Médailles aux bacheliers : Gaëtane Chapelle, docteur en psychologie, y voit « un coup d’épée dans l’eau »

Propos recueillis par Camille Stromboni (septembre 2008) Publié le
Médailles aux bacheliers : Gaëtane Chapelle, docteur en psychologie, y voit « un coup d’épée dans l’eau »
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Faut-il donner des médailles aux bacheliers, comme l'a un temps suggéré Xavier Darcos en septembre 2008 ? Gaëtane Chapelle, docteur en psychologie, professeur invitée à l'université de Louvain (Belgique) et co-directrice de la collection Apprendre aux PUF, déplore le recours, une fois de plus, à une « conception du mérite, comme étant le meilleur facteur de motivation pour les élèves ». Ces nouvelles récompenses, « de couleur différente » et « peut-être sur le mode des médailles sportives, or, argent bronze…selon la mention obtenue », selon le ministre, visent à valoriser un diplôme, en perte de vitesse depuis bien longtemps. L'intérêt de cette mesure, simple « doublon des notes », est loin d'être évident pour Gaëtane Chapelle.

La médaille pour les bacheliers est-elle une solution pour motiver les élèves ?

S’il sagit, une fois de plus, de récompenser le « haut du panier », c’est simplement un doublon aux notes. Les lycéens savent déjà très bien se classer. C’est un coup d’épée dans l’eau sans intérêt. Le mérite des élèves pourrait être mesuré grâce à de nouveaux indicateurs pertinents. Les progrès effectués par le lycéen pendant l’année, par exemple. Il s’agirait alors d’une innovation très intéressante.

Dans les théories de la motivation, on distingue chez les apprenants la motivation intrinsèque, qui correspond au plaisir d’apprendre, en soi, et la motivation extrinsèque, qui est liée aux récompenses, c’est-à-dire les notes, les punitions, la perspective d’un diplôme… Ou la médaille. La motivation intrinsèque a beaucoup plus de pouvoir de favoriser les apprentissages. Il serait évidemment préférable d'aider les élèves à ressentir du plaisir dans l’apprentissage lui-même.  

Cette mesure aura-t-elle, néanmoins, un certain impact sur les lycéens ?

Les médailles restent un objectif lointain. Or, l’apprentissage, c’est au quotidien. Quel sens donner à cette récompense ? Pour être motivé, un élève a en effet besoin d'en trouver un. Et pour que les lycéens donnent du sens à ces médailles, il faut d’abord qu’elles en aient. La médaille se comprend chez le sportif. C’est même au cœur de son activité. Pour le lycéen, ce n’est pas la même chose, il ne fait pas « carrière » de lycéen pour avoir une médaille. Ce serait comme affirmer que le bac, c’est pour la gloire. Les lycéens sont très lucides, ils ont compris l’enjeu du diplôme : ils sont d’abord motivés parce qu’ils savent qu’il s’agit d’une porte de passage. Avant d'être bien classés, leur objectif est simplement d’obtenir ce diplôme.  

La méritocratie "à la française" est-elle dépassée?

L’Education nationale s’accroche une fois de plus à une conception du mérite, comme étant le meilleur facteur de motivation pour les élèves. Je ne suis pas contre les anciennes méthodes par principe. Dans les années 1950, les médailles ont existé. Les majors étaient même mentionnés dans le journal local. Cette vision française du mérite a fonctionné à une certaine époque. Il existait encore une possibilité de se réfugier derrière la « lutte des classes » pour expliquer ses échecs. L’école du mérite repose désormais uniquement sur l’individu. Le système méritocratique est donc beaucoup plus nocif aujourd’hui. Si Xavier Darcos souhaite reprendre des solutions anciennes, il faut les insérer dans le système actuel, en leur donnant du sens, un autre sens.  

N’est-ce pas la symbolique de ce dispositif qui compte ?

Effectivement, mais dans le mauvais sens. Si le message symbolique consiste à récompenser les meilleurs, cela enfonce le clou dans une direction qui n’est pas la bonne pour les apprenants. Cette mesure est négative car cela appuie, une fois encore, sur l’identité entre les notes et la valeur d’un individu. Or, comme le montre la psychologie, dans bien des cas, ce que reflètent les notes est très loin des réelles compétences d’une personne. Le stéréotype « notes synonyme d’intelligence » est un vrai problème. Une fois que l’élève a eu une mauvaise note, il considère vite qu’il est simplement « bête ».

La France a choisi un système éducatif élitiste. Regardons à l'étranger. La Finlande, par exemple, ne s’appuie absolument pas sur ces éléments de mérite et met en avant l’apprentissage. La compétition arrive ainsi très tard, vers 14-15 ans et les redoublements n’existent pas. De nombreux éléments montrent que le système français est, lui, très porté sur l’élitisme. Au baccalauréat par exemple, un lycéen français peut avoir une très mauvaise note dans une matière et l’équilibrer avec une très bonne dans une autre. Ce n’est pas le cas en Belgique, où un minimum est exigé dans chaque matière. On favorise ainsi l’idée de la note maximum en France, au détriment de la maîtrise de l’ensemble des savoirs. Les lycéens français sont d’ailleurs parmi ceux qui souffrent le plus du stress en Europe. Ces médailles ne risquent pas d’être un anti-stress.

Gaëtane Chapelle et Étienne Bourgeois (professeur de l'université de Louvain-Belgique et au CNAM) ont dirigé l'ouvrage span style="font-style: italic;">Apprendre et faire apprendre, aux éditions du PUF, coll. "Apprendre", 2006.

Propos recueillis par Camille Stromboni (septembre 2008) | Publié le