Épreuves de spécialité en mars : "On n’a jamais vécu autant de pression" en tant que professeurs

Marine Ilario Publié le
Épreuves de spécialité en mars : "On n’a jamais vécu autant de pression" en tant que professeurs
REA épreuves de spécialités // ©  Nicolas Tavernier/REA
Pour la première fois depuis la mise en place de la réforme du bac, les épreuves de spécialité se tiennent du 20 au 22 mars. Calendrier très serré, pression de Parcoursup, risque de rupture d’égalité entre les candidats, décrochage des élèves après les épreuves, poids des notes… Les professeurs font face à des difficultés multiples.

"On en vient à espérer ne pas tomber malade". Pour finir les programmes à temps, Marie-Thérèse Lehoucq, présidente de l’UDPPC (l’Union des professeurs de physique et de chimie) déplore la forte pression qui pèse sur les professeurs de spécialités en vue des épreuves qui se tiennent, pour la première fois depuis la mise en place de la réforme du lycée, en mars.

Depuis plusieurs mois, les associations de professeurs de spécialités mais aussi les syndicats d’enseignants réclament le report de ces épreuves. Une demande qui n’a pas été entendue par le ministère de l'Education nationale. Pourtant, les difficultés auxquelles sont confrontés les professeurs sont multiples et pèsent non seulement sur eux, mais aussi sur les élèves.

Spécialités : un calendrier difficilement tenable

"On n’arrive pas à faire en sorte que les élèves aient le temps de l’assimilation des connaissances. On est en permanence sous pression pour arriver à cette échéance du mois de mars", regrette David Boudeau, président de l'APBG (l’Association des professeurs de biologie et de géologie). Car même si les programmes de spécialité pour les épreuves ont été resserrés, ils n’en restent pas moins denses et difficilement atteignables.

On est en permanence sous pression pour arriver à cette échéance du mois de mars. (D. Boudeau, APBG)

En devenant des spécialités, le volume horaire de ces matières a quasiment doublé. "Avant en SVT, c’était trois heures et demi de cours par semaine. Aujourd’hui c’est six heures", précise David Boudeau. "Donc même si les programmes sont resserrés, la quantité de connaissances à acquérir est tout aussi, voire plus importante". Une situation qui panique les élèves de terminale depuis le retour des vacances d’hiver, parfois habitués à "bachoter un mois avant les épreuves", reconnaît le président de l’APBG.

Des effets de la pandémie encore visibles au lycée

Sans compter que l’assimilation des connaissances ne suffit pas pour réussir les épreuves. "Il faut aussi maîtriser toute la méthodologie qui s’acquiert en première et en terminale", rappelle Christine Guimonnet, secrétaire générale de l'APHG (l’Association des professeurs d'histoire et de géographie).

Or, les années précédentes, avec la crise sanitaire, les élèves ont vécu des bouleversements dans leur scolarité qui ont parfois rendu plus compliquée l’acquisition de notions essentielles ou de la méthodologie : confinement, classe en demi-jauge, cours en distanciel, absentéisme, etc. "On ne peut pas faire comme si la pandémie n’avait pas existé", s’agace Christine Guimonnet.

Une pression supplémentaire avec Parcoursup

Concrètement, si les épreuves de spécialité se tiennent en mars, c’est pour intégrer ces notes dans le dossier Parcoursup. "Certaines filières du supérieur disent en avoir besoin pour sélectionner les candidats" explique Marie-Thérèse Lehoucq. "On a alors la formation et la sélection des élèves qui ont lieu en simultané dans un temps très court : un semestre". Conséquence ? "La moindre note, tout est pesé. On n’a jamais vécu autant de stress".

La moindre note, tout est pesé. On n’a jamais vécu autant de stress. (M-T. Lehoucq, UDPPC)

Une pression supplémentaire tellement anxiogène qu’elle prend toute l’attention des élèves qui, par ricochets, "ne sont plus disponibles pour les apprentissages en classe. Certains vont même jusqu’à élaborer des stratégies d’éviction des contrôles pour s’assurer un bon dossier" déplore Christine Guimonnet.

Rupture d’égalité entre les élèves et harmonisation des notes

Les enseignants craignent aussi une rupture d’égalité entre les candidats avec des épreuves qui se tiennent sur plusieurs jours. "Il faut prévoir des sujets de difficulté équivalente, mais ce n’est pas si simple parce que les ressentis seront différents en fonction des candidats", remarque la secrétaire générale de l'APHG qui craint de nombreuses saisines du juge administratif.

Il faut prévoir des sujets de difficulté équivalente, mais ce n’est pas si simple parce que les ressentis seront différents en fonction des candidats. (C. Guimonnet, APHG)

Cette inégalité de fait entre les sujets va automatiquement induire une harmonisation des notes de la part des correcteurs. Avec l’appréhension de voir se reproduire une double harmonisation à l’image de ce qui avait été fait l’année dernière. Une harmonisation "à la hausse" comme le concède David Boudeau.

Un paradoxe pour le président de l'APBG qui se demande en quoi ces notes refléteront vraiment le niveau des élèves et seront utiles pour la sélection des dossiers sur Parcoursup.

Le défi de l'implication des élèves

A toutes ces interrogations, beaucoup d'enseignants s'inquiètent d’une démobilisation des élèves, une fois les épreuves de spécialité passées. Pour Christine Guimonnet pas de doute, "mettre les épreuves en mars c’est le meilleur moyen pour que, au mieux, les élèves soient moins investis dans les cours, au pire, qu’ils ne viennent plus du tout".

Cette année, il reste deux mois de programme à faire, pourtant j’ai déjà des élèves qui me demandent ce qu’on va faire après ! (D. Boudeau, APBG)

Sans en être certain, David Boudeau note des signes avant-coureurs qui laissent présager cette démotivation. "L’année dernière, nous avions constaté une désaffection des élèves, mais il ne restait que deux semaines de cours, donc c’était gérable. Cette année, il reste deux mois de programme à faire, pourtant j’ai déjà des élèves qui me demandent ce qu’on va faire après !"

L’échéance du grand oral, qui entend mobiliser des notions de cours de spécialités, ne suffira pas à remobiliser les élèves. "Le grand oral c’est dix minutes d’entretien. Cela ne nécessite pas des heures et des semaines de séances pour le préparer".

Des États généraux après les épreuves de spécialité

Malgré les nombreuses demandes de report, les épreuves de spécialité devraient bien se tenir du 20 au 22 mars. Une déception pour Marie-Thérèse Lehoucq qui regrette qu’aucun compromis n’ait pu être trouvé. "Il faudra tirer un bilan de tout ça".

Les associations disciplinaires prévoient déjà "la mise en place d’États généraux du lycée et du bac avec une consultation nationale et la rédaction de cahiers de doléances que nous apporterons au ministère en fin d’année" conclut David Boudeau.

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