Josiane Fournet-Tatin, directrice du CFA Sup 2000 : « La professionnalisation des études est un accélérateur d’ascension sociale. En créant le CFA, j’étais motivée par une envie de me rendre utile »

Propos recueillis par Sandrine Chesnel Publié le
Josiane Fournet-Tatin, directrice du CFA Sup 2000 : « La professionnalisation des études est un accélérateur d’ascension sociale. En créant le CFA, j’étais motivée par une envie de me rendre utile »
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Le CFA Sup 2000 fête ses 20 ans en 2010. Premier CFA interuniversitaire en France, il accueille aujourd’hui près de 2.800 apprentis et affiche, toutes filières confondues, un taux de réussite aux examens de 96 %. Sa directrice et fondatrice, Josiane Fournet-Tatin, nous livre les clés de cette réussite.

Agrégée de génie biologique, docteur en didactique des sciences, comment l’idée de créer le CFA Sup 2000 vous est-elle venue ?

Lorsque j’ai commencé à enseigner, à Paris 12, je me suis très vite intéressée à la professionnalisation des études et à la formation continue, qui pour moi est un accélérateur d’ascension sociale. J’étais motivée par une envie de me rendre utile aux autres, de les aider à progresser, qui me vient sans doute de mon éducation chez les bonnes sœurs ! Je suis alors devenue responsable de la formation continue à l’IUT de Créteil, puis directrice de la formation continue de toute l’université à partir de 1986. C’est dans ce cadre, en 1990, que j’ai été confrontée à la demande d’entreprises qui avaient du mal à recruter des informaticiens directement employables. À l’époque, les contrats de qualification se limitaient au bac+2 et il n’y a avait donc pas de formation en alternance pour les MIAGE, de niveau bac+4. J’ai donc cherché dans le Code du travail pour voir s'il était explicitement interdit que les bac+4 se préparent en apprentissage ; or, je n’ai rien trouvé. J’ai donc contacté des entreprises que je savais potentiellement intéressées par une telle formation, avec le soutien total de mon université et l’accord indispensable des équipes d’enseignants de la MIAGE. Ensemble, nous avons créé une association, l’AFUNA, qui aujourd’hui encore gère le CFA Sup 2000. Ma chance, c’est d’avoir pu profiter d’une liberté formidable, qui m’a permis d’entreprendre sans prendre de risque financier puisque j’étais professeur.

N’avez-vous rencontré aucune réticence face à ce projet très original à l’époque ?

Si, j’ai rencontré d’énormes difficultés avec l’inspection académique de l’apprentissage. Elle pensait que ce mode de formation devait être réservé aux artisans et aux métiers manuels, et, dans un premier temps, n’a même pas voulu examiner notre dossier ! Il a fallu l’intervention du recteur de l’époque, Christian Forestier, pour que notre projet soit étudié. Finalement, nous avons décroché un avis favorable et avons pu recruter notre première promotion de 12 élèves. Aujourd’hui, nous en comptons près de 2.800. Au fil des années, d’autres universités nous ont rejoints : la majorité d’entre elles sont des universités de banlieue, ce qui n’est pas un hasard car elles ont un souci différent de leurs élèves et de leur intégration professionnelle. 

Vous imposez à vos partenaires universitaires une charte de qualité. Pourquoi ? 

Nos apprentis sont avant tout des salariés. Il est fondamental que les entreprises aient la certitude que nous sommes sérieux et que la qualité des études est assurée – et pour garantir cette qualité, il faut la contrôler. Nous avons ici quatre personnes dont le travail consiste à contrôler le respect de notre charte qualité par les universités. Il y a en tout 16 critères, et une partie du financement, l'équivalent de 1.700 € par apprenti, est conditionnée par le respect de ces critères. Nous contrôlons les absences, les volumes horaires des cours délivrés, les emplois du temps, l’engagement des tuteurs universitaires, etc. C’est une charte exigeante : c’est pourquoi il est déjà arrivé que des équipes d’enseignants nous quittent pour se rapprocher d’autres CFA, sans doute moins regardants sur la qualité de la formation dispensée…

Comment décidez-vous d’ouvrir une nouvelle formation ?

Les 96 formations que nous proposons ont toutes été initiées par le CFA. La première règle est de partir du besoin en compétences des entreprises. C’est avec elles que nous identifions les besoins en formation, puis nous contactons les équipes enseignantes. Depuis la mise en place du LMD, il arrive que des universitaires nous contactent avec une proposition de formation : certains maîtres de conférences comprennent bien l’intérêt qu’il y a pour eux à prendre en charge une formation en alternance – ce n’est pas neutre, l’université étant un monde de pouvoir et de réseaux, cela valorise leur position. Mais systématiquement, avant d’examiner leur dossier, nous leur demandons d’avoir 12 engagements d’entreprises prêtes à prendre des apprentis. Sur ce dernier point, nous allons d’ailleurs durcir nos critères pour nous assurer de l’engagement réel des entreprises. Notre chance, c’est de ne pas travailler avec les branches professionnelles, ce qui nous permet d’être plus réactifs sur les ouvertures et les fermetures de formation. Ainsi, en 1995, nous avions choisi de fermer le DUT transport et logistique, qui ne correspondait plus à une demande, et nous l’avons rouvert il y a peu car nous avons identifié de nouveaux besoins. Parmi nos objectifs à moyen terme, il y a celui d’accompagner le développement de l’apprentissage dans les établissements publics, ce qui est la priorité du conseil régional d’IÎe-de-France. Nous avons d’ailleurs recruté une personne pour s’occuper à plein temps de ce dossier.

20 ans, aucun regret ?

Aucun ! Aujourd’hui, notre CFA tourne bien, il est en bonne santé financière. Mon objectif est qu’au moment de le transmettre, il tourne toujours aussi bien, même si pour l’instant je n’ai pas du tout envie d’en partir ! Ce qui est plus difficile, c’est d’accepter d’abandonner la « maternité » de chacun de nos projets. Vous montez des opérations avec des entreprises que vous avez vous-même contactées, puis vous sollicitez des équipes enseignantes pour assurer les formations... et, petit à petit, le temps efface votre engagement initial dans le projet, entreprises et universités se l’approprient complètement. Même si c’est frustrant, il faut l’accepter, car c’est la preuve que la formation est devenue pérenne.

Propos recueillis par Sandrine Chesnel | Publié le