L. Coudret-Laut (Erasmus+) : "Il faut que le budget soit augmenté pour 2023"

Séverine Mermilliod Publié le
L. Coudret-Laut (Erasmus+) : "Il faut que le budget soit augmenté pour 2023"
laure coudret erasmus + // ©  Photo fournie par le témoin
Alors que le programme Erasmus+ fête cette année ses 35 ans, Laure Coudret-Laut, qui a dirigé l’agence française durant six ans, a pris sa retraite début juillet. Elle tire pour EducPros le bilan de ces six années, après avoir négocié le programme 2014-2020 à Bruxelles.

Vous quittez l’agence Erasmus + après un mandat à cheval sur deux programmations. Quel bilan tirez-vous de vos six années à sa tête, marquées par la crise sanitaire, une guerre et une présidentielle ?

On a eu deux ans de Covid, on a inventé de nouvelles formes de travail… ça a été compliqué mais on a fait face. Il y a maintenant une grande expérience de la gestion de crise dans les universités, c’est vraiment un changement. Les établissements ont aussi très vite et bien réagi par rapport à l’accueil des étudiants et enseignants ukrainiens, depuis le début de la guerre.

Les évolutions de l’agence Erasmus ont quant à elles été de plusieurs sortes. Nous l'avons bien adaptée aux enjeux du nouveau programme 2021-2027 : d’un Groupement d’intérêt public à durée limitée, elle est passée en janvier 2021 à durée indéterminée ce qui a eu comme conséquence la sécurisation des personnels.

Nous avons aussi fait évoluer le nombre d’emplois à l’intérieur de l’agence de 110 à 150 environ. Concernant la mobilité et les partenariats, on a bien travaillé sur les quatre grandes stratégies du programme, que sont la transformation environnementale, numérique, la défense des valeurs européennes, et la dimension de l’inclusion. Nous avons notamment revu notre politique de promotion pour être au plus près des territoires, et aller chercher des publics qui se disaient jusqu’ici, 'Erasmus, ça n’est pas pour moi'.

Justement, il n’est parfois pas simple à l’université ou ailleurs d’accéder aux informations sur le programme…

Avec la nouvelle programmation, on s’est ré-interrogé sur la façon de toucher de nouveaux acteurs. Et nous avons mis l’accent sur l’information et comment mieux la diffuser. Nous avons donc beaucoup parlé aux établissements d’éducation et de formation. Et nous avons réalisé une campagne TikTok pour toucher les plus jeunes, et une analyse de la perception du programme par le grand public.

L'analyse a montré la très bonne notoriété du programme, mais aussi des demandes de la part des familles pour informer plus tôt sur Erasmus+, au moment de l’entrée au collège et au moment des choix d’entrée dans le supérieur. On expérimente aussi des bureaux territoriaux qui travaillent à présenter le programme à des acteurs qui ne le connaissent pas sur les territoires.

La Présidence française de l’Union Européenne (PFUE) s’est terminée début juillet, Erasmus+ était l’une des priorités. Quel bilan en tirez-vous ?

On a bien mis en avant la mobilité des apprentis dans le supérieur, post-bac et infra-bac, qui allait avec un rebond de l’apprentissage en France. Il y a eu un bon timing entre des décisions politiques nationales et l’Europe.

Nous allons chercher des publics qui se disaient jusqu’ici, 'Erasmus, ça n’est pas pour moi'

Nous avons aussi fait un focus sur le besoin en investissement en éducation, retravaillé sur comment intégrer la dimension internationale à la formation des enseignants - c’est nouveau et important dans l’attractivité du métier.

La Commission européenne prévoit justement la création de 25 Académies Erasmus+ des enseignants à travers l’Europe d’ici 2025. Ces derniers partent beaucoup moins que les étudiants… Comment améliorer leur mobilité ?

Elle progresse pas mal, mais l’un de nos objectifs est de faire en sorte que plus d’enseignants s’en saisissent. C’est très important car cela va être un dialogue de pair à pair. Avec les universités européennes, on a vu les présidents des universités discuter entre eux pour leurs étudiants, et maintenant dans le scolaire il y a ces académies Erasmus+ qui vont permettre aux enseignants de parler ensemble de nouvelles méthodes de travail.

C’est quelque chose de très précieux et motivant pour l’ensemble des enseignants. Quand des acteurs de l’éducation rencontrent leurs homologues étrangers, ils reviennent, stimulés, avec plein d’idées nouvelles.

Le programme a été marqué par une hausse de la demande de mobilité. Les moyens de l’agence sont-ils en adéquation avec un Erasmus plus inclusif ?

La demande de mobilité dans l'enseignement supérieur et d'autres secteurs pour 2022 est à peu près équivalente à 2021, avec une vraie relance de la mobilité physique. Les universités ont aussi toutes pointé que les mobilités courtes proposées autour de thématiques, comme des campus d’été, marchaient très bien, avec de nouveaux publics.

Quand des acteurs de l’éducation rencontrent leurs homologues étrangers, ils reviennent, stimulés, avec plein d’idées nouvelles.

Mais pour 2023, c’est un sujet politique très important : il faut absolument que le budget soit augmenté pour que tous les possibles puissent être mis en œuvre par les établissements. Ils sont prêts, ont pensé leurs stratégies internationales, on leur demande de travailler sur des publics plus éloignés de la mobilité ce qui demande de l’investissement pour eux.

Donc il ne faut pas que les établissements soient bridés par des financements absents. Il faut que la Commission européenne revoit sa proposition initiale de budget pour 2023.

Pendant votre mandat ont été lancées les alliances d’universités européennes et l’agence a remis en avant les master Erasmus Mundus. En quoi les deux sont liés ?

Nous avons voulu mettre le doigt sur l’expérimentation d’un label universités européennes et de nouvelles formes de gouvernance de ces universités. Or, il y a quand même une pratique de très longue date, avec les Erasmus Mundus, de co-diplomation ; il faut se servir de tous ceux qui en ont monté pour qu’ils apportent leur expérience.

Qu’on ne réinvente pas la roue alors qu’on le pratique depuis longtemps ! En France, un grand nombre d’universités ont cette expérience-là. Les universités européennes sont dynamiques et la crise Covid passée, les choses vont s’accélérer.

Qu’attendez-vous pour l’Agence et votre successeur alors que le programme Erasmus+ actuel court encore jusqu’en 2027 ?

La période d’intérim est assurée par le directeur adjoint Sébastien Thierry, que tous les personnels connaissent très bien, donc la continuité est assurée jusqu’à ce que le processus décisionnel final intervienne.

Certaines choses doivent être mises en avant : maintenir le niveau de qualité de gestion de l’agence avec l’augmentation financière prévue, bien organiser le décollage du programme en 2023/2024...

Évidemment, le grand sujet sera aussi de réussir cette mobilité pour tous avec la dimension inclusion, essentielle à la nouvelle programmation. Il y a de quoi avancer pour mon ou ma successeur(e) !

Séverine Mermilliod | Publié le