Écoles de commerce : des frais de scolarité trop élevés pour des enseignements à distance ?

Agnès Millet Publié le
Écoles de commerce : des frais de scolarité trop élevés pour des enseignements à distance ?
Une pétition a été lancée pour dénoncer les frais de scolarité trop élevés des écoles de commerce. // ©  Bostanika/Adobe Stock
Fin octobre 2020, une pétition a été lancée pour demander un remboursement partiel des droits de scolarité des écoles de commerce. En cause : des frais considérés comme trop élevés en regard des modalités distancielles. Les écoles se défendent : des investissements ont été faits et des baisses mettraient en péril leur modèle économique. EducPros revient sur les enjeux.

Avec des tarifs allant de 6.883 € pour l’IMT BS à 16.100 € annuels pour ESCP business school, la question des droits de scolarité en école de management est sensible. La crise sanitaire et la nécessité d’un enseignement en distanciel a rendu le sujet encore plus explosif. Fin octobre, une pétition réclamant le remboursement partiel des frais de scolarité est lancée et recueillait 22.313 signatures, le 21 décembre 2020.

Payer plus cher pour "des cours de moins bonne qualité"

Selon ses auteurs, "nombre d'élèves" s'interrogent "sur la légitimité du montant payé". Ils estiment payer "plus cher que leurs prédécesseurs pour des cours de moins bonne qualité". En cause : le distanciel qui complique l'assimilation des cours, empêche les travaux de groupes et l’accès aux installations de l'école.

Les signataires dénoncent aussi l’accroissement de la précarité étudiante et la difficulté financière de certaines familles.

Marie-Claire, mère d’un étudiant en 2e année à l’EM Normandie, a d'abord trouvé pertinente la demande de retour financier aux familles. "Je n’imaginais pas un remboursement, mais plutôt un geste envers les étudiants : peut-être, après la crise sanitaire, un week-end de réintégration pour refédérer les promotions."

Un équilibre budgétaire qui dépend des frais de scolarité

Face au mécontentement, le Chapitre des écoles de management de la CGE (Conférence des grandes écoles) a réagi. Dans une lettre ouverte du 12 novembre, il indique que les droits de scolarité versés par les familles ne couvrent pas le coût réel moyen de formation, estimé entre 15 et 20.000 € annuels.

Pour compenser l’écart, les écoles diversifient leurs revenus, fragilisés depuis le retrait des CCI (Chambres de commerce et d'industrie). Le budget type est "composé de 70% de frais de scolarité, 10 à 20% de formation continue et 10 à 20% de financements via la taxe d’apprentissage, les fonds privés, les alumni…". A Rennes SB, les droits de scolarité représentent jusqu'à 86% du budget.

Côté dépenses, la masse salariale représente souvent plus de la moitié des efforts. Restent les charges liées aux bâtiments, à la technologie, aux services support et à la recherche.

Surtout, les écoles rappellent qu’elles sont le plus souvent des associations de loi 1901 à but non lucratif. Ce statut implique que les écoles ne font pas de bénéfices et leur impose de les réinvestir dans les infrastructures, le matériel ou la pédagogie.

Quant à un moratoire sur la hausse de frais, elles déclarent ne pas pouvoir s’engager sans avoir la garantie que leurs autres sources de revenus seront maintenues.

Un investissement financier dans des équipements

Les écoles font aussi savoir que la mise en place du distanciel a coûté plus cher que des cours en présentiel. Le 19 novembre, lors d’un webinaire pour les élèves de l’EM Normandie, Elian Pilvin, directeur de l’école, précise que 1,3 million € ont été investis depuis mars (matériel, abonnement et flux d’internet). Tandis que les économies du premier confinement se chiffrent à 360.000 €.

Les écoles précisent avoir toutes mis en place des fonds d’urgence pour les étudiants précaires, dotés en moyenne de 300.000 €.

Elles insistent sur la qualité de leur travail, puisque "les maquettes des programmes sont respectées". In fine, le diplôme aura "une valeur équivalente". Accepter des remboursements reviendrait à déséquilibrer les budgets et arrêter les actions mises en place, avec le risque de créer une génération sacrifiée de diplômés que "les recruteurs n’embaucheront pas".

Avec le webinaire de l'EM Normandie, Marie-Claire a "compris les arguments de l’école" : "Je ne pensais pas que les investissements étaient si importants. Et je préfère qu’ils accompagnent au mieux les étudiants pour une insertion dans le monde économique plutôt que de récupérer 200 €".

Une fronde apaisée ?

Alice Guilhon, présidente du Chapitre des écoles de management, dit "comprendre les signataires". "J’entends cela comme une demande de clarification, à laquelle nous avons répondu. Notre engagement social et moral est de chercher des compléments de revenus pour que les familles ne payent pas des coûts très hauts, comme aux États-Unis", précise la présidente.

Selon elle, "il faut démystifier les écoles : elles ne sont pas riches et ne volent personne. Rien n’est caché : nos comptes – comme ceux de toute association - sont sur les sites des préfectures".

Dans un tweet, le Bureau national des étudiants en école de management (Bnem) appelle à la mesure. Étienne Loos, le président, précise que "la CGE nous a donné les réponses qu’on attendait. Mais la transparence des frais est un point de vigilance".

Le modèle économique des écoles en question

Tout n’est peut-être pas terminé. Les écoles réfléchissent à leur modèle économique. Par ailleurs, pour, Alice Guilhon, "les combats ne sont pas là, dans la question du remboursement. Cette crise est aussi sociale : il faut discuter pour aller vers plus d’ouverture".

Un chantier mis en place par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et dont les premières pistes ont été rendues publiques fin 2020.

D’autres observateurs, comme Jean-Paul Crenn, intervenant à TBS – école ayant fait face à une pétition de ses élèves pour un remboursement – sont plus critiques. Selon lui, c’est "le bon moment pour les écoles de commerce de se remettre en cause. Elles sont sur une mauvaise pente depuis plusieurs années et sont devenues obsolètes : il y a un écart entre ce qu’elles enseignent et la réalité de l’entreprise".

Résultat : "le décalage entre les frais qu’elles appliquent et leurs prestations est devenu plus criant avec la crise". L’enseignant estime que "les écoles pourraient baisser leur fais, même symboliquement, pour montrer qu’elles sont à l’écoute".

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