Guy Couarraze (président de l’université Paris-Sud) : «Si l’université arrive sans image forte de rassemblement, elle aura du mal à défendre sa place dans l'Idex Paris-Saclay»

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
À 66 ans, Guy Couarraze ne briguera pas un second mandat, qu’il n’aurait pu achever (la limite d’âge étant fixée à 68 ans), à la tête de l’université Paris-Sud. Arrivé à Orsay en 1965 comme assistant, il a vu naître et se transformer cette université jusqu’au lancement du projet Paris-Saclay. Le 8 mars 2012, lors d’un congrès extraordinaire, ce professeur de physique veut mener une dernière mission, celle de définir la place de son université dans l’Idex labellisée début février . Il sait l’adhésion de sa communauté universitaire fondamentale pour la suite du projet Paris-Saclay.

Diriez-vous que les transformations dans le paysage universitaire de ces dernières années sont comparables à celles de 1968 ?

Non, dans le sens où le mouvement de contestation de 1968 était celui de toute une génération et dépassait le cadre universitaire. En revanche, le passage à l’autonomie ou les grands regroupements, avec les organismes de recherche et les grandes écoles, sont des transformations institutionnelles comparables à celle de la loi Faure qui a instauré des universités pluridisciplinaires à la place des facultés. Dans les années 1970, cette transformation aurait pu s’opérer, mais on s’est arrêté au niveau des universités : les grands organismes de recherche et les grandes écoles sont restés dans leur monde propre.

Qu’est-ce que le classement de Shanghai – qui vous a placé première université française en août 2011 – a changé pour Paris-Sud ?

«C’est sous la bannière université Paris-Saclay que l’Idex 2 a été portée. […] Ce n’est pas une simple coïncidence de dates, c’est une prise de conscience.»

Au-delà de la consécration collective qui compile tout le passé de l’établissement, cette reconnaissance extérieure nous a apporté une dynamique interne d’appartenance à l’établissement. Alors que le mode confédéral en facultés a longtemps prévalu, les médecins par exemple sont aujourd’hui fiers de travailler avec de grands physiciens ou mathématiciens. Quelle que soit sa composante d’origine, la communauté scientifique est fière d’appartenir à l’université Paris-Sud. L’autre retombée, c’est que l’université est mieux reconnue par ses partenaires de Paris-Saclay, qui sont aussi des écoles d’élite avec de fortes identités. Le modèle universitaire et ses valeurs sont mieux reconnus. C’est d’ailleurs sous la bannière université Paris-Saclay que l’Idex 2 a été portée, contrairement au premier projet qui rassemblait beaucoup d’établissements proches sous le terme de Campus Paris-Saclay. Ce n’est pas une simple coïncidence de dates, c’est une prise de conscience.


Quelle est la place de l’université Paris-Sud dans la future université Paris-Saclay ?

Dans l’Idex 2, la cible est d’avoir, au 1er janvier 2014, une université Paris-Saclay. Le statut retenu est celui d’EPCS [établissement public de coopération scientifique] et non celui de grand établissement, car beaucoup de nos partenaires ne sont pas sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur. Ce statut permet aussi aux grands organismes de recherche d’entrer au conseil d’administration comme acteur à part entière, ce qui est une des forces de notre projet.

Dans cet EPCS, l’université Paris-Sud garde sa personnalité juridique et morale. Sur le plan de l’organisation et du fonctionnement, selon l’endroit où on place le curseur, on peut transférer plus ou moins de compétences à l’EPCS. Si on lui transfère la diplômation par exemple, la compétence de Paris-Sud sur la formation n’a plus de sens. Ce qui est écrit jusqu’à présent, c’est que la diplômation du doctorat – avec les écoles doctorales – et certains masters sont transférés à l’EPCS au 1er janvier 2014. Au niveau licence, seules Paris-Sud et l’UVSQ sont concernées et cela n’a pas de sens de le transférer. Pour ne pas construire une coquille vide, l’EPCS doit également disposer de moyens et de personnels. Il serait envisageable que les ressources contractuelles – soit 6 millions d’euros – discutées entre l’État et l’université le soient désormais entre l’État et l’EPCS. L’université Paris-Sud continuera à gérer sa masse salariale – pour ses personnels fonctionnaires – et ses dotations récurrentes de fonctionnement pour quelque 33 millions d’euros.



L’EPCS devrait chapeauter six «schools» thématiques. Qu’est-ce qui se dessine derrière ces regroupements pour l’université Paris-Sud ?

Ces schools seront des structures de coordination et de coopération entre les filières d’enseignement et les laboratoires de recherche, qui resteront rattachés à un grand organisme ou à l’université. Il reste à trancher si ces schools auront des organes internes de décision ou si elles ne feront que de l’animation scientifique. La school of engineering est celle où la réflexion est la plus avancée. Tous les établissements [Centrale, Polytechnique, Paris-Sud…] qui forment des ingénieurs se sont engagés sur des équivalences entre les étudiants de troisième année, dans la suite logique de nos accords de doubles diplômes en master. Avec les autres schools, tout reste à construire d’ici à début 2013.


Sur le plan immobilier, que va devenir l’université Paris-Sud ?

Sur le 1,4 milliard d’euros du projet immobilier de Saclay, l’université Paris-Sud devrait obtenir 600 millions d’euros. La moitié de cette somme sera consacrée à notre implantation sur le plateau de Saclay entre 2014 et 2018, avec la faculté de pharmacie, l’IUT, l’école d’ingénieurs, la faculté des sciences, des laboratoires de physique, le secteur biologie-environnement, une partie de la chimie... Si on voulait transférer tous les bâtiments de la vallée de Chevreuse sur le plateau, il faudrait 1,2 milliard d’euros. Une remise à niveau de l’ensemble de notre patrimoine immobilier est estimée à 1,3 milliard d’euros. Les implantations existantes de la vallée seront soit démolies si elles sont vétustes, soit réhabilitées si elles présentent une valeur patrimoniale.



Certains enseignants-chercheurs redoutent l’éclatement de Paris-Sud et dénoncent le manque de concertation des instances collégiales. Que leur répondez-vous ?

«Avoir dû gérer ces dossiers dans la précipitation, sans avoir présenté les projets étape par étape, est l’un de mes regrets»

Avoir dû gérer ces dossiers dans la précipitation, sans avoir présenté les projets étape par étape, est l’un de mes regrets. Après l’Idex 1 et des manifestations assez dures, nous avons perçu la nécessité de faire participer la communauté scientifique de façon plus engagée. Nous avons monté un comité académique consultatif [CAC] au niveau de Saclay qui doit préfigurer un sénat académique. Ce CAC n’a pas d’existence statutaire mais une réalité fonctionnelle en regroupant une centaine de personnes. Il a permis de coconstruire le projet d’Idex 2. Dans les statuts de l’EPCS, il faudra intégrer ce sénat académique d’ici à fin 2012 et définir la façon d’associer les personnels dans sa gouvernance. En tant que président, j’ai toujours fait en sorte qu’il y ait une adhésion consensuelle à mon projet. Si l’université arrive sans image forte de rassemblement sur son projet dans l’EPCS, elle aura du mal à défendre sa place.



Comparez-vous le projet Paris-Saclay à une Silicon Valley à la française ou n’est-ce qu’un slogan politique ?

C’est un slogan politique car, dans la culture américaine, le monde académique et les entreprises sont fongibles, contrairement au modèle français. À Saclay, on va «faire venir» EDF, Horiba, etc., mais les universités n’en sont pas à créer des start up, des PME innovantes… Même si ce projet a été celui du président Nicolas Sarkozy au départ, les collectivités territoriales savent que les établissements eux-mêmes se sont emparés du projet.

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le