Marc Douaire (président de l'Observatoire des zones prioritaires) : « Dans un contexte clair-obscur pour l’éducation prioritaire, l’idéologie se casse les dents sur la réalité »

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Où en est l’éducation prioritaire ? Le ministère de l'Education nationale a publié, le 10 janvier 2011, un bilan positif des RAR (Réseaux ambition réussite). Marc Douaire, président de l’OZP (Observatoire des zones prioritaires ) se réjouit notamment de la reconnaissance du travail des acteurs dans ce rapport. Une réaction recueillie juste avant l'annonce du remplacement des RAR, qui visent à améliorer les résultats scolaires, par le programme CLAIR (Collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite), ciblé sur la lutte contre la délinquance...

Le ministère de l’Éducation nationale publie un bilan national des RAR (voir pdf ), alors qu’il est question d’y substituer le programme CLAIR. En quoi ce bilan est-il rassurant pour les acteurs de l’éducation prioritaire ?

"Ce bilan est une bonne nouvelle pour l’éducation prioritaire, dont Nicolas Sarkozy avait exigé le dépôt de bilan"

Ce bilan est une bonne nouvelle dans un contexte clair-obscur pour l’éducation prioritaire, dont Nicolas Sarkozy avait même exigé le dépôt de bilan annonçant qu’il souhaitait passer de la politique des zones prioritaires à la politique des élèves prioritaires. L’idéologie se casse les dents sur la réalité. Ce bilan vient conforter l’existence des RAR [Réseaux ambition réussite] et fournit des perspectives positives de continuité pour les années à venir. Il reste beaucoup à améliorer, mais, en matière d’inégalité scolaire et sociale, il faut sortir de l’égalité des chances et donner du sens à l’égalité des droits. Lors de l’annonce de la mise en place du programme CLAIR [Collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite], nous avions craint que le ministère de l’Éducation nationale ne passe à autre chose en zappant cette évaluation au terme des quatre années de mise en place des RAR.

En quoi ce rapport conforte-t-il l’existence des RAR ?

S’il n’est pas parfait, ce rapport met en évidence des éléments de réduction des écarts entre les résultats scolaires des élèves de RAR et ceux qui sont hors de l’éducation prioritaire. Sauf en ce qui concerne la maîtrise des compétences de base en français et en mathématiques en classe de troisième.

"Ce rapport est aussi une reconnaissance professionnelle importante du travail des enseignants de l’éducation prioritaire"

Et il est aussi une reconnaissance professionnelle importante du travail des enseignants de l’éducation prioritaire. On ne lit pas ça tous les jours dans un rapport de l’Éducation nationale ! Ce dernier souligne l’effort des équipes qui s’investissent collectivement pour faire réussir les élèves. Il note l’émergence d’une culture professionnelle commune entre enseignants de l’école élémentaire et du collège portée par les enseignants référents, ainsi que l’importance des enseignants supplémentaires, au nombre de quatre par réseau.

Quel est le rôle de ces enseignants supplémentaires ?

Ils œuvrent à mi-temps dans une classe à l’école primaire et dans le premier et second degré. Ce sont généralement de jeunes enseignants volontaires qui travaillent sur les apprentissages avec les CM1, CM2 et les classes de sixième et cinquième en collège. Ils co-interviennent avec l’enseignant dans les classes ou travaillent avec des groupes de besoin, en insistant sur le français et les maths. Il faut rappeler que les RAR ont d’abord une ambition pédagogique portée notamment par ces enseignants supplémentaires.

Qu’attendez-vous désormais du ministère pour soutenir l’action des équipes ?

L’ensemble du texte est sérieux et propose des pistes intéressantes, mais une vraie politique de ressources humaines est nécessaire. Si l’on veut stabiliser les équipes, on le sait, il faut reconnaître leur travail, leur donner du temps de concertation et investir dans leur formation. Les enseignants supplémentaires en RAR n’ont pas de lettre de mission. Il faudrait peut-être commencer par cela.

« Les inspections doivent maintenant relancer la dynamique en réunissant les acteurs de l’éducation prioritaire au niveau académique »

Par ailleurs, les inspections doivent maintenant relancer la dynamique en réunissant les acteurs de l’éducation prioritaire au niveau académique pour analyser et mutualiser les pratiques pédagogiques qui marchent, en français et en maths notamment. Les moyens des RAR devraient être préservés pour les quatre ans à venir. Reste à savoir ce qu’il en sera des RRS [Réseaux de réussite scolaire], sous la responsabilité des recteurs et moins bien servis. Il ne faut pas se disperser, mais s’appuyer sur les équipes mobilisées. Et diffuser ce qui fonctionne auprès de l’ensemble des enseignants de l’éducation prioritaire.

Le programme CLAIR, lancé dans 105 collèges et lycées à la rentrée 2010, peut-il remplacer les RAR ?

« Le programme CLAIR n’a rien à voir avec les RAR »

Les deux tiers des collèges du programme CLAIR sont en Réseau ambition réussite, mais le programme CLAIR n’a rien à voir avec les RAR. Il a été proposé en clôture des États généraux sur la sécurité à l’école et concerne la lutte contre la violence au collège et au lycée. Il prévoit aussi d’exfiltrer quelques bons élèves vers Sciences po ou autre grande école via des dispositifs comme les Cordées de la réussite.

« Dans les RAR, où l’on vise l’amélioration des résultats scolaires de l’ensemble des élèves, l’accent est mis sur le travail en réseau »

Dans les RAR, où l’on vise l’amélioration des résultats scolaires de l’ensemble des élèves, l’accent est mis sur le travail de l’Éducation nationale dans un réseau, avec d’autres acteurs, dont la famille, premier partenaire de l’école.

Que peut apporter le programme CLAIR ?

Le programme CLAIR est censé s’articuler autour de trois axes : l’innovation, l’instauration d’un « préfet des études » et la possibilité pour les chefs d’établissement de recruter leurs équipes pour les stabiliser. L’innovation figure déjà dans la loi Fillon de 2005. Le « préfet des études » n’est qu’une formule, car le conseil pédagogique existe dans les collèges. Et, dans les établissements concernés, il n’y a pas de longue file d’attente de professeurs volontaires. Tout ce que peut faire le chef d’établissement dans la réalité, c’est émettre un avis favorable au maintien des enseignants qui souhaitent rester, ce qui est déjà possible. De plus, le programme CLAIR se concentre sur le collège et le lycée, or l’enquête PISA montre que l’on devrait mettre le paquet sur la maternelle et l’élémentaire. C’est entre 2 et 8 ans que cela se passe. Alors qu’on sait qu’il faut favoriser l’accueil des enfants de 2 ans dans l’éducation prioritaire, ils ne sont que 13 % à être scolarisés en Seine-Saint-Denis.

Le SGEN-CFDT regrette que le bilan des RAR ne pointe pas les effets des stratégies d’évitement scolaire

Le bilan des RAR « minimise l'impact de la suppression de la carte scolaire sur les RAR, alors même qu'il relève que la plupart des établissements ont perdu des élèves et qu'une quarantaine sur 254 collèges concernés (c'est-à-dire un sixième) en ont perdu beaucoup », note le SGEN-CFDT dans son communiqué de presse du 10 janvier 2011. Le syndicat chiffre cette perte à 11.000 élèves en trois ans, « qui passe de 126.000 en 2006-2007 à 115.300 en 2009-2010 ». Le SGEN parle d’une « désertification progressive mais régulière des RAR », ajoutant que les demandes de dérogation sont deux fois plus nombreuses en RAR que dans les autres établissements.

ZEP et RAR, c’est pas CLAIR

Tout le monde en parle encore. Pourtant, les ZEP (zones d’éducation prioritaire) n’existent plus depuis 2006. Parmi les 876 ZEP, les 254 qui concentrent le plus de difficultés sont devenues des RAR (Réseaux ambition réussite). Et les RRS (Réseaux de réussite scolaire) sont venus remplacer les ZEP moins prioritaires.
Depuis la rentrée de septembre 2010, s’ajoute le programme CLAIR (Collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite). Il a été mis en place à titre expérimental dans 77 collèges, 17 lycées professionnels, 5 lycées polyvalents et 6 lycées d’enseignement général et technologique. Les deux tiers des établissements du programme CLAIR étant situés dans un RAR.

À la rentrée 2011, le dispositif sera étendu aux écoles primaires, d’après Christian Nique , chargé de la mission d’évaluation du programme. En ajoutant les « écoles » aux collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite. Le nouvel acronyme du programme devient donc « ÉCLAIR ».

Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le