Alexis Massart, doyen des facultés libres de droit (Lille, Toulouse, Paris) : "L’avantage, c’est que je n’ai pas besoin d’un vote devant un conseil pour mettre en place une bonne idée"

Propos recueillis par Céline Manceau Publié le
Alexis Massart, doyen des facultés libres de droit (Lille, Toulouse, Paris) : "L’avantage, c’est que je n’ai pas besoin d’un vote devant un conseil pour mettre en place une bonne idée"
Alexis Massart, doyen de la Faculté libre de droit // DR // © 
Élu doyen à 33 ans, Alexis Massart dirige depuis huit ans la Faculté libre de droit de Lille (FLD) comme une petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Sa « PME », financée à 60 % par les frais de scolarité (entre 1.970 € et 5.300 € par an en licence), compte 45 permanents et quelque 250 vacataires. Le credo de cet entrepreneur éducatif, c’est l’insertion professionnelle de ses 1.300 étudiants. La création de nouveaux cursus et l’introduction d’innovations pédagogiques répondent à cette logique sans perdre de vue le rayonnement de la marque FLD. Celle-ci essaime aujourd’hui à Toulouse (création d’une faculté libre de droit en 2007) et à La Défense (ouverture d’une antenne de Lille à la rentrée 2009, avec 60 étudiants en L1). Suite de notre série « Les entrepreneurs pédagogiques ».

Vous avez fait toute votre carrière dans l’enseignement catholique. Étiez-vous prédestiné ?
Pas du tout. J’ai suivi toutes mes études dans l’enseignement public. J’ai soutenu ma thèse à l’université de Lille 2 – où j’étais ATER – en janvier 1997 et j’ai été qualifié par le CNU en avril. Cette année-là, six postes de maître de conférences en sciences politiques ont été ouverts dans toute la France. J’ai vite compris qu’étant donné mon « jeune » âge, il faudrait que j’attende mon tour. À l’époque, je l’ai plutôt mal pris. Par le bouche-à-oreille, j’ai su que le doyen de la faculté catholique de droit cherchait un maître de conférences qui accepterait aussi d’être directeur pédagogique. Et c’est ainsi que j’ai décroché mon premier poste à 27 ans.

Entre-temps, la FLD est passée de 600 à 1.300 étudiants, et les effectifs administratifs et enseignants, de 10 permanents à 45 ? Comment sélectionnez-vous les enseignants ?
Ils sont auditionnés par une commission de recrutement que je préside. La qualité de leur dossier compte, mais nous sondons aussi leurs compétences pédagogiques et leur personnalité. Ils doivent s’intégrer dans notre équipe et apporter des idées. Leur capacité d’investissement est également très importante. Je ne veux pas d’un prof TGV : mes enseignants sont présents du lundi au vendredi, du matin au soir. Enfin, la relation à l’étudiant est capitale. Si je demande aux candidats de me proposer un nouveau master, je suis très attentif à la façon dont est envisagée l’insertion professionnelle. Certains cursus peuvent être intellectuellement passionnants, mais n’offrir aucun débouché.

Avez-vous les moyens de bien les payer ?
Le salaire de base est identique à celui de la fonction publique, avec des primes et un treizième mois en sus depuis 2008. Mon principal atout c’est la taille de la faculté. Les promotions sont limitées à 490 élèves : l’amphi de première année ne peut pas en accueillir davantage ! Les enseignants peuvent donc donner des cours qu’ils n’obtiendraient pas avant 20 ans dans le public et, surtout, dégager du temps pour la recherche. J’aimerais cependant aller encore plus loin sur le plan salarial. J’attends beaucoup de la politique de contractualisation du ministère avec les établissements privés. Aujourd’hui, je trouve assez injuste de payer des doctorants (j’en ai une cinquantaine) pour qu’ils enseignent chez nous tout en achevant leur thèse dans le public. J’ai évoqué ce problème devant le Comité consultatif pour l'enseignement supérieur privé dont je suis membre depuis 2003.

Quelles sont les principales différences entre une licence chez vous et dans une université publique ?
Nos étudiants suivent environ 600 heures de cours par an, c’est plus que dans le public. Tous les TD sont doublés d’une conférence de méthode en petits groupes. J’impose aussi l’enseignement d’une langue étrangère et un stage obligatoire de huit semaines au cours des trois années. Pour les élèves en difficulté, le tutorat est assuré par les professeurs. Ces derniers les reçoivent en rendez-vous et doivent remplir un cahier de tutorat. Quant aux recalés, à qui les textes officiels offrent la possibilité de passer dans l’année supérieure — ce qui est une hérésie pédagogique ! –, nous leur proposons un système de colles. Nous leur évitons ainsi de charger leur emploi du temps avec des cours dans les matières qu’ils ont loupées. L’avantage, c’est que je n’ai pas besoin d’un vote devant un conseil pour mettre en place une bonne idée. Pour les colles, il nous a fallu moins de deux heures pour décider.

À quelle logique répondent les nouveaux cursus mis en place ?
Je ne crée que des diplômes d’État, car nous sommes reconnus d’utilité publique, et puis, c’est mieux pour la lisibilité. Ce qui m’intéresse, c’est l’insertion professionnelle que ce soit vers l’entreprise ou l’administration. Nous avons mis en place, l’an dernier, un master en droit de la responsabilité médicale : avant l’obtention du diplôme, toute la promotion avait reçu des offres de CDI. Le parcours droit comptable et financier, qui va de la L2 au M2, a, lui, été monté suite à la lecture d’une interview du président de la Cour de cassation. Nous lui avons proposé de former des juristes d’entreprise capables de lire un bilan pour travailler sur les fusions-acquisitions. En septembre 2010, face aux besoins du marché, nous allons ouvrir un master de droit européen que nous voudrions labelliser Erasmus Mundus.

Vous êtes la première université catholique à avoir demandé à l’AERES d’évaluer vos cursus. Pourquoi avoir pris ce risque ?
Je savais très bien que sur la recherche, nous avions un retard à combler, car l’État ne nous donne pas un euro et nous sommes une fac jeune [NDLR : la FLD a été fermée en 1963, puis rouverte en 1993]. Mais je savais aussi qu’en matière d’ingénierie pédagogique, nous avions des arguments. J’ai profité de la vague D dont Lille faisait partie en octobre 2008 pour présenter l’ensemble de nos diplômes. Et je suis très satisfait des résultats : 70 % de A et 30 % de B, alors que la moyenne nationale en droit est de 50 % de A. Par ailleurs, l’AERES a visé juste sur nos points forts et nos points faibles. Maintenant que j’ai l’autorisation d’ouvrir ces cursus, je compte, pour septembre 2010, renégocier, avec un autre partenaire que Lille 2, la délivrance des diplômes d’État.

Vous n’entretenez pas de bonnes relations avec Lille 2 ?
Les relations des universités catholiques avec les universités publiques sont complexes. À Lille, je me suis souvent heurté à des résistances idéologiques de la part d’universitaires dont, parfois, leurs enfants étudiaient dans mon établissement ! Un partenariat avec une université étrangère soulève bien moins de réticences qu’un accord avec la FLD, même si nous faisons partie du PRES !

Que comptez-vous faire pour développer la recherche ?
Depuis le mois de juillet, je suis aussi vice-président de l'université catholique de Lille en charge du pôle « droit, économie, management ». J’ai l’intention d’en profiter pour maximiser notre potentiel de recherche avec celui des écoles de commerce de la Catho [NDLR : l’IESEG et l’EDHEC]. Nous avons un rôle à jouer sur le plan des humanités pour proposer un autre regard sur le management. Nous disposons déjà d’un département d’éthique. Certes, la Catho n’a pas le monopole de ces thématiques, simplement elles sont d’actualité.

La Faculté libre de droit en chiffres
• Budget : financée à 60 % par les frais de scolarité (entre 1.970 et 5.300 € par an en licence)
• Enseignants : 45 permanents et quelque 250 vacataires
• Étudiants : 1.300 (dont 60 étudiants en L1 à la Défense).

Propos recueillis par Céline Manceau | Publié le