Hélène Périvier, économiste (Sciences po - OFCE) : "Avec PRESAGE, c’est la première fois qu’une institution s’engage sur la question du genre"

Propos recueillis par Mathieu Oui Publié le
Hélène Périvier, économiste (Sciences po - OFCE) : "Avec PRESAGE, c’est la première fois qu’une institution s’engage sur la question du genre"
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Lancé en 2010 conjointement par Sciences po Paris et l’OFCE, le Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) veut aborder cette question de manière pluridisciplinaire et toucher l’ensemble des activités de l’établissement de la rue Saint-Guillaume. Interview d’Hélène Périvier, économiste à l’OFCE, codirectrice du programme avec Françoise Milewski.

 Quelle est l’origine du programme PRESAGE ?

C’est au départ une initiative individuelle de Françoise Milewski et moi-même, qui travaillons toutes les deux à l’OFCE, le Centre de recherche en économie de Sciences po, présidé par Jean-Paul Fitoussi. En 2005, comme nous nous sentions un peu à l’étroit dans notre recherche sur les inégalités entre les sexes, nous avons monté un groupe de travail pluridisciplinaire sur le genre et les politiques publiques. Celui-ci réunit des juristes, des historiens, des économistes, des sociologues et des statisticiens. Le partage s’est avéré très enrichissant. Nous avons abordé des thèmes très variés : la division du marché du travail, les droits sociaux, la construction identitaire de l’individu. Nous avons publié en juillet dernier un numéro spécial de la revue de l’OFCE, consacré aux discriminations entre les femmes et les hommes. Ce thème est passé au crible de différentes disciplines, sans volonté de faire catalogue mais plutôt de croiser les regards. C’est tout l’objectif du programme PRESAGE qui se décline sur trois volets : enseignement, recherche et formation continue. Il abordera l’ensemble des questions liées au genre et aux inégalités.

Traditionnellement, les gender studies relèvent plutôt de philosophes ou de psychologues. Le fait que PRESAGE soit au départ l’initiative d’économistes apporte-t-il une dimension nouvelle ?

Nous nous sommes aperçus qu’il existe depuis longtemps énormément de travaux de recherche dans toutes les disciplines, y compris en économie. Par exemple, dans les années 1980 et 1990, l’Association for Feminist Economics a réalisé un travail de recherche important et publie d’ailleurs une revue très bien notée en recherche. La difficulté principale est selon nous d’arriver aujourd’hui à diffuser ses travaux et de les rendre plus visibles, au-delà d’un public déjà concerné. Il y a un fossé entre l’extrême richesse des travaux de recherche et le discours public, encore très rudimentaire, sur la place des hommes et des femmes dans les sociétés contemporaines. C’est la première fois qu’une institution s’engage de la sorte sur cette question du genre comme un sujet transversal et prioritaire. Le soutien de Jean-Paul Fitoussi a été décisif pour convaincre Sciences po. Pour être crédible sur un sujet si souvent caricaturé par certains comme une discipline de bonnes femmes, il fallait un soutien académique lourd.

Comment comptez-vous faire pour mieux diffuser cette recherche ?

Nous misons sur deux axes, l’enseignement initial et le site Internet, qui est encore à l’état d’embryon. À terme, nous voulons constituer une bibliothèque multimédia avec des supports variés audio et vidéo, à l’image du site ressource de l’ENS. Ce sera aussi un outil pour rassembler et valoriser les travaux des autres centres de recherche de Sciences po, comme le CEVIPOF, le CERI ou le Centre d’études européennes. Quant à l’enseignement, nous préparons, pour la rentrée 2011, une offre de cours large et cohérente, à destination des élèves de deuxième année. Pour l’instant, il n’existe que des cours électifs de vingt-quatre heures sur le semestre. Mais l’an prochain, pour chacune des quatre grandes majeures existantes – histoire, droit, économie et science politique/sociologie –, il y aura un cours sur le genre. L’étudiant devra choisir, pour chaque majeure, un cours parmi quatre possibles. Bien sûr, il pourra passer au travers de cet enseignement, mais le challenge est d’offrir quelque chose d’intéressant et de qualité. Déjà, on remarque l’intérêt des étudiants. Dans mon cours électif sur l’économie délivré dès cette année, j’ai une vingtaine d’étudiants, autant de garçons que de filles et 50 % d’étrangers.

Interviendrez-vous également en master ?

Nous envisageons des cours partagés entre plusieurs masters, mais surtout pas de diplôme spécifique car le genre n’est pas une discipline en soi, mais plutôt un sujet traité sous l’angle de différentes disciplines. L’offre de cours en master sera plus professionnelle, par exemple nous proposerons des cours de droit sur les dernières avancées de la législation en matière d’égalité hommes-femmes. Sur ce thème, les directives européennes avancent très vite. Nous envisageons en outre des modules spécifiques pour la formation continue. Nous sentons déjà l’intérêt des entreprises sur ces questions. Certaines nous sollicitent avec des problématiques très concrètes. Par exemple, dans l’industrie lourde, elles remarquent l’absence de jeunes femmes diplômées de grandes écoles sans qu’il y ait de raisons apparentes.

Qu’attendez vous concrètement de ces cours ? Avez-vous une approche militante ?

Cela va au-delà de la sensibilisation. Bien sûr, nous pouvons concrètement faire prendre conscience des discriminations ou des droits de ces futurs cadres. Au-delà des discriminations connues, il existe des mécanismes complexes et plus cachés… qui sont importants à connaître si l’on est amené à avoir des fonctions de direction ou de recrutement. Cette question du genre est par ailleurs extrêmement stimulante du point de vue de la recherche. Le genre peut être un outil de mise en perspective d’une discipline. Prenons l’exemple de l’économie, on pourra essayer d’historiciser l’histoire de la pensée économique : montrer que certaines grandes théories sont aussi le fruit d’une époque. La division sexuelle du travail est ancrée dans le XIXe siècle avec la séparation des lieux de vie et des lieux de production et la question de qui reste à la maison. Mais si l’on veut aller encore plus loin contre les inégalités, il faudrait remonter plus haut dans la scolarisation, dès la maternelle. Il faudrait de plus réfléchir à tous les a-côtés de l’école : la représentation des garçons et des filles dans la publicité, les médias ou dans la littérature enfantine.


Propos recueillis par Mathieu Oui | Publié le