Acte II de l'autonomie des universités : un an pour expérimenter et convaincre

Amélie Petitdemange Publié le
Acte II de l'autonomie des universités : un an pour expérimenter et convaincre
L'université de Haute-Alsace à Mulhouse fait partie des neuf établissements pilotes qui vont expérimenter de nouvelles mesures d'autonomie. // ©  Frederic MAIGROT/REA
Neuf établissements pilotes vont expérimenter de nouvelles mesures d'autonomie. L’objectif est d’étendre ce dispositif à tout le territoire en 2025. Si, pour certains, cet acte II de l'autonomie des universités est gage de souplesse, d'autres y voient un signe de dérégulation.

Après un acte I, en 2007, avec la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), les universités vont entrer dans l'"acte II" de leur autonomie, annonçait Emmanuel Macron, début décembre 2023.

Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur, en a précisé le calendrier, le 26 mars. "L’objectif est clair : mettre en place les conditions d’une autonomie renforcée chez quelques-uns durant une année et commencer à en tirer des enseignements pour un véritable acte II de l’autonomie", a-t-elle affirmé.

Si certains acteurs accueillent cette nouvelle étape comme étant le signe d'une plus grande souplesse, les syndicats redoutent qu'elle ne conduise à une dérégulation de l'enseignement supérieur.

Un échantillon représentatif de neuf établissements pilotes

Neuf établissements pilotes vont expérimenter de nouvelles mesures : Sorbonne Université, l'université Paris 2 Panthéon-Assas, l'université de Rennes, l'université de Bordeaux, l'université de Pau, Aix-Marseille Université, l'université de Perpignan, l'université de Haute-Alsace et l'École Centrale de Lyon.

Ces pilotes représentent un échantillon du paysage de l’enseignement supérieur : des universités parisiennes et d'autres implantées en région ainsi qu'une école d'ingénieurs, des tailles diverses, des modes de gouvernance différents, des établissements disciplinaires et d'autres multidisciplinaires.

Elles auraient comme point commun une certaine "robustesse dans le fonctionnement dans l’université" et une capacité, y compris financière à "porter des innovations", selon Pierre-Alain Muller, président de l’université de Haute Alsace.

Calendrier de l'acte II de l'autonomie : un an d’expérimentation à partir de juillet

Depuis début avril, les inspecteurs généraux font le tour des établissements pilotes afin de préparer des avenants à leurs contrats d’objectif et de moyens. Ils seront discutés dans les conseils d’administration des établissements, pour un démarrage des expérimentations en juillet. S’ensuivra une année d’expérimentation.

Un premier point d’étape sera partagé avec les autres établissements vers la rentrée. "Nous proposerons également un guide pratique. Il s’agira de partager les bonnes pratiques et d’inciter les établissements à s’en saisir. Nous voulons le sortir au plus vite, car cela pourra aussi accompagner les présidents nouvellement élus", explique Guillaume Gellé, président de France Universités.

Après cette phase pilote, la ministre souhaite "étendre les mesures retenues à tout le territoire national" au second semestre 2025, en ayant recours, "si nécessaire, à un projet de loi".

22 mesures à expérimenter

Après la phase préparatoire, cette petite dizaine d'établissements lancera donc, cet été, des expérimentations sur cinq thèmes : gouvernance, offre de formation, finances, patrimoine immobilier et ressources humaines. À ce jour, 22 nouvelles mesures d’autonomie ont été proposées par le ministère, en discussion avec France Universités.

"L'idée, c'est que les établissements mettent en œuvre quatre à six mesures. Nous sommes totalement libres de choisir des mesures dans la liste ou d’en proposer de nouvelles", explique Stéphane Braconnier, président de l'université Paris-Panthéon-Assas. L’établissement n’a pas encore arrêté les mesures qui seront expérimentées mais est intéressé par les sujets de formation, de ressources humaines et de patrimoine.

Nous sommes totalement libres de choisir des mesures dans la liste ou d’en proposer de nouvelles. (S. Braconnier)

À l’université de Haute-Alsace, le consensus sera crucial. "Nous allons définir les mesures à mettre en place avec toute la communauté : enseignants, étudiants et partenaires. Notre méthode pour faire émerger des idées est de créer des groupes de travail et des séminaires", explique le président, Pierre-Alain Muller.

Accélérer un mouvement d'autonomie déjà amorcé

De son côté, l’université de Bordeaux a pris de l’avance concernant l’autonomie. Cette année d’expérimentation lui permettra d’aller plus loin en déverrouillant des blocages réglementaires, sans forcément adopter de nouvelles mesures. Le président Dean Lewis veut en effet éviter de "surcharger" l’établissement.

"Nous sommes en demande de plus d'autonomie concernant la gestion budgétaire et financière depuis mon élection en 2022", explique Dean Lewis, également VP de France Universités. Côté RH, il évoque, comme Stéphane Braconnier, le sujet de la gestion des Biatss. Et concernant l’immobilier, "nous appelons à plus d’autonomie sur la dévolution du patrimoine".

Les établissements pourront se saisir d’autres sujets, comme la capacité d’emprunt, dégageant plus de marge de manœuvre pour la rénovation des campus.

"Nous aimerions aussi décider par nous-même de pouvoir accueillir plus ou moins d'étudiants. Actuellement, ce sont les rectorats qui gèrent les capacités d'accueil. Quant à la vie étudiante, elle n’est pas une mission dévolue aux universités par le Code de l’éducation, ce que nous souhaitons voir corrigé. Il ne s’agit pas d’agir à la place des Crous, mais de travailler en bonne intelligence et en concertation", ajoute Guillaume Gellé.

Des expérimentations qui nécessitent un accompagnement financier

L’accompagnement budgétaire de ces expérimentations reste à trancher. "Nous n’avons pas de visibilité sur les montants, car cela va dépendre des mesures que nous expérimenterons", illustre Stéphane Braconnier.

Une autonomie sans moyen peut se transformer en autonomie à gérer la pénurie. (D. Lewis)

"Je ne peux pas faire plus à enveloppe constante", prévient de son côté le président de l’université de Haute -Alsace. "Une autonomie sans moyen peut se transformer en autonomie à gérer la pénurie. L’acte 1 de l’autonomie, c’était un peu ça", rappelle quant à lui Dean Lewis.

France Universités confirme que ces expérimentations ne pourront se faire qu’avec des moyens en progression : de nombreuses universités étant déjà dans une situation financière difficile.

Les syndicats craignent une "dérégulation du supérieur"

D'ailleurs, l'annonce de l'acte II a été mal accueillie par les syndicats. "On avait réussi à freiner la LRU mais là, c'est l'accélération. L’acte II fait voler en éclat l’enseignement supérieur public. Il accélère la dérégulation du supérieur, pour favoriser le marché européen de la formation", réagit Caroline Mauriat, co-secrétaire générale du Snesup-FSU.

"Alors que nous constatons, avec violence, l’ensemble des dégâts de l’acte I de l’autonomisation des universités, qui a favorisé l’émergence d'établissements publics expérimentaux (EPE) proposant des formations financées directement par le marché privé, le gouvernement veut mettre en marche l’acte II", regrette l’Unef, dans un communiqué.

Le syndicat étudiant craint que l’autonomie financière ne se mue en un "désengagement encore plus massif de l'État", entraînant "un recours massif aux financements privés et toujours plus de mises en concurrence des établissements". L’Unef alerte ainsi sur le risque d'"un enseignement supérieur public à deux vitesses".

L'autonomie synonyme de davantage de souplesse pour les universités ?

Stéphane Braconnier, président de l'université Paris Panthéon-Assas, qui a accepté "avec beaucoup d’enthousiasme" l’expérimentation, n'a pas la même lecture. "Nous croyons beaucoup à l’autonomie : il y a matière à la consolider puis la renforcer".

Plus généralement, le renforcement de l’autonomie des universités est une demande de longue date de France Universités, association qui rassemble les présidents d’université.

"L’autonomie d'un établissement lui donne de la souplesse pour mieux décliner les politiques publiques au niveau local", affirme ainsi Guillaume Gellé. Selon lui, "une plus grande autonomie donnera la capacité aux universités de mieux répondre aux besoins de la société en termes de formation".

Amélie Petitdemange | Publié le