Daniel Cohn-Bendit : « L’autonomie, c’est la parité des moyens pour toutes les universités, pas la hiérarchisation»

Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff Publié le
Avant d'être élu au Parlement européen sur la liste Europe Ecologie, Daniel Cohn-Bendit a été parmi les premiers hommes politiques à soutenir les enseignants-chercheurs et les étudiants en lutte contre les projets de réforme de Valérie Pécresse et Xavier Darcos. Retour sur un engagement, bilan critique sur un mouvement, et idées pour l’avenir de l’université.

Vous êtes le premier homme politique a avoir manifesté votre soutien aux enseignants-chercheurs et aux étudiants pendant cette crise des universités. En quoi cette lutte a-t-elle été importante pour vous ?

Je crois qu’il y a une crise de la recherche, non seulement en France mais partout, et aujourd’hui les pouvoirs politiques – parce que ce n’est pas seulement la France – tendent à instrumentaliser, pour l’efficacité économique, la recherche. C’est une idée complètement sotte de la recherche. Par ailleurs, dans cette dimension d’instrumentalisation, on réduit les sciences sociales, on les met particulièrement de côté, parce qu’elles ne sont pas efficaces. Donc je voulais vraiment apporter mon soutien : il faut avoir une réflexion générale sur la recherche et le rôle de la recherche dans notre société.

Il y avait aussi, dans ce mouvement, une dimension que l’on peut qualifier de corporatiste dans la défense statutaire des enseignants-chercheurs. Et une critique de l’harmonisation européenne des diplômes, en tout cas des réformes qui ont été conduites en ce sens, notamment le LMD. On trouve également une défiance vis-à-vis de l’autonomie… Vous retrouvez-vous également dans cette dénonciation-là ?

Non. Je suis pour l’autonomie des universités. Je dis simplement que l’autonomie de l’université, ce qu’on appelle le processus de Bologne, et aussi le fait que tout étudiant ait le pouvoir de faire ses études dans toute l’Europe, c’est bien ! C’est juste ! Mais on a instrumentalisé encore une fois le processus de Bologne, pour une rationalisation économique de l’enseignement et des universités. Si bien qu’aujourd’hui, l’autonomie, en France, ça veut dire continuer la hiérarchisation de l’enseignement, notamment entre les grandes écoles et les universités. On a les grandes écoles, on aura les grandes universités, et on aura les universités lambda qui auront des moyens inférieurs. Cela, il faut le dénoncer. Donc oui à l’autonomie, parce que je crois que le monde scientifique, le monde de la recherche, a besoin de l’autonomie. Mais ça veut dire que l’autonomie, c’est la parité des moyens pour toutes les universités, et non pas la hiérarchisation des moyens. L’autonomie, c’est donner aux universités la possibilité de développer une identité propre, de faire un enseignement général et une spécialisation propres. Cette identité propre, elle est formulée par les enseignant et les étudiants peuvent y participer.

Daniel Cohn-Bendit, pour la première fois depuis 1968, certains examens de fin d’année risquent d’être perturbés, voire de ne pas avoir lieu. Qu’est-ce que cette menace de blocage des examens – qui est une forme de jusqu’au-boutisme de la part du mouvement – vous inspire aujourd’hui, 41 ans après ?

En 1968, le mouvement était retombé avant les examens. Et ce qui avait été assez extraordinaire, c’est que beaucoup d’enseignants avaient fait passer des examens, pas au rabais, mais en fonction aussi des événements. Moi, par exemple, on m’avait donné mon diplôme de deuxième année. Alors que je n’étais même pas là puisque j’étais expulsé ! Mais c’était un acte politique – c’est d’ailleurs le seul diplôme que j’aie dans l’enseignement supérieur. Mais aujourd’hui il faut que les étudiants, ceux qui travaillent, les étudiants qui ont beaucoup de difficultés, aient leur année. Je comprends le mouvement mais le mouvement doit comprendre aussi ceux qui ne peuvent pas se payer le luxe de perdre un an.

Il y a un malaise réel dans la communauté universitaire. Il y a également une forme de radicalisme, on vient de l’évoquer. Les radicaux d’aujourd'hui sont-ils les enragés d’hier, comme on appelait un certain nombre de soixante-huitards, vous au premier chef ?

Il faut savoir qu’il n’y a pas de mouvement sans radicalité. Sinon ce mouvement n’existe pas. Les radicaux, c’est le supplément d’âme d’un mouvement. Ça ne veut pas dire qu’ils ont raison. Ça veut dire qu’ils donnent toute leur dynamique à un mouvement. Le problème, c’est après : quelle est la relation démocratique entre la base et les radicaux. Et ça ce n’est pas à moi de juger si elle existe ou pas. C’est le problème politique d’un tel mouvement.

On vous ramène souvent à Mai 68, je viens de la faire moi-même : ça vous irrite, ça vous amuse, ça vous fait plaisir ?

Non… Mais d’’abord, il faut dire que l’université de 68, c’était 200 000 étudiants. 15 ans après, c’est 1 million. Maintenant on est à 2 millions. Donc les problèmes de l’université, de l’enseignement supérieur sont incomparables. Incomparables ! On avait un diplôme en 68, on avait un statut et une perspective. Point à la ligne. Ce qui est intéressant, c’est par exemple la revendication – encore d’Edgar Morin – d’une année de propédeutique. Depuis 68, il faut un an – moi je dis même deux ans – d’orientation générale. Donc non pas d’un enseignement spécifié pour tout le monde, comme disons sciences ou science humaines… Non : il faut un an au moins de formation générale. Dire, apprendre aux étudiants ce qu’est l’enseignement général, la complexité des sciences. Et à partir de là, les étudiant pourront plus calmement s’orienter et trouver des débouchés.

En quoi ce que vous nous dites-là, cette année de propédeutique par exemple, se rattache-t-elle à la fois à une proposition écologique et européenne pour un système d’enseignement supérieur ?

Je crois que l’enseignement supérieur est la base d’une société durable. Une société durable c’est une société consciente. Je crois que ces jeunes doivent prendre conscience de leurs possibilités et de leurs perspectives. Et ils ont besoin d’un temps pour prendre conscience. C’est ce que j’appelle l’enseignement durable. C’est-à-dire l’enseignement qui permet l’autonomie. Parce qu’à la fin, la formation qu’on veut, c’est l’autonomie des individualités. Et de personnalités capables de continuer toute leur vie à se former.

A savoir : Daniel Cohn-Bendit vient de publier Que faire ? (Hachette Littératures, coll. Tapages, 2009) .

Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff | Publié le