Eric Charbonnier (expert OCDE) : «Au Royaume-Uni, la part du financement privé des universités a augmenté de 200% entre 2000 et 2007»

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Eric Charbonnier, expert à la Direction Education de l’OCDE, a participé à l’élaboration du rapport Regards sur l’éducation 2010 *, paru le 7 septembre 2010. D’après lui, l’université à la française a encore des efforts à faire. Et gagnerait à s’inspirer du Royaume-Uni pour augmenter ses ressources.

En matière de politique éducative, la France figure-t-elle plutôt dans les bons ou les mauvais élèves de sa classe au sein de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique)?

Si l’on prend la globalité du système éducatif français, c’est un élève moyen. Ces derniers temps, on a tendance à penser que c’est le pire, comme on a eu tendance à penser par le passé que c’était le meilleur. Au niveau de la politique éducative, on observe que d’autres pays agissent et avancent quand la France agit moins. Je pense notamment au primaire et à l’université, où il faut accentuer les efforts.

«  D’autres pays agissent », dites-vous. Quels « efforts » font-ils pour l’université?

Le Royaume-Uni a, par exemple, multiplié les frais d’inscriptions à l’université par trois en moyenne à la rentrée 2006. Cela  a eu pour effet d’augmenter considérablement les ressources de l’université. La part du financement privé a augmenté de 200% entre 2000 et 2007. Sur la même période le financement public a été en hausse de + 27%.

La France doit-elle s’inspirer de son voisin d’Outre-manche ?

Dans notre pays, il y a de micro réformes dans certaines universités, mais si rien n’est fait pour augmenter sensiblement les ressources, on peut imaginer une baisse de qualité dans la dizaine d’années à venir. Or, avec la mobilité internationale, les universités doivent être de plus en plus compétitives pour attirer les étudiants. Il faut donc investir dans l’université pour l’améliorer, pour innover. Sachant que l’investissement public ne suffit pas, particulièrement en période de crise, l’une des solutions consiste à augmenter les frais d’inscription et les investissements des entreprises. Ce type de mesure devrait figurer dans les propositions que nous allons faire en nous appuyant sur le rapport Regards sur l’éducation 2010. D’autres pays choisissent d’autres politiques. Ils appuient le financement de leur politique éducative sur des fonds publics. Tout le monde a une bourse, mais les impôts sont beaucoup plus élevés quand on travaille.


Augmenter les frais d’inscription ne va-t-il pas renforcer les inégalités d’accès aux études supérieures ?

Ces inégalités existent déjà. 80% des étudiants des grandes écoles sont issus de familles favorisées. Pour rendre le système plus égalitaire, il faudrait un travail de réflexion globale. Quant à l’augmentation des frais d’inscriptions, toutes les études montrent que si l’on développe des aides étudiantes, des bourses et des prêts d’études en parallèle, on n’aggrave pas les inégalités.


Comment les jeunes diplômés « sous-qualifiés » ou sans emploi pourraient-ils rembourser le prêt contracté pour payer leurs études ?

L’Etat peut proposer une sorte d’assurance du prêt afin que le jeune diplômé n’ait pas à le rembourser s’il ne trouve pas de travail. Mais une telle politique d’augmentation des frais est différenciée, c’est-à-dire qu’une filière qui n’a pas beaucoup de débouchés sera moins chère. Et surtout, cette politique s’accompagne d’une demande d’efficacité des universités. On augmente les frais d’inscription à condition d’avoir un diplôme qui pourra être valorisé sur le marché du travail. Quant aux filières qui n’offrent pas ou peu de débouchés, il faut les changer, afin d’envisager notamment des réorientations en cours d’études. Cela veut dire, par exemple, inclure des enseignements plus techniques dans les formations en sciences humaines, pour que ceux qui ne se destinent pas à l’enseignement puissent prendre des passerelles. En France, aujourd’hui, 70% des diplômés de l’enseignement supérieur en sciences humaines occupent des métiers sous-qualifiés 5 ans après l’obtention de leur diplôme.


Faut-il continuer à poursuivre l’objectif de 50% d’une classe d’âge à bac+3 fixé lors de la conférence de Lisbonne en 2000 et inscrit dans la loi Fillon d‘orientation sur l’école ?

41% des 25-34 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur aujourd’hui, en France. Ils étaient 20 % il y a une vingtaine d’années. On a donc assisté à une massification, une forte progression et, depuis 4-5 ans, on constate un ralentissement. Il faut diminuer l’échec des premières années à l’université pour pouvoir faire progresser à nouveau ce chiffre. Certaines filières universitaires sont sélectives, d’autres non. Celles choisies par défaut mènent souvent à l’échec. Il y a donc aussi tout un travail d’orientation à faire entre le secondaire et l’université.


*Le rapport Regards sur l’éducation 2010 contient des données sur l’éducation provenant des 31 pays membres de l’OCDE et de cinq pays non membres - Brésil, l’Estonie, la Fédération de Russie, Israël et la Slovénie - qui participent au Projet de l’OCDE sur les indicateurs des systèmes d’enseignement  a savoir le, ainsi que de trois pays non membres qui font partie du processus d’engagement renforcé, à savoir la Chine, l’Inde et l’Indonésie.


Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le