François Sarfati : "Le classement est à la fois une opportunité et une sorte de piège"

Catherine de Coppet Publié le
François Sarfati : "Le classement est à la fois une opportunité et une sorte de piège"
François Sarfati a effectué un travail de recherche sur un classement baptisé "Super Master" // © 
Chercheur au Centre d'études de l'emploi et associé au Lise (Cnam-CNRS), François Sarfati a cosigné avec Stéphanie Mignot-Gérard en 2015 une étude de cas sur un classement universitaire : "Dispositif de jugement sur la qualité ou instrument de construction de la réputation?". Il revient sur l'"effet classement" à la veille de la conférence EducPros du 1er avril sur le sujet.

Pourquoi vous être intéressé dans un article de recherche à la genèse d'un classement de masters et pourquoi avoir choisi celui-ci ? Vous l'appelez "Super Master" pour ne pas en faire la promotion...

Cette recherche est liée à la découverte de l'"effet classement". Il y a trois ou quatre ans, j'ai participé à une enquête collective commandée par l'Apec (Association pour l'emploi des cadres) sur l'insertion professionnelle d'étudiants en master finance en apprentissage. Et en parallèle, j'ai mené une étude sur le processus de sélection à ces masters, sous l'angle quantitatif et qualitatif. 

À observer les sessions de sélection mais aussi les propos des étudiants, je me suis aperçu de l'importance de la réputation des masters, une réputation qui passait notamment par la médiation des classements. Ma collègue Stéphanie Mignot-Gérard et moi, nous avons souhaité analyser la naissance d'un classement et sa durabilité. "Super Master", créé en 2004 à l'instigation d'une société de conseil pour les étudiants, était un exemple intéressant.

Vous estimez que l'enseignement supérieur est un terrain favorable au développement des classements. Pourquoi ?

Dans le cas étudié, le classement concernait à ses débuts les masters finance. La gestion est une discipline qui connaît une certaine tension entre académisme et technicité. C'est en tout cas un domaine où la question de l'insertion professionnelle des étudiants, posée par Super Master, est considérée comme légitime. Ce milieu est habitué à mesurer, à pratiquer le benchmark et, en ce sens aussi, est un terrain favorable aux classements. 

Par ailleurs, l'ESR et ses carrières académiques ont toujours fait une place importante aux classements, qu'ils soient explicites, comme la médaille Fields, ou implicites. 

Enfin, nous sommes dans une société où la culture de la comparaison est forte et touche tous les domaines, les dispositifs de réputation sont nombreux et accélérés par le numérique.

Le caractère "prescriptif" des classements en général est faible.

L'analyse que vous donnez de la genèse et de la vie du classement Super Master ne permet pas de le considérer comme un outil d'orientation des étudiants. Pourquoi ?

Les créateurs de ce classement étaient face à un problème de modèle économique concernant leur société de conseil. Le classement leur a permis de vendre une prestation plus étoffée en informations, à un public qui généralement a déjà une idée des écoles qu'il souhaite intégrer, à savoir les meilleures ! De façon astucieuse, les créateurs de Super Master se sont par ailleurs appuyés sur l'idée que peut-être les écoles les plus prestigieuses n'offraient pas le meilleur en termes d'insertion professionnelle, et ont décidé de fonder le classement sur ce point. 

Enfin, ce classement mise sur la nécessité, pour les nouveaux entrants sur le marché, d'être plus visibles : le classement permet à des établissements beaucoup moins connus de figurer dans le même tableau que des écoles très réputées, ce qui a un effet très positif pour ces écoles plus modestes. En ce sens, ce type de classements a le mérite de faire émerger des établissements de seconde zone, qui peuvent offrir des formations de qualité.

Vous évoquez du coup la convergence d'intérêts qui préside à la naissance et au maintien d'un tel classement...

En effet. Il y a une alliance objective entre les responsables des formations citées par le classement, la société productrice du classement, et les étudiants, qui souhaitent voir leur école reconnue. Ce qui est intéressant, c'est que les classements sont considérés par les écoles et les étudiants comme essentiels (pour l'attractivité d'une part, pour l'insertion professionnelle d'autre part), mais qu'en réalité ils jouent un rôle assez mineur dans l'orientation effective vers tel ou tel établissement. Le caractère "prescriptif" des classements en général est faible, le choix étant plutôt guidé par un ensemble de contraintes : mobilité géographique, capacité économique, maturité du projet professionnel, sélection à l'entrée.

Dès lors, comment comprendre que les classements de ce type perdurent ?

Il faut souligner que les classements fonctionnent avant tout sur des modèles économiques, et ils durent tant que les établissements ont des moyens à investir sur le sujet. Cela se vérifie par le fait que toutes les filières de formations du supérieur ne sont pas concernées par les classements. Dans l'exemple de Super Master, la société organise un salon ouvert à tous les établissements du classement, mais il faut payer pour y avoir son stand. 

Une fois dans le classement, il est en outre risqué d'en sortir, à moins de figurer dans d'autres classements. On peut donc parler d'effet démultiplicateur, de réflexe de classement : en pensant que les classements ont une utilité, on produit et reproduit cette logique d'autopromotion. Le classement est à la fois une opportunité et une sorte de piège.

Aller plus loin
– L'article de François Sarfati et Stéphanie Mignot-Gérard : "Dispositif de jugement sur la qualité ou instrument de construction de la réputation ? Le cas d'un classement universitaire"

– La conférence EducPros du vendredi 1er avril 2016  "Classements : nouvelle donne, nouvelles stratégies"
Catherine de Coppet | Publié le