A. Van Zanten (CNRS) : les différences d'orientation entre les filles et les garçons sont "moins nettes dans les milieux favorisés"

Amandine Sanial Publié le
A. Van Zanten (CNRS) : les différences d'orientation entre les filles et les garçons sont "moins nettes dans les milieux favorisés"
Le genre ainsi que le milieu d'origine ont une incidence sur les choix d'orientation. // ©  DEEPOL by plainpicture/Dinoco Greco
L'orientation scolaire et le choix de formation dans l'enseignement supérieur restent marqués par le genre. Plusieurs facteurs - dont le milieu social - expliquent que les femmes soient encore trop peu nombreuses à se diriger vers des filières de prestiges notamment scientifiques. Agnès Van Zanten décrypte l’impact du genre, combiné à celui du milieu d'origine, sur les choix d’orientation.
Agnès Van Zanten, sociologue de l'éducation et directrice de recherche au CNRS
Agnès Van Zanten, sociologue de l'éducation et directrice de recherche au CNRS © Photo fournie par le témoin

À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, EducPros a interrogé Agnès Van Zanten, sociologue de l'éducation et directrice de recherche au CNRS, sur les effets combinés du genre et du contexte social dans les choix d'orientation des filles.

L'orientation et le choix des études supérieures est-il davantage déterminé lorsque l'on est une fille ?

De façon générale, lorsqu'on examine l'orientation des filles, on constate que, quelle que soit leur origine sociale, elles paraissent moins ambitieuses.

Mais ce n'est qu'une apparence, car les filles s'orientent bien vers des études supérieures, mais pas vers celles qui sont les plus prestigieuses et socialement valorisées, à savoir les études scientifiques.

Comment s'explique cette différence ?

Elle est difficile à analyser car elle résulte d'une combinaison de facteurs. D'une part, cette tendance pourrait s'expliquer par un goût socialement construit : les petits garçons vont plutôt jouer avec des Lego et développer des compétences en géométrie, par exemple.

Un des facteurs expliquant cette différenciation est que les filles sont moins dans la norme sociale. De nombreux garçons se laissent guider par le prestige et le salaire et suivent donc les normes sociales, tandis que les filles font plus de choix liés à leurs goûts.

Les filières scientifiques étant souvent très masculines, la faible présence des filles agit comme un élément dissuasif.

D'autres chercheurs, comme Marie Duru-Bellat, expliquent qu'il s'agit aussi d'une question d'anticipation des contraintes de la part des filles, qui sont plus réalistes que les garçons.

Les filières scientifiques étant souvent très masculines, la faible présence des filles agit comme un élément dissuasif : ces filières sont associées à une compétition très forte et à un climat peu favorable aux filles.

On observe ce phénomène d'orientation genrée depuis de nombreuses années. Y a-t-il une évolution ?

Non, c'est même une constante. Cette tendance se maintient. Elle contribue à une ségrégation horizontale, c'est-à-dire que les filles ne se trouvent pas dans les mêmes filières d'enseignement supérieur que les garçons.

Cette ségrégation est-elle la même quel que soit le milieu social d'origine ?

Les différences sont moins nettes pour les filles issues de milieu favorisé : elles vont faire des choix un peu plus "masculins", car elles sont meilleures élèves et sont davantage poussées vers des filières scientifiques.

Au contraire, les filles de milieu défavorisé ont toujours des résultats meilleurs que les garçons, mais le plus souvent, qui ne leur permettent pas d'accéder aux filières les plus prestigieuses. Elles vont donc s'orienter vers des filières générales et parfois vers des filières techniques et professionnelles, où la ségrégation horizontale est encore plus grande.

Dans l'enseignement professionnel, les filières sont extrêmement ségréguées par le genre : il y a des filières où il n'y a que des garçons, comme la construction ou la mécanique, et d'autres, comme le travail social, où il n'y a que des filles.

Quand les garçons vont vers une filière très féminine, ils ont un traitement de faveur car on estime que leur présence valorise la filière.

Ces choix sont renforcés par une autre tendance : quand les garçons vont vers une filière très féminine, ils ont un traitement de faveur car on estime que leur présence valorise la filière. En revanche, une fille qui s'oriente vers une filière plus "masculine" n'est pas du tout aussi bien accueillie : il n'y a pas de traitement particulier qui leur est accordé.

Comment expliquer que les filles issues d'un milieu favorisé s'orientent davantage vers des filières scientifiques ?

Les filles se renseignent plus que les garçons et prennent beaucoup plus en main leur orientation. Elles en parlent aussi davantage avec leur entourage familial, ce qui peut renforcer les stéréotypes de genre : les mères peuvent ainsi orienter leurs filles vers des métiers plus compatibles avec une vie de famille, surtout dans les catégories sociales moins favorisées.

À l'inverse, dans les CSP +, on observe que les pères s'impliquent davantage et incitent leurs filles à s'orienter vers des études scientifiques, par exemple.

On voit de vraies différences en fonction de l'environnement social : les milieux supérieurs évoquent Parcoursup, projet professionnel, alors que les milieux inférieurs parlent plutôt du coût des formations et des professions vers lesquelles elles conduisent.

Quel critère influence le plus le choix d'orientation : le genre ou le milieu social ?

Cela dépend de quoi on parle. En termes de statut social, de salaire et de prestige, la variable sociale est dominante et le milieu d'origine influe beaucoup.

Mais si l'on parle de contenu des études, là, c'est le genre qui influence le choix. C'est la combinaison des deux qu'il faut étudier davantage pour comprendre les inégalités.

Pensez-vous que l'orientation genrée soit un champ de recherche suffisamment exploré ?

Non. On s'est beaucoup centré sur l'orientation dans le secondaire, mais maintenant qu'un nombre croissant de jeunes s'orientent vers les études supérieures, il est essentiel de s'intéresser à comment se construit ce projet d'orientation.

Il y a aussi des variables nationales que l'on n'a pas suffisamment explorées : en Iran ou au Venezuela par exemple, beaucoup plus de filles s'orientent vers des études d'ingénieurs, sans que cela ne semble poser de problème. Il faudrait mener des études comparatives au niveau international.

Dans de nombreux pays, beaucoup d'argent est investi dans les STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), avec des programmes pour encourager les filles à aller vers des filières scientifiques.

En France aussi, des associations comme Femmes et sciences incitent les filles à s'orienter vers des filières scientifiques et techniques. Mais le plus souvent, les femmes qui se mobilisent sont celles qui ont fait Polytechnique ou l'ENS, et ces programmes restent très centrés sur les filières d'élite.

Amandine Sanial | Publié le