Bernard Remaud : « Le titre d'ingénieur n'a jamais autant plu »

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier Publié le
Bernard Remaud : « Le titre d'ingénieur n'a jamais autant plu »
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Explosion des formations en apprentissage, croissance des effectifs, émergence de l’ingénieur-manager. Le paysage des formations d’ingénieurs se transforme. Bernard Remaud, président de la CTI (Commission des titres d’ingénieur), prépare actuellement un rapport moral pour marquer la fin de ses deux années de mandat. Il commente pour Educpros les évolutions actuelles des formations d’ingénieurs.

Un grand nombre d’écoles d’ingénieurs annoncent leur volonté d’augmenter leurs effectifs alors que les viviers stagnent. Comment la CTI réagit-elle à ce phénomène ?

La CTI n’a pas à gérer un numerus clausus ou à dire aux écoles ce qu’elles doivent faire. Elle doit en revanche s’assurer que l’école qui veut faire croître la taille de ses promotions a les moyens de ses ambitions. Dans ce cas précis, les locaux, les personnels et les compétences pour accueillir un plus grand nombre d’étudiants. La situation est paradoxale : si les viviers d’étudiants intéressés par les études d’ingénieurs stagnent, les entreprises affichent des besoins importants  de recrutement. Dans les années qui viennent, le plein emploi des cadres est quasiment assuré. La volonté de certains établissements d’augmenter leurs effectifs va sans doute déstabiliser les écoles les plus fragiles. Quelques établissements ne remplissent déjà qu’entre 50% et 60% de leur capacité. Nous recommandons donc aux écoles de mettre en place des tableaux de bord précis pour évaluer la qualité de leur recrutement. Au final, une formation qui ne rencontre pas son public voit son habilitation réduite.  

Cette croissance des effectifs va-t-elle s’accompagner d’une augmentation du nombre d’écoles ?

C’est toute la question des écoles d’ingénieurs face à l'aménagement des territoires. Nous avons encore des demandes de création d’antennes voire d’écoles dans de petites villes où l’environnement scientifique est peu développé. Or c’est un point sur lequel nous ne pouvons transiger. Une chose est sûre. Le titre d’ingénieur n’a jamais autant plu. Quelques présidents d’université sont même venus me voir pour savoir comment monter une formation d’ingénieurs au sein de leur établissement. Dans le champ des masters, le titre d’ingénieurs offre en effet l’avantage d’être visible et d’offrir une bonne insertion professionnelle. Pour l’ouverture d’une nouvelle formation, nous jugeons avant tout la viabilité et la qualité du projet qui nous est proposé.  

Les formations d’ingénieurs en apprentissage sont également en pleine croissance. Là aussi, vous imposez des garde-fous.

Ce boom des formations en apprentissage est sans conteste la principale évolution des deux dernières années dans le monde des écoles d’ingénieurs. Au cours de ces deux ans, la CTI a habilité pas moins d’une trentaine de nouvelles formations en apprentissage. Ces cursus, très ouverts aux titulaires de DUT et BTS, doivent être construits sur trois ans avec des possibilités d’admission pour les deux dernières années comme pour les autres cursus. Nous ne savons pas encore comment va se traduire dans les faits ce développement de l’apprentissage. Cela peut aussi appauvrir d’autres viviers. Une chose est sûre. Lors des renouvellements d’habilitations, nous serons extrêmement vigilants à la qualité de la formation dispensée : recrutement, placement des diplômés, suivi de la formation en entreprise.  

Et que pensez-vous de l’émergence des formations d’ingénieur-manager ?

Nous avons une position très ferme sur le sujet. Nous ne croyons pas à la double compétence ingénieur manager à bac+5 et nous n’habiliterons aucun diplôme d’ingénieur manager. Ce type de parcours ne peut se construire qu’avec un rallongement des études, dans le cadre de double diplôme établi en partenariat avec des écoles de commerce ou des IAE. Nous allons déjà assez loin en accordant un pourcentage de 20% du cursus consacré aux enseignements dit d’ouverture. Nous souhaitons donc avant tout nous assurer que la formation d’ingénieur repose sur un socle scientifique fort. Rien n’interdit en dernière année de proposer des options qui donnent une coloration au diplôme de l’étudiant. Mais celle-ci ne se retrouvera pas dans l’intitulé même du diplôme.  

La CTI élabore également actuellement des recommandations sur l’année de césure. Pourquoi ?

Nous nous inquiétons de la prolifération des années de césure sans aucun contrôle. Nous voyons toute sorte de projets. Le statut de l’étudiant n’est pas toujours clair. Dans certains cas, il continue même à payer des droits d’inscription. L’année de césure doit reposer sur un projet personnel de l’étudiant et ne doit pas être institutionnalisée par l’école. C’est ce que nous souhaitons rappeler.  

Avec toutes ces préconisations, n’avez-vous pas peur que la CTI soit considérée comme un frein à l’innovation ?

Nous l’assumons. C’est le prix de l’accréditation. Nous mettons en place les règles du jeu. Si nous laissons tout passer, nous ne ferons bientôt plus la différence entre les diplômés d’écoles de commerce et d’écoles d’ingénieurs, par exemple. Cela nous donne peut-être une image de conservateur. Mais, finalement, la réelle créativité c’est de réussir à être innovant dans un système de contraintes.   

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier | Publié le