mêmes droits que les autres. Cela nous met à l’abri de mauvaises surprises", souligne Frank Bournois. De son côté, EM Normandie a choisi de créer une société de droit britannique, pour pallier les problèmes liés au Brexit.

Je n’imagine pas les Britanniques se tirer une balle dans le pied en empêchant les Européens de venir étudier ou enseigner chez eux. (J-G. Bernard)

"En réalité, même avec un Brexit dur, il ne devrait pas y avoir trop de problèmes, résume Frank Bournois. L’accueil d’étudiants étrangers est trop important - y compris au plan financier - pour que les Britanniques y renoncent. Ils devraient se montrer assez conciliants." Même point de vue pour Jean-Guy Bernard, directeur général d’EM Normandie : "Je n’imagine pas les Britanniques se tirer une balle dans le pied en empêchant les Européens de venir étudier ou enseigner chez eux."

En 2017-2018, le Royaume-Uni accueillait 422.000 étudiants étrangers (soit 22% de l’effectif total), dont 125.000 Européens… Le Brexit pourrait cependant avoir des retombées importantes sur la circulation des étudiants et des professeurs extra-européens. Déjà, quelques écoles commencent à recevoir des CV d’enseignants internationaux en poste au Royaume-Uni. Des étudiants brésiliens ou chinois, qui ciblaient le Royaume-Uni, envisagent désormais d’autres destinations.

Les CV d'enseignants-chercheurs commencent à circuler

Nombre de pays - à commencer par la France - regardent ce public avec convoitise. "Ce sera peut-être le véritable enjeu après le Brexit", juge Frank Bournois. "La Grande-Bretagne va cesser d’être une porte d’entrée pour l’Europe, et cela pourrait profiter à nos écoles, confirme Christian Lerminiaux. Mais d’autres pays européens vont en bénéficier davantage, car nous n’offrons pas assez de cours en anglais, et notre stratégie commerciale n’est pas assez musclée."

Pour Thomas Flichy de La Neuville, les bienfaits à attendre du Brexit devraient rester limités : "Certes, il peut constituer une chance pour les écoles les plus ouvertes sur l’international. Mais les autres n’en tireront aucun bénéfice. Et au final, le Brexit pourrait bien renforcer le modèle éducatif anglo-saxon, notamment en resserrant les liens entre les universités britanniques et celles d’outre-Atlantique."

Dans tous les cas de figure, la situation pourrait encore évoluer dans les mois qui viennent. Tout ne sera pas figé au soir du 31 octobre. Le feuilleton du Brexit, avec ses conséquences pour l’enseignement supérieur, n’est peut-être pas terminé.

Jean-Claude Lewandowski | Publié le