Le tribunal en ligne des formateurs d’avocats

Géraldine Dauvergne Publié le
Le tribunal en ligne des formateurs d’avocats
(Szlea/flickr) // © 
Il est paru dans le JO du 8 avril 2007  – un dimanche ensoleillé, à la veille de Pâques et des vacances scolaires. L’arrêté du 21 mars 2007 autorise les diplômés des mentions « carrières judiciaires et juridiques » et « droit économique » de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris à se présenter directement à l’examen d’entrée des centres régionaux de formation à la profession d’avocat (CRFPA). Ce texte fait pourtant l’effet d’une bombe auprès des membres des facultés de droit, qui bataillent depuis longtemps pour se garantir le monopole de la formation des futurs avocats (1). 

Le 12 avril, Frédéric Rolin, professeur de droit public à l’université Paris 10, lance sur son blog (2) un « appel contre la remise en cause de l’utilité des études juridiques dans la formation des avocats ». Le lendemain, Richard Descoings, directeur de Sciences po Paris, répond sur son propre blog (3), suscitant un débat en ligne passionné entre enseignants, avocats et étudiants (4). Les universitaires y dénoncent la légèreté de la formation en droit au sein de Sciences po.

Les signataires de la pétition émise par Frédéric Rolin évaluent à « trois semestres » la durée des enseignements juridiques à Sciences po, insuffisante au regard des cinq années de droit suivies par un étudiant de la fac. Mais cet argument est souvent contesté : « Les magistrats sont déjà formés pour la plupart par Sciences po ! » Ou encore : « De toute façon, les facultés ne préparent pas davantage que Sciences po au métier d’avocat : les stages sont quasi inexistants. » Et chacun de compter les heures de cours, de comparer les emplois du temps...Richard Descoings énumère sur son blog les noms – prestigieux – des enseignants en droit de l’institution qu’il dirige. Ses partisans ne manquent pas de relever les contradictions du discours des universitaires : si les diplômés de Sciences po sont de si mauvais juristes, pourquoi font-ils si peur ?  Bref, l’antagonisme entre diplômés des grandes écoles et des universités sous-tend la discussion. 

Le double cursus

En sourdine, la rivalité entre grandes écoles et universités. Le camp des universitaires dénonce ainsi la création, à travers ce nouvel arrêté, d’une véritable grande école du droit, élitiste, tandis que l’université continuerait, seule et avec des moyens limités, à accueillir les étudiants de milieux défavorisés.

Deuxième préoccupation : comme l’IEP parisien est autorisé à préparer ses élèves au concours d’avocat, pourquoi pas bientôt HEC ou l’ESSEC ? « Le double cursus (5) devient déjà la norme, s’inquiètent plusieurs étudiants en droit. Certains cabinets ne recrutent plus les candidats qui n’ont qu’un simple diplôme de droit. » Face à cette concurrence de toutes parts, enseignants et étudiants en droit s’accordent sur la nécessité de protéger l’attractivité de leurs établissements. Richard Descoings peut clamer à longueur de blog ses sentiments bien intentionnés à leur égard. « Loin de réconcilier les deux fleurons de notre éducation, université et grandes écoles, cet arrêté les éloigne », constate un étudiant. 

« Aimable » échange intellectuel ou réel rapport de force ?

La manière dont l’arrêté de la discorde a été mis en place semble ne rien devoir au hasard : signé par Jean-Marc Monteil le 21 mars – le jour même où celui-ci quittait ses fonctions de directeur général de l’enseignement supérieur ! –, sans aucun débat préalable ni examen par le CNESER... « Ce qui est très critiquable dans cet arrêté est la façon dont il a été pris : en pleine période électorale et en catimini, probablement grâce à l’influence du directeur de l’école auprès du ministère, en escamotant un débat qui se déroule après, sur ce blog, lorsque le mal est fait », conclut un internaute.

(1)   Arrêté du 15 août 1995, décision du 13 juin 1997 du Conseil d’État, arrêté modificatif du 9 décembre 1998, et arrêté de novembre 2004 réservant aux facultés de droit la délivrance du diplôme national de master (JO du 18 décembre 2004).

(2)   http://frederic-rolin.blogspirit. com. La pétition des universitaires compte aujourd’hui plus de 300 signatures d’enseignants dans les facultés de droit. Frédéric Rolin se livre à une recherche de documents afin de constituer un recours.

(3)    http://richard-descoings.net .

(4)   http://leblogdedimitri houtcieff.blogspirit.com, www.fnuja.com, etc.

(5)   Diplôme d’avocat doublé d’un diplôme d’IEP ou d’école de commerce. (

Géraldine Dauvergne | Publié le