Michel Wieviorka : "Les initiatives de Sciences po Paris en matière de diversité remettent en cause une vision pure et dure de la méritocratie républicaine"

Propos recueillis par Emmanuel Vaillant Publié le
Michel Wieviorka : "Les initiatives de Sciences po Paris en matière de diversité remettent en cause une vision pure et dure de la méritocratie républicaine"
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Sociologue et chercheur à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), Michel Wieviorka a été chargé par Valérie Pécresse en février 2008 d'une mission d'études sur « la diversité dans l'enseignement supérieur et le monde de la recherche ». Il nous livre les grandes lignes du rapport qu'il remet à la ministre ce mercredi 15 octobre 2008.

Qu’est-ce qui justifie cette mission sur la diversité ?
Parce que la notion de « diversité » est sujette à des interprétations très diverses, notre mission a d’abord consisté à en clarifier la définition et à tenter d’en comprendre les enjeux dans le monde du supérieur et de la recherche en particulier, et dans notre société en général. Par diversité, il faut entendre deux registres de préoccupations. D’un côté, ce sont les problèmes de reconnaissance des différences culturelles, religieuses, linguistiques... bref, d’une variété d’identités qui demandent à être reconnues dans l’espace public. On pourrait parler par exemple en ce qui concerne la vie étudiante de la viande halal dans les cantines ou encore des salles de prière dans les cités universitaires. D’un autre côté, parler de diversité, c’est se demander comment éviter que des individus qui appartiennent à un groupe réel ou supposé différent soient discriminés dans leur accès à l’université ou aux grandes écoles.

Concrètement, quelles sont les principales recommandations de votre rapport ?
Une première série de préconisations concerne la production et la diffusion des connaissances liées à la diversité. Nous manquons en France de documentations permettant de mesurer les discriminations sur des sujets comme l’accès à un logement ou à un premier emploi. Des instruments restent à construire. Cela pose des questions complexes à l’exemple du débat actuel sur les statistiques ethniques. S’il est exclu de mener une enquête générale qui proposerait une image ethnicisée de la France, il n’y a aucune raison d’interdire à des acteurs précis de se compter en connaissant bien les finalités d’un tel comptage. On pourrait imaginer des travaux qui mesurent en quoi le fait d’avoir un prénom arabo-musulman a une incidence sur le parcours d’études. Il faut aussi promouvoir des recherches, notamment en anthropologie, qui ne stigmatisent pas des groupes en particulier, mais qui portent sur de grandes problématiques : l’insertion, l’orientation... Aussi, du côté des entreprises, qui se sont saisies de cette question de la diversité, nous recommandons de développer des études sérieuses pour mesurer les impacts réels de leurs politiques de lutte contre les discriminations.

Que proposez-vous concrètement pour favoriser la diversité dans l’enseignement supérieur ?
C’est l’objet d’une seconde série de recommandations. Il faut mener un effort considérable d’information au niveau des lycées. Trop souvent, les jeunes issus de l’immigration vivant dans des banlieues défavorisées n’ont pas accès au supérieur parce qu’ils n’y sont pas incités. Faciliter leur intégration doit être une priorité, notamment en mettant en place des accompagnements individualisés. À l’université, mais aussi pour accéder aux grandes écoles. Nous conseillons par ailleurs aux écoles les plus sélectives d’en finir avec un certain malthusianisme et d’ouvrir plus largement leur recrutement. Les initiatives de Sciences po Paris nous semblent être un exemple à suivre. Elles remettent en cause une vision pure et dure de la méritocratie républicaine qui, en ne tenant pas compte des différences sociales et culturelles, a longtemps reproduit des inégalités. Alors, certes, nos différentes suggestions ne sont pas inédites, mais, en les affirmant, nous montrons que les choses bougent et que certaines réserves idéologiques sont en train de tomber.

Propos recueillis par Emmanuel Vaillant | Publié le