Marie Boitier (prix Futuris 2010) : « Le dialogue de gestion peut apporter un diagnostic sur les moyens et une vision aux universités »

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
Marie Boitier (prix Futuris 2010) : « Le dialogue de gestion peut apporter un diagnostic sur les moyens et une vision aux universités »
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Comment les universités nouvellement autonomes se sont-elles emparées de leur budget ? Comment pratiquent-elles ou non le dialogue de gestion avec leurs composantes ? Comment les indicateurs de performance sont-ils utilisés ? Deux enseignantes-chercheuses de l’ESC Toulouse se sont penchées sur ces questions depuis la mise en place de la LRU. Marie Boitier et Anne Rivière ont reçu, en septembre, le deuxième prix Futuris 2010 de l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) pour leur article intitulé « Le budget, outil de diffusion d’un nouveau modèle de pilotage des universités ? » . Marie Boitier revient pour Educpros sur les résultats de leur recherche.

Quelle place le budget doit-il prendre au sein d’une université autonome ?

Dans le cadre de l’autonomie, les universités sont censées avoir plus de marges de manœuvre sur l’allocation des moyens de leur budget. Les chefs d’établissement peuvent flécher ces moyens sur tel ou tel programme en organisant un dialogue de gestion avec les directeurs de composante et les directeurs de laboratoire, en discutant de leurs besoins locaux ou des fonctions support nécessaires à leur activité. Le ministère incite à ce dialogue. Les audits rendus avant le passage à l’autonomie par l’IGAENR mettaient en avant ce manque de dialogue de gestion. Aujourd’hui, il est émergent avec des demandes faites aux composantes pour mieux prévoir leurs besoins.


Que manque-t-il le plus aux universités pour faire du budget un instrument politique ?

Ce sont plus des problèmes d’ordre culturel pour s’approprier le dialogue de gestion. La professionnalisation dans ce domaine est émergente avec l’embauche de contrôleurs de gestion, qui peuvent faire du pilotage avec des indicateurs de performance. Les comptables doivent être encore formés et les directeurs de composante et de laboratoire ont besoin d’assistance de gestion. L’AERES [Association d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur] a bien conscience que les établissements ne sont qu’au début de ce changement. Aucune entreprise ne peut opérer ce changement aussi rapidement et les universités sont de grandes entreprises ! La professionnalisation a commencé au niveau de la présidence des établissements avec l’élaboration de tableaux de bord et l’adoption d’un système d’information fiabilisé.

Les directeurs de composante ou de laboratoire sont parfois assistés, mais le dialogue avec la direction n’existe pas pour l’instant. Ce dialogue de gestion exige de prendre des décisions difficiles telles que la fermeture de formations si elles sont non prioritaires par rapport aux objectifs fixés, ou encore la mutualisation de fonctions support notamment au niveau des PRES – comme l’accueil des étudiants internationaux. La définition des missions de l’université est l’une des clés pour instaurer ce dialogue de gestion. Avant de faire du contrôle de gestion, il faut être clair sur la stratégie de l’établissement : l’insertion professionnelle par rapport aux formations, ou l’innovation par rapport à la recherche, par exemple.

Les indicateurs utilisés par les universités sont-ils pertinents ?

Les indicateurs sont ceux imposés par l’AERES, par le système de financement (Sympa), ou ceux que les universités s’imposent au fur et à mesure qu’elles se positionnent vis-à-vis des classements internationaux comme celui de Shanghai. Les effets de cette politique tournée vers des indicateurs externes peuvent être néfastes s’ils changent tous les deux ans et s’ils sont contraires aux valeurs pour lesquelles œuvrent les enseignants-chercheurs de ces établissements.

Les enseignants-chercheurs que nous avons interrogés sont par exemple attentifs à l’indicateur d’insertion professionnelle des étudiants, mais ne veulent pas être évalués individuellement sur ce critère car ils n’en maîtrisent pas la totalité, comme la mauvaise orientation des étudiants ou les retournements du marché du travail dans un secteur. Le dialogue de gestion peut apporter un diagnostic sur les moyens et une vision aux universités. Mais les directions et les enseignants-chercheurs se demandent si les moyens suivront pour réaliser les objectifs d’excellence académique, scientifique et d’insertion professionnelle qu’on leur fixe.



(1) Le premier prix a été attribué à Laurent Buisson, Jean Chambaz et Nelly Lacome de l’université Pierre-et Marie-Curie pour leur étude de cas sur leur université intitulée « Impact et limites de l’autonomie dans une université de recherche un an après le passage aux responsabilités et compétences élargies » .

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le