L'efficacité des groupes de niveau contestée par les chercheurs

Charlotte Mauger Publié le
L'efficacité des groupes de niveau contestée par les chercheurs
La recherche contredit l'efficacité annoncé des groupes de niveau. // ©  DEEPOL by plainpicture
Gabriel Attal a annoncé sa volonté de scinder les groupes classes du collège en trois, selon les résultats des élèves. Pourtant, les chercheurs et chercheuses qui ont étudié l'intérêt de ces regroupements pointent leur inefficacité et leurs effets sur le bien-être et le niveau des élèves en difficulté.

Une organisation de l'école "qui condamne certains à stagner et empêche d'autres de s'envoler. Une sorte de perdant-perdant". C'est avec ces mots que l'ancien ministre de l'Éducation nationale devenu Premier ministre, Gabriel Attal, décrivait le collège français en décembre dernier.  

Il annonçait alors remplacer les groupes classes traditionnels par des groupes de niveau en français et en mathématiques. À la rentrée 2024, les élèves de 6e et de 5e seront ainsi répartis en trois groupes au sein d'une même classe selon leurs résultats scolaires.  

Une mesure loin de faire consensus… Après plusieurs semaines d''incertitude et le départ d'Amélie Oudéa-Castéra, c'est Nicole Belloubet, ministre de l'Éducation nationale depuis le 8 février, qui précise le cadre d'application du dispositif. Le 7 mars, elle évoque des "groupes de besoins", à déterminer et mettre en place à l'appréciation des principaux de collèges selon la situation de leurs établissements

Le Premier ministre Gabriel Attal, lui-même, complète ses propos, le 13 mars, dans un entretien à l’AFP, pour réaffirmer que "la règle, c'est le groupe, et l'exception, très encadrée, c'est la classe." Quelques jours plus tard, le 17 mars, les arrêtés instituant le dispositif sont publiés au Journal officiel, complétés par une note de service.

Pourtant, les chercheurs ayant étudié l’efficacité des groupes de niveau sont loin d'être convaincus. Décryptage. 

Une absence d'amélioration des résultats

Le principe est simple : créer des groupes homogènes d'élèves pour proposer des enseignements adaptés au niveau de chacun. Mais est-ce que cela fonctionne ? Pas vraiment, répondent plusieurs études scientifiques et enquêtes de terrain.  

La synthèse PISA 2022 indique, par exemple, que la séparation en groupes de niveau n'entraîne pas d'amélioration des résultats. Notamment parce que l'hétérogénéité d'un groupe peut être bénéfique. Sans elle, "les élèves des groupes de plus faibles niveaux risquent de ne pas bénéficier des effets positifs de la présence de pairs plus compétents", pointe-t-elle.

Des groupes qui risquent de creuser les écarts de niveau

Plus qu'inefficaces, "ces pratiques sont plutôt riches d'effets pervers", écrivaient deux chercheurs de l'université de Louvain (Belgique) en 2004. "Les regroupements par aptitude ont tendance à stigmatiser et démotiver les élèves les plus faibles et à besoins particuliers", prévient Romuald Normand, chercheur à l'université de Strasbourg et spécialiste des politiques éducatives.   

Les regroupements par aptitude ont tendance à stigmatiser et démotiver les élèves les plus faibles et à besoins particuliers. (R. Normand, université de Strasbourg)

De plus, des enquêtes mettent en garde sur la qualité de l'enseignement. Les groupes de niveaux plus faibles pourraient être de moins bonne qualité et moins stimulant, tout en proposant des objectifs plus bas que dans les autres groupes. Ce qui ne ferait que creuser les écarts. 

Des inégalités sociales renforcées

Surtout, cela pourrait aggraver les inégalités du système éducatif français. Les résultats de PISA 2022 indiquent que la France est un pays où le niveau scolaire et l'origine sociale des élèves sont fortement liés.  

"On fait un clivage social horrible : on va mettre dans un même groupe des élèves de milieux défavorisés et les élèves en situation de handicap. On est en train de faire une sorte d'école de la ségrégation, alerte Mélanie Guenais, vice-présidente de la Société Mathématiques de France, responsable du pôle Education. Or, l'école doit être un lieu d'interactions sociales."

On est en train de faire une sorte d'école de la ségrégation. (M. Guenais, Société mathématiques de France)

D'autre part, cette mise en place nécessite des besoins humains, en l'occurrence, la création de 2.330 postes, dans un contexte de manque de professeurs.  

Les regroupements par niveau, bénéfiques sous certaines conditions

Faut-il alors éviter les regroupements par niveau ? Pas forcément, car sous certaines conditions précises, ils peuvent bénéficier aux élèves.  

Pour atteindre cet objectif, les groupes doivent être composés de faibles effectifs. Ils doivent également miser sur une pédagogie qui met en valeur les compétences psychosociales des élèves, c'est-à-dire apprendre à communiquer, à faire confiance, donner du sens à l'apprentissage… "Et en France, nous sommes encore loin de ces pratiques", décrit Romuald Normand.  

Surtout, il faut que les groupes soient flexibles : ils doivent évoluer dans le temps selon les besoins des élèves. "Ces changements de groupe ne doivent pas se faire par trimestre, donc en fonction d'un agenda bureaucratique", insiste le chercheur.  

Une recommandation entendue par le Premier ministre. Le 13 mars, Gabriel Attal précise qu’il sera permis de "faire le point sur le niveau des élèves, ce qui permettra de changer de groupe". 

Charlotte Mauger | Publié le