Comment les présidents et vice-présidents d'université se forment à leur prise de fonction ?

Malika Butzbach Publié le
Comment les présidents et vice-présidents d'université se forment à leur prise de fonction ?
Présidents et vice-présidents élus des universités doivent s'approprier leurs nouvelles missions. // ©  plainpicture/Design Pics/Uwe Umstätter
Alors que 2024 représente une année d'élection dans un tiers des universités, comment se forme-t-on à la gouvernance d'un établissement du supérieur ? Au travers de formations spécifiques, d'échanges informels ou au sein de leur administration, président et vice-présidents nous racontent comment ils se sont appropriés cette fonction.

C'est un métier qui ne s'apprend pas, ou plutôt, qui s'apprivoise progressivement. Devenir président ou vice-président d'université se construit souvent sur l'expérience.

Quand elle devient, en 2020, vice-présidente (VP) de l'université Toulouse-Capitole, en charge du numérique, de l'inclusion et de la diversité, Laurence Calandri n'a pas eu la sensation de passer d'un métier à l'autre. "C'est une couche qui se superpose : en plus d'enseigner, je suis devenue vice-présidente", explique-t-elle.

"Certains élus peuvent avoir des tâches proches des enseignants-chercheurs, complète Etienne Peyrat, premier VP de l'université de Lille [NDLR : il a été nommé depuis directeur de Sciences po Lille]. Par exemple, être vice-président formation, même si cela implique des compétences techniques plus spécifiques, permet de toucher les mêmes sujets qu'en tant qu'enseignant."

Élu président de l'université d'Avignon, le 4 décembre 2023, Georges Linarès s'est aussi appuyé sur ses fonctions précédentes. "Durant huit ans, j'ai été vice-président recherche au sein de cette même université. C'est un petit établissement, donc nous avons une équipe de gouvernance resserrée. J'échangeais quotidiennement avec les autres VP sur leurs sujets, ce qui m'a permis d'apprendre beaucoup. Mais c'est vrai que devenir président, c'est passer à un tout autre registre, avec des dimensions institutionnelles et transversales propres", affirme-t-il.

L'enjeu du tuilage, même en cas d'alternance politique

Pour passer à un autre registre, souvent, la personne nouvellement élue se tourne d'abord vers son prédécesseur. D'où l'intérêt de pouvoir faire une passation dans les meilleures conditions que ce soit pour devenir président ou vice-président.

Myriam Doriat-Duban est première VP de l'université de Lorraine depuis juin 2022 après avoir été VP RH. Le changement de cap a davantage été vécu comme une rupture... "C'est un peu une grande découverte, même si la plupart du temps, la prise de responsabilité est croissante. On devient rarement président ou VP du jour au lendemain", souligne-t-elle.

Pour elle, qui a pris ses premières fonctions en plein Covid-19, cet accompagnement par son prédécesseur a été un vrai appui. "Le tuilage est très important. C'est pourquoi il faut se préparer en amont lorsqu'est envisagée la fin du mandat. Ce souci de transmission doit être partagé, qu'importe l'alternance politique à la tête de l'université." L'enjeu est avant tout d'éviter une rupture dans le fonctionnement de l'établissement.

Des formations techniques pour répondre aux enjeux politiques

Pour les présidents nouvellement élus, France Universités propose une formation d'accompagnement à la prise de fonction.

"Cette offre de formation, sous forme de plusieurs séminaires, aborde diverses questions. Aussi bien le budget, les relations avec les collectivités locales ou encore le développement de l'innovation pédagogique, explique Virginie Dupont, membre du CA de France Universités et présidente de l'université Bretagne-Sud. Les séminaires se composent d'une partie présentation par les consultants, puis des retours d'expériences à travers les témoignages de présidents afin que chacun s'approprie ces sujets."

Les élus peuvent également compter sur les formations de leur établissement. "Au sein de mon université, les membres de l'équipe comme les élus du CA peuvent suivre des formations dédiées qui se font dans le cadre de la formation continue, témoigne Laurence Calandri. Par exemple, cela permet à tous d'appréhender ce qu'est un budget, comment lire les documents et quelles sont les marges de manœuvre."

Au sein de l'établissement, les élus peuvent aussi s'appuyer sur les personnels de direction. "Les échanges avec nos collègues de l'administration sont plus que nécessaires. Ils maîtrisent les sujets de manière plus pointue aux vues de leurs compétences techniques sur lesquelles on peut s'appuyer", souligne Etienne Peyrat.

"lorsque l'on est élu, on fait l'intermédiaire entre des enjeux techniques et politiques. Cette traduction implique de connaître les sujets, sans pour autant être spécialiste."

Renforcer l'accompagnement des nouveaux élus

Ils sont nombreux à évoquer les divers réseaux qui proposent des séminaires spécifiques sur des thématiques plus sociétales : le ministère, les associations de vice-président ou l'Association pour les femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur de la recherche et de I'innovation (Afdesri).

"Pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), nous avons suivi la formation du ministère, en plus de celle proposée par France Universités", raconte Myriam Doriat-Duban.

Pour les participants, ces formations sont d'autant plus pertinentes qu'elles permettent de créer des échanges plus informels. "Après nos formations sur les transitions, les intervenants ont pu être sollicités par les présidents sur tel ou tel point. Idem lorsque l'on a fait des séminaires sur la réforme des études de santé. Ces échanges informels sont très importants", témoigne-t-elle.

Pour améliorer cet accompagnement, France Universités songe à de nouveaux partenariats. "Nous travaillons avec le ministère pour mettre en place des formations avec l'Institut national du service public (INSP, ex-ENA), explique Virginie Dupont. Par ailleurs, la nouvelle formation de l'école d'affaires publiques de Sciences po Paris, à destination des cadres de l'éducation et de l'enseignement supérieur peut également nous intéresser !"

Cet enjeu autour de la formation des responsables dans l'ESR n'est pas nouveau, remarque Etienne Peyrat. "C'est en réflexion depuis plusieurs années. Comment produire ces savoirs pratiques et sous quelles formes les transmettre ? On pourrait imaginer, comme c'est le cas dans d'autres pays, un institut de recherche sur l'enseignement supérieur avec une dimension appliquée."

Entre urgence et syndrome de l'imposteur, un temps nécessaire avant de se sentir efficace

Avec ou sans formation, combien de temps faut-il avant de se sentir "opérationnel" en tant que président ou vice-président ? "On est un peu en apnée au début. Puis, au bout d'un an, lorsque l'on voit revenir certains dossiers annuels, on a l'impression de sortir la tête de l'eau", admet Myriam Doriat-Duban.

Étienne Peyrat, lui, évoque une durée de six mois "après laquelle on appréhende mieux la réalité qui est la nôtre". Tout en précisant que cela peut dépendre de la taille de l'établissement. "Peut-être que dans deux mois, je vous dirais que j'ai fait des erreurs, sourit Georges Linarès. Mais pour l'instant, je n'ai pas le sentiment être désarmé ou bloqué par manque de compétences techniques."

Laurence Calandri avoue ne pas avoir eu le temps de se poser la question. "En tant que femme, on peut avoir plus facilement un sentiment de l'imposteur, explique la VP de Toulouse-Capitole. Mais quand on est en place, on a plus le choix : il faut y aller."

Malika Butzbach | Publié le