Quel avenir pour la prépa éco après la suspension du projet de réforme ?

Agnès Millet Publié le
Quel avenir pour la prépa éco après la suspension du projet de réforme ?
adobe classe prépa école // ©  Seventyfour/Adobe Stock
Pour faire face à l'érosion des effectifs des prépas économiques et commerciales, un projet de réforme était en discussion depuis plusieurs mois avec le ministère de l'Enseignement supérieur. Après une mobilisation des professeurs, le projet est suspendu. Mais des solutions restent à trouver pour rétablir l'attractivité des CPGE ECG.

Quand et comment les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) économiques retrouveront-elles leur pouvoir de séduction auprès des lycéens ? Finalement, cette colle ne trouvera pas de réponse rapidement. En discussion depuis plusieurs mois, le projet de réforme a été suspendu par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, mercredi 8 mars.

Depuis quelques années, le refrain sur la baisse des effectifs en prépa éco reste récurrent. Concurrence des bachelors dans les écoles de commerce, admissions parallèles, pédagogie moins adaptée aux nouvelles générations, les raisons diffèrent selon les observateurs.

La réforme du bac accélère la baisse des effectifs en prépa

Et la tendance s'est brusquement aggravée, à la rentrée 2021, au moment de la fusion des filières scientifique (prépa ECS) et économique (prépa ECE) en une seule prépa. Cette nouvelle prépa économique voie générale (ECG) propose deux options de maths et deux options de sciences humaines. Objectif : suivre la réforme du bac général et la mise en place de spécialités.

Mais les candidats manquent à l'appel et les effectifs des entrants s'effondrent de 10,4%. Certains acteurs pointent un timing défavorable : les lycéens n'ont pas pu se renseigner sur cette nouvelle prépa dans les salons d'orientation ou dans les lycées, pour cause de crise sanitaire.

D'autres déplorent une difficulté structurelle : les lycéens - et surtout les lycéennes - boudent la spécialité maths, indispensable pour intégrer la prépa éco et le vivier de candidats potentiels s'est réduit par rapport aux anciens bacs ES et S. Justifiées par le manque d'élèves, des fermetures de classes prépas sont annoncées pour la rentrée 2022.

Un projet de réforme des prépas ECG unanimement rejeté

En décembre 2022, un comité de pilotage est lancé pour s'attaquer au problème. Les représentants des professeurs de prépa, des grandes écoles et des deux ministères (Éducation nationale et Enseignement supérieur) échangent sur les raisons de la désaffection et les remèdes à apporter.

Si la réunion de décembre et celle de janvier se déroulent sereinement, la machine se grippe en février. "Lors du copil de mi-février, nous avons eu le sentiment que la discussion était fermée. Un scenario était présenté, sans discussion", confie Alain Joyeux, président de l'Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC).

Lors du copil de mi-février, nous avons eu le sentiment que la discussion était fermée. Un scenario était présenté, sans discussion. (A. Joyeux, APHEC)

Cette maquette, prévue pour la rentrée 2024, impliquerait une diminution des heures de maths, de lettres et philosophie, la mise en place d'options ainsi que la création d'un enseignement de développement durable et de TIPE (travaux d'initiative personnelle encadrés).

Ce scenario fait l'unanimité contre lui à l'APHEC, qui demande immédiatement le retrait "du projet de déconstruction" des prépas ECG, mené "avec la complicité d'un petit nombre d'écoles de commerce" et "sans aucune concertation" avec les professeurs.

Pour eux, le projet dégrade la qualité de l'enseignement délivré, menace des postes de professeurs et le maintien de certaines classes prépas de proximité. Surtout, au lieu d'améliorer la visibilité de la filière, celle-ci n'en deviendrait que plus difficile à comprendre. "Le remède donc, nous paraissait pire que le mal", conclut Alain Joyeux.


Des écoles de commerce très discrètes

De leur côté les écoles de commerce restent discrètes sur le projet de réforme, malgré la demande de l'APHEC de "ne pas soutenir [ce] projet de réforme" et "de se prononcer clairement en ce sens". Une discrétion qu'explique Alice Guilhon, présidente de la Conférence des directeurs d'écoles françaises du management (Cdfem), lors d'une conférence de presse, le 9 mars. "Il ne faut pas communiquer pendant que l'on réfléchit parce que c'est peut-être mieux de réfléchir à 10 qu'à 5.000", estime-t-elle.

En revanche, les grandes écoles rappellent l'importance du continuum CPGE-grande école et aux élèves de prépa. Dans un communiqué publié le 14 mars, la Cdfem "réaffirme son attachement fort aux classes préparatoires" et dit vouloir "continuer à échanger avec leurs parties prenantes pour identifier les pistes d’évolution qui permettront de renforcer l’attractivité de ce cursus d’excellence".

Un appel à la grève pour retirer le projet de réforme

Le dialogue semble rompu. Début mars, dix organisations syndicales demandent le retrait de la réforme aux ministères, contactent des élus et une pétition est lancée.

Le 6 mars, un collectif Grève ECG appelle à la grève le 16 mars, date de la dernière réunion du comité de pilotage. Une manifestation est prévue devant le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Un mode de contestation peu courant dans le milieu des CPGE. "La dernière grève remonte à 2013", relève Alain Joyeux.

Apaiser la situation et trouver des solutions

Mais finalement, le 8 mars, la décision est prise de mettre la réforme en stand-by. La réunion du 16 mars est annulée, tandis que sont levés préavis de grève et appel à la manifestation. "Pour l’instant, il faut faire retomber un peu la tension avant d’envisager plus sereinement les suites. Je note néanmoins avec plaisir la réaffirmation du soutien des grandes écoles aux prépas par la présidente de la Cdfem", commente Alain Joyeux.

Pour l’instant, il faut faire retomber un peu la tension avant d’envisager plus sereinement les suites. (A. Joyeux)

La Cdfem veut, dès maintenant, lancer un chantier : celui de l'information. La filière prépa serait mal connue, propice à de nombreux préjugés face à des offres alternatives nombreuses.

"Collectivement, nous avons pensé que les prépas attireraient toujours. Mais la société évolue. Peut-être que l'on aurait dû communiquer davantage", analyse Alice Guilhon qui précise qu''une grande campagne de communication sera probablement lancée" auprès des lycées et des familles, en lien avec les CPGE.

D'autres pistes sont à réexplorer, qui ne font pas toujours consensus : proposer des découvertes d'entreprises, revoir les maquettes et les intitulés de cours, valoriser les parcours des ex-préparationnaires au sein des grandes écoles, rénover les épreuves des concours…

Car les professeurs de prépa, les grandes écoles et les ministères se rejoignent toujours sur le fait qu'il faut apporter des solutions pour améliorer l'attractivité des prépas ECG. Et si, "a priori", aucune fermeture n'est prévue pour la rentrée 2023, l'APHEC demeure vigilante pour la rentrée suivante. Reste à restaurer un dialogue serein entre toutes les parties.


Des chiffres d'effectifs 2022 en prépa ECG à manier avec précaution
Confusion supplémentaire pendant ces débats : publiée en février 2023, une note du Systèmes d'information et d'études statistiques (SIES) enfonce le clou. À la rentrée 2022, les prépas éco perdraient 2,9% de leurs effectifs. Si la diminution est plus faible qu'en 2021, elle reste un mauvais signal.

Mais un syndicat, le SNES, conteste ces chiffres. Le syndicat écrit ainsi que, "selon le SIES contacté par le SNES-FSU, à la rentrée 2022 l’effectif de la filière ECG n’était pas en baisse mais en légère hausse". Un détail loin d'être anodin.

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