Quand on parle du numérique et des EdTech, le CNED est très peu cité. Pourquoi ?
Il est vrai que nous sommes un peu la grande muette ! Dans le secteur de l'enseignement à distance, le CNED reste pourtant le plus gros acteur en termes de volumétrie, que ce soit en France ou au niveau européen.
Nous réunissons 240.000 apprenants et proposons 500 types de formations différentes, de la maternelle à l'agrégation, en passant par les CAP et les BTS. L'utilisation du numérique est donc permanente et concerne aussi bien l'apprentissage en lui-même que la conception des cours ou la gestion de l'établissement avec, par exemple, un nouveau chantier consacré au profilage des prospects.
Développez-vous vos propres outils numériques ?
Non. Si je prends le cas de notre chaîne éditoriale numérique (notre système de gestion de contenus), nous avons choisi un outil déjà existant sur le marché et l'avons fait évoluer en fonction de nos propres besoins. C'est ainsi que nous procédons généralement. Nous disposons d'un laboratoire d'innovation, où nous menons de nombreuses expériences. Nous pouvons tester, "torturer" des solutions existantes pour éprouver leurs résistances face à nos grosses masses de données.
Lorsque nous choisissons un prestataire, ce dernier doit nous proposer un produit compatible avec 240.000 inscrits, d'âge et de niveau très différents. En ce qui concerne la dématérialisation des copies, il est facile de trouver sur le marché des entreprises proposant des solutions pour 100 à 200 copies. Avec un volume de 1,5 million de copies par an, vous n'en trouvez plus beaucoup !
De par la taille du CNED, on imagine la structure assez sollicitée de la part des start-up et entreprises EdTech. Vous êtes un cobaye précieux...
En effet, comme nous avons beaucoup de volume, nous intéressons énormément les prestataires, qui peuvent développer des produits pour nous, puis les revendre par ailleurs. Nous sommes donc très sollicités, par les plus petites structures comme les plus grosses !
Mais nous sommes très vigilants s'agissant de l’exploitation des traces d’apprentissages. Celles-ci sont destinées à la seule finalité de la réussite de nos apprenants et sont strictement réservées à ce seul usage interne. Les travaux de recherche que nous sommes amenés à initier avec des laboratoires de recherche se déroulent également dans un cadre très strict.
Si vous faites appel à des prestataires pour développer des produits, quid de votre gestion des données ?
Nous disposons de nos propres infrastructures : les données que nous stockons sont, de par leur nature, très sensibles. Cela fait partie des choses que l'on ne sous-traite pas.
Qui dit 240.000 inscrits dit des publics très divers. L'un des objectifs du numérique est notamment d'adapter le contenu à chaque apprenant. Comment traitez-vous cette question ?
Pour nous, la question de l'adaptive learning est centrale. Nous travaillons actuellement à l'indexation de tous nos parcours, afin de composer plus facilement des parcours différenciés. C'est pourquoi l'analyse des traces d'apprentissage est un sujet incontournable. Nous utilisons d'ores et déjà ces données, avec deux objectifs : lutter contre le décrochage et augmenter la réussite de nos élèves.
Concernant le décrochage, il s'agit d'observer les exercices les moins réussis. Nous avons besoin de systèmes d'alerte, que nous avons déjà mis en place mais que nous continuons de développer, pour permettre à nos enseignants d'intervenir rapidement auprès des élèves en difficulté.
Par ailleurs, nous commençons également à analyser ces données d'apprentissage en vue d'améliorer certaines parties des parcours. Nous avons utilisé un dispositif auprès d'élèves de sixième en difficulté, visant à analyser assez finement leurs difficultés en français et en mathématiques. Nous sommes en mesure de dire quelle partie du programme a été peu comprise par 70.000 élèves.
Utilisez-vous ce dispositif pour d'autres parcours ?
Nous commençons tout juste, notamment avec un petit groupe d'étudiants en BTS. Nous travaillons avec une entreprise capable de recomposer le contenu de la formation en fonction des profils des apprenants, tous volontaires pour cette expérimentation.
Y a-t-il une autre tendance dans laquelle s'inscrit le CNED ?
Oui, celle de l'UX design, de l'expérience utilisateur. Nous disposons, en interne, d'une expertise disciplinaire mais nous devons mieux prendre en compte les apprenants, pour améliorer et simplifier les interfaces. Ce chantier a commencé durant l'été 2017.
Nous récoltons des millions de traces d'apprentissage. La question est de savoir quelles sont les données pertinentes à analyser.
De façon générale, un énorme travail est effectué pour rendre nos outils opérationnels et efficaces pour l'ensemble de nos publics. C'est ce qui est le plus complexe : nous ne nous adressons pas à des geeks. Et cela vaut aussi en interne : le déploiement de chaque nouvelle solution nécessite de mettre au point des modes d'emploi pour nos enseignants.
Quelles problématiques spécifiques au CNED rencontrez-vous dans l'exploitation des données d'apprentissage ?
À l'heure actuelle, de nombreux travaux sont effectués sur les traces d'apprentissage. Mais ils sont réalisés à partir de cours réalisés en présentiel. Aujourd'hui, peu d'études sont dédiées aux cours à distance. Nous devons donc développer toute une modélisation encore inexistante. C'est pourquoi nous allons travailler, début 2018, avec un laboratoire de recherche français. Avec 240.000 élèves, nous avons des millions de traces. La question est de savoir quelles sont les données pertinentes à analyser. L'objectif étant de ne pas être submergé.
Autre problématique : nous avons, au CNED, un usage double du papier et du numérique. Nous avons une obligation d'accessibilité et nous devons donc proposer une solution papier aux publics qui le demandent, notamment lorsque les connexions Internet sont mauvaises.
Si les élèves qui suivent des parcours 100 % papier sont devenus très rares, nombreux sont ceux qui demandent un format mixte, papier et numérique. Ce qui nous interroge : comment recueillir des données d'apprentissage pertinentes dans de telles conditions ? Par notre propre pratique, nous pouvons déduire un certain nombre de choses, mais il nous faut désormais passer à une phase plus théorique.
Vous évoquez la cohabitation entre numérique et papier. Outre la question de l'accessibilité, y a-t-il, selon vous, d'autres freins à une formation 100 % en ligne ?
L'expérience que nous avons menée sur le collège est très enrichissante : nous étions partis sur un format très numérique. Et le retour d'usage a été sans appel : les apprenants souhaitaient moins de cours interactifs et plus de papier. On pourrait penser que la génération des collégiens, très familière des écrans, est friande du tout numérique. Ce n'est pas vrai ; sur des apprentissages lourds et longs en tous cas. On ne peut pas rester sept heures par jour devant un écran. Cela paraît simple en le disant : le tout numérique ne fonctionne pas.
Avec un budget de 86,9 millions d'euros, le CNED emploie 2.200 agents, dont 1.200 enseignants. 50 % des apprenants suivent une formation supérieure, parmi lesquels bon nombre sont inscrits en formation financière et comptable.