Internet, compagnon de route de la mobilisation des enseignants-chercheurs

Fabienne Guimont Publié le
Internet, compagnon de route de la mobilisation des enseignants-chercheurs
Valérie Robert, de SLU // © 
Quel rôle ont joué les nouveaux médias et Internet dans cette mobilisation d’ampleur historique chez les enseignants-chercheurs ? Zoom sur la stratégie de communication de SLU (Sauvons l’université), un des acteurs clés du mouvement actuel, et sa "responsable" médias, Valérie Robert.

Flashback. Novembre 2007 : le collectif Sauvons l’université (SLU) engage une mobilisation des enseignants-chercheurs contre la loi sur l’autonomie des universités dite LRU, adoptée en plein mois d’août précédent. Les étudiants emmenés par l’UNEF focalisent l’attention médiatique. Le collectif dénonce alors « le silence des journalistes » sur cette mobilisation, « l’omerta sur les universités » et une parole publique monopolisée par la CPU (voir l’interview de Françoise Asso ).

Internet : une tribune alternative

«Lors du mouvement anti-LRU, il n’y avait pas moyen de faire passer des tribunes dans les médias papier. Internet est alors devenu un support idéal ou un refuge pour débattre, informer, avoir la place de développer les idées que les universitaires n’aiment pas simplifier», analyse avec du recul Valérie Robert, en charge de la communication avec les médias pour SLU.

Elle a aussi tout de suite compris que la Toile était devenue l’outil privilégié des universitaires. Souvent privés de bureau dans leur établissement, Internet leur sert de bureau virtuel. « La mobilisation passe par Internet. Les universitaires y sont très actifs, ils peuvent s’y exprimer, travailler sur le texte. Ils sont prédisposés à ce genre d’activités », se réjouit-elle. Un atout de plus sur lequel s’appuyer.

Hiver 2008-2009 : les enseignants-chercheurs, juristes en tête, enclenchent le mouvement de mobilisation pour protester contre le décret réformant leur statut. Une mise en conformité dans la logique d'universités vouées à devenir autonomes. S’ensuivent rétentions de notes, grève illimitée, manifestations, non remontée de maquettes de master enseignement, initiatives multiples de cours alternatifs et plusieurs semaines (mois ?) de mobilisation.

Valérie Robert « s’occupe des médias »

Mais là, ces actions seront largement relayées par tous les médias. Car cette fois-ci, SLU a pris le taureau par les cornes, en mettant Internet au cœur de sa stratégie. Derrière cette communication très réactive, pas de hasard. Maître de conférences en études germanistes à Paris 3 et directrice du master de journalisme franco-allemand, Valérie Robert, militante bénévole à SLU, « s’occupe des médias ». Elle n’est pas la seule dans l’association sur ce créneau. Ce travail est conçu collectivement… mais son nom est sur tous les mails envoyés aux journalistes.

L’engagement de cette jolie brunette passe par la communication web 2.0. Qui n’a rien d’amateur. En son temps, elle a fait un travail de recherche sur « Internet, un nouvel espace de communication » dans la lutte contre l’extrême droite autrichienne. Ce mouvement lui offre en quelque sorte un nouveau terrain d’application.
 
Son travail consiste à dépouiller 300 à 400 mails, à organiser une veille de l’information dans la presse, sur les blogs, les listes de diffusion syndicales, les comités locaux de mobilisation... Elle y passe environ deux heures tous les jours. Sans compter les contacts avec les journalistes pour la coordination des universités les jours de réunions nationales.

Le mail, l’arme de diffusion massive

A quoi sert ce travail de bénédictin de veille et comment a-t-il été pensé ? « Le site de SLU , conçu comme une « plateforme d’informations » ne suffit plus à assurer le relais auprès des médias. Et le pari fait par SLU est à l’opposé des listes de diffusion syndicales : les sources d’information relayées auprès de l’ensemble des médias sont multiples », explique-t-elle. Le mouvement s’est en effet organisé autour de coordinations (des universités, de la formation des enseignants, des IUT, des étudiants), des collectifs, de la CPU et des syndicats (négociateurs ou non autour de la réécriture du texte du décret). 

Les médias ne pourront pas dire qu’ils ne sont pas…inondés d’informations sur le sujet. Les journalistes éducation reçoivent les mails de SLU plusieurs fois par jour. 54 décomptés en février 2009. Et le rythme s’accélère : 34 sur la seule période du 1er au 12 mars 2009 ! Communiqués des différentes coordinations et associations, compilation des programmes de cours alternatifs dans les universités, revue de presse, de blogs, annonces des futures actions…

Soigner son image… en images

SLU a aussi compris qu’une communication efficace reposait sur la production d’images. Internet utilisé comme incontournable canal de communication et de diffusion de l’information impose de nouvelles figures à la mobilisation. Les cours alternatifs auraient-ils été autant relayés sans cette médiatisation à outrance ? « Pour que les télévisions s’intéressent au mouvement, je savais que les images étaient nécessaires », explique cette spécialiste du discours médiatique.

Plutôt qu’une université en grève, «il fallait mieux pour notre image que les télés puissent montrer un prof en train de faire cours à Bastille ».
Une idée que la coordination nationale des universités a aussi en tête. Place donc à la créativité dans les manifestations avec des « cœurs » envoyés à Valérie Pécresse devant le ministère, des latinistes en toge ou des cercueils dans les cortèges…

Des images que Valérie Robert produit aussi elle-même. Contre la réforme de la mastérisation, son film « Tout savoir sur la formation des profs » arrive en tête de sa catégorie avec près de 61 000 visiteurs depuis novembre 2008. Les films postés sur YouTube remplacent très efficacement les tracts papier pour porter des revendications en AG.

Et la vie après la mobilisation ? « J’aimerai retourner à mes chères études. Et peut-être écrire un article sur la mobilisation et les médias, qui va me servir dans mon cours », sourit Valérie Robert. Dans le militantisme, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

Fabienne Guimont | Publié le