Alain Storck (directeur de l’INSA de Lyon) : "Nous nous sommes engagés dans une dynamique de développement qui a pu dépasser notre capacité financière"

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier Publié le
Alain Storck (directeur de l’INSA de Lyon) : "Nous nous sommes engagés dans une dynamique de développement qui a pu dépasser notre capacité financière"
Storck - INSA Lyon // © 
Fin avril 2011, Alain Storck quittera la direction de l’INSA (Institut national des sciences appliquées) de Lyon pour laisser la place à Éric Maurincomme, ingénieur et docteur INSA actuellement vice-président de l’entreprise belge Agfa HealthCare (cf. pièce jointe en pdf). Dans le même temps, Alain Storck abandonnera ses casquettes de président de l’AGERA (Association des grandes écoles de Rhône-Alpes) et de président de la commission recherche et innovation de la CGE (Conférence des grandes écoles). Une page se tourne pour cet ingénieur de formation qui compte désormais se consacrer à sa « passion » : l’innovation. Entretien-bilan avec Alain Storck après dix ans passés à la tête de l’école d’ingénieurs lyonnaise.

Si vous deviez citer trois des réalisations dont vous êtes le plus fier, quelles seraient-elles ?

Avec l’équipe de direction, nous avons pu significativement améliorer le positionnement de l’INSA. Je retiendrai tout d’abord l’intégration de l’École supérieure de la plasturgie d’Oyonnax en 2003. Un moyen tout à la fois de croître, de s’emparer d’un domaine, la plasturgie, et d’un mode de formation, l’apprentissage. Deuxième réalisation cruciale : la fondation partenariale qui sera officialisée en avril 2011. Elle est soutenue par une petite dizaine de fondateurs, parmi lesquels EDF, Michelin, Saint-Gobain, bioMérieux, Renault Trucks, mais aussi la PME ACIES et bien sûr l’association des anciens de l'INSA, Valor. Cette fondation va diversifier nos sources de financement. Six millions d’euros sur cinq ans sont déjà engagés. Outre l’aspect financier, important dans la situation budgétaire tendue que connaît l’INSA, la fondation permet d’établir des coopérations durables et intenses avec des partenaires ciblés.

La troisième concrétisation à retenir, c’est le centre « Diversité et réussite », lancé à la rentrée 2009. L’aboutissement d’une politique jusqu’alors mal coordonnée, mais qui nous a toujours conduits à favoriser la mixité sous toutes ses formes.

Il y aurait bien d’autres réalisations à évoquer. La communication est devenue un axe stratégique de l’école, avec la création d’une direction de la communication. La recherche a fortement progressé. À l’international, nous avons privilégié une approche intégrée formation-recherche, avec des logiques de laboratoires internationaux associés. Nous allons également prochainement exporter une filière de génie mécanique à l’ENIM [École nationale de l'industrie minérale] de Rabat [Maroc].

Au fur et à mesure des années, l’INSA de Lyon a grimpé dans la hiérarchie des écoles d’ingénieurs, à travers les palmarès notamment. Quels sont les avantages du modèle INSA par rapport aux écoles après prépa ?

La diversité des écoles d’ingénieurs est avant tout une richesse. Mais le modèle INSA, en cinq ans après le bac, possède des atouts. Sa taille, tout d’abord. Nous délivrons 1.000 diplômes d’ingénieur par an. Cela nous confère une visibilité nationale et internationale, et nous permet une chose essentielle : la pluridisciplinarité. Cette pluridisciplinarité est attractive pour des étudiants qui viennent d'obtenir leur bac et ne savent pas encore précisément ce qu’ils veulent faire. En recherche, elle est source d’innovations et donne la capacité de développer des travaux autour de grands enjeux comme la construction durable, les transports ou encore l’énergie. Autre qualité de la pluridisciplinarité : l'extension d’un Centre des humanités, qui nous permet notamment de renforcer des filières sports-études et arts-études.

Y a-t-il des points que vous auriez pu améliorer ?

Nous ne sommes pas allés assez loin dans les évolutions pédagogiques. Nous aurions pu ouvrir davantage le premier cycle à la biologie, par exemple. Par ailleurs, le dialogue social en interne aurait pu être meilleur.

Autre paradoxe : les salaires d’embauche de vos diplômés restent bien inférieurs comparés à ceux des écoles d’ingénieurs de votre niveau.

C’est vrai. Même l’AERES [Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur] a relevé cette bizarrerie pendant notre évaluation. Il existe aujourd’hui un décalage entre l’appréciation des DRH qui mettent en avant les qualités humaines et techniques des ingénieurs INSA et leur niveau de rémunération en début de carrière. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Même si ce n’est pas pour nous déplaire, entre 30 et 40 % des diplômés commencent dans des PME/PMI où les salaires sont moindres que dans les grands groupes. Beaucoup débutent en Rhône-Alpes où les rémunérations sont plus basses qu’en région parisienne. Enfin, nous formons des ingénieurs humanistes qui ne sont pas des « tueurs » lors de négociations salariales.

Ces dix ans ont également été marqués par l’émergence d’une politique de site avec les PRES [pôles de recherche et d’enseignement supérieur], l’Opération Campus, puis les Initiatives d’excellence. Comment l’avez-vous articulée avec votre stratégie de marque conçue avec les autres INSA ?

Les questions autour des politiques de site sont apparues au cours de mon second mandat. Le conseil d’administration n’était initialement pas favorable à l’intégration dans le PRES. Nous avons tâtonné, négocié et finalement décidé de jouer la carte locale. Nous sommes entrés dans le PRES Université de Lyon et nous avons pleinement rempli notre rôle, en particulier dans l’Opération campus. Une position que je ne regrette absolument pas. Si nous ne faisions pas partie intégrante du PRES aujourd’hui, nous serions très marginalisés.

Le curseur a alors eu tendance à se déplacer vers les politiques de site. Il n’y a que vingt-quatre heures dans une journée et toutes nos forces étaient consacrées aux réponses aux appels à projets du PRES, de l’Opération campus ou encore du grand emprunt. Avec la création du Groupe INSA en 2010, qui rassemble les cinq instituts, nous avons rétabli l’équilibre.

Quels sont les principaux chantiers que vous laissez à votre successeur ?

Les suites de l’Idex [Initiative d’excellence] tout d’abord. Il faudra savoir vers quel modèle d’université s’engagent l’Université de Lyon et ses membres. Aujourd’hui, le projet d’Idex stipule que l’Université de Lyon souhaite s’inscrire dans « un système universitaire fédéral », qui permet d’envisager diverses formules. Deuxième chantier : le passage aux RCE [responsabilités et compétences élargies], sur lequel le conseil d’administration n’a pas réussi à se mettre d’accord avant mon départ. Seule la compétence financière reste problématique. Nous avons en effet connu des dérapages immobiliers conjoncturels, de l’ordre de six millions d’euros, avec les opérations liées au CPER [contrat de plan État-région], que l’établissement a dû prendre en charge. Il a fallu treize ans pour construire la bibliothèque, par exemple.

Mais il reste également à résoudre une question structurelle. Nous nous sommes engagés dans une dynamique de développement qui a pu dépasser notre capacité financière. Nous n’avons jamais été en cessation de paiement ou en déficit, mais notre fonds de roulement s’est considérablement amenuisé par moments. En termes d’étudiants ou de personnels, l’INSA de Lyon représente à peu près 10 % des 39 écoles externes sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur. Les locaux, eux, équivalent à 24 %, soit 60.000 m2 et un coût de 2 à 3 millions d’euros en chauffage et électricité. La somme qu’il nous manque pour boucler aisément notre budget… Des locaux importants qui s’expliquent par une recherche très développée, par la diversité de l’offre de formation, mais aussi par la vie étudiante. L’INSA de Lyon sert un million de repas chaque année et propose 3.400 lits. Il faudra peut-être externaliser ces fonctions à l’avenir, même si elles font partie intégrante du modèle INSA.

Qu’allez-vous faire à partir du mois de mai 2011 ?

Le champ de l’innovation m’intéresse. Un sujet passionnant car multidimensionnel. Comment faire naître des écosystèmes d’innovation ? Comment faire que de nouveaux savoirs rencontrent des marchés et des clients potentiels ? J’ai travaillé sur cette question avec le dépôt de l’Idex et dans le cadre du CESER [Conseil économique, social et environnement régional] Rhône-Alpes. Sur le plan de la formation, il faut trouver des solutions pour former des étudiants plus créatifs. À la CGE [Conférence des grandes écoles], un groupe de travail transversal a été constitué entre les commissions recherche et formation pour repérer les compétences nécessaires à l’innovation. Selon nos premières intuitions, ces compétences sont très liées aux capacités développées par la recherche : savoir mener un projet long, savoir douter… Je vais poursuivre les réflexions sur ce thème.

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier | Publié le