Isabelle Bréda (ORME – CRDP Aix-Marseille) : “Les ‘digital natives’ n’ont pas le gène pour s’informer à l’heure du numérique”

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
La 15e édition des Rencontres du multimédia éducatif et culturel organisées par l’ORME (Observatoire des ressources multimédias en éducation) se tiendra les 31 mars et 1er avril 2010, à Marseille. Conférences et ateliers aborderont le thème « S’informer à l’heure du numérique : une question d’experts ? » Isabelle Breda, co-organisatrice de cette manifestation, revient pour EducPros sur les enjeux de la formation des jeunes aux médias numériques.


Les « digital natives » ont des compétences quasi innées avec les outils numériques… Que leur manquent-ils pour appréhender correctement les informations sur Internet ?
Les « digital natives » n’ont pas les compétences qu’on croit et qu’ils disent. Une étude européenne l’avait montré il y a trois ans. S’ils ont les compétences procédurales ou techniques requises, il leur manque des compétences liées aux réseaux de communication. Il faut apprendre à gérer son identité numérique par exemple : avec un blog ou sur Facebook, ils communiquent à propos de leur sphère privée sur un espace grand public. Ils finissent par le savoir s’il leur arrive des problèmes. Les compétences documentaires, comme savoir chercher l’information, la qualifier, l’archiver, leur font aussi défaut. Il leur faut aussi savoir produire l’information, la diffuser, travailler en collaboration. En outre, ces nouvelles technologies sont des dispositifs médiatiques et les jeunes n’en ont pas conscience. C’est pourquoi il faut les aider à acquérir un sens critique par rapport aux informations qu’on y trouve. Un texte européen intitulé « La compétence médiatique » décrit ainsi très bien ce qu’un citoyen doit savoir à l’ère du numérique. Les jeunes se retrouvent exclusivement dans des situations d’usages et la capacité à concevoir l’objet technologique est absente des apprentissages.

Comment les enseignants sont-ils « armés » pour répondre à ces nouveaux enjeux d’apprentissage ?
Les enseignants sont armés pour donner accès à certaines compétences numériques. Les documentalistes par exemple peuvent intervenir sur les compétences documentaires ; le Clémi [Centre d’éducation aux médias] peut former des enseignants. Pour les élèves, le B2i [brevet informatique et Internet] est censé certifier les compétences procédurales. Et l’option technologique, créée cette année en seconde, pourrait être généralisée. Ce qui manque, c’est une vraie politique globale, car on forme toujours à « comment faire » sans jamais se demander ce que ça induit. On le fait car c’est bon pour l’efficacité de l’éducation ou le marché de l’éducation, mais la pensée pédagogique n’est pas visible. C’est la raison pour laquelle les enseignants ont du mal à donner du sens à ce qu’ils font, entre injonctions du ministère et prise en compte des besoins des élèves.

Qu’est-ce qu’une école 2.0 pour vous aujourd’hui ?
On entend toujours que la France est en retard, mais en retard sur quoi ? Si l’objectif est d’avoir 100 % d’établissements connectés, c’est quasiment le cas pour les collèges et les lycées. S’il s’agit de passer à 100 % d’usages, il sera impossible de demander aux enseignants d’être constamment derrière un ordinateur. Il faut s’interroger aujourd’hui sur le sens, les objectifs de la généralisation des TICE [technologies de l’information et de la communication appliquées à l’éducation]. Il y a certes des marges de généralisation d’usages, d’innovation – comme la géolocalisation en cours de géographie par exemple – mais je ne serais pas choquée que des pans entiers de l’école restent hors des nouvelles technologies. Les arts vivants ne doivent pas disparaître derrière les arts numériques par exemple. Banaliser certains usages, je suis d’accord, mais il faut garder un noyau de profs innovants, qui développent des idées très pertinentes pour leurs problématiques propres.

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le