Nicole Levy (directrice de l’Ecole Vaucanson) : « Contrairement au lycée professionnel, la quantité de travail personnel est importante »

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Lancée en septembre 2010, l'Ecole Vaucanson , grande école par apprentissage a formé sa première promotion de bacheliers professionnels. Retour sur la première année de cette école installée à Saint-Denis (93) et soutenue par le Cnam avec Nicole Levy, sa directrice. Professeur d'université en informatique, elle avait précédemment dirigé l’école d’ingénieurs ISTY.


Quels bacs professionnels a accueilli la première promotion d’apprentis de l’Ecole Vaucanson ?

En licence de Sciences pour l’ingénieur, destinée à des bacheliers de spécialités industrielles, les premiers recrutés sont issus de bacs professionnels spécialisés en électronique et électrotechnique et maintenance d’équipement industriels. Mais c’était finalement assez ouvert, puisque nous avons également accueilli des titulaires d’un bac MEI (maintenance des équipements industriels), ou technicien d’usinage. Du côté de la licence générale économie, gestion, langues, ciblée sur des bacs professionnels tertiaires, les étudiants viennent principalement d’un bac pro vente, secrétariat ou comptabilité. Les 18 apprentis, âgés de 19 à 23 ans, se destinent tous à décrocher en trois ans un diplôme d’établissement de niveau licence, puis nous essaierons de les amener au niveau master, toujours en apprentissage.


Le niveau de l’Ecole a-t-il découragé certains élèves ?

Je reconnais avoir été surprise par le faible niveau des apprentis en mathématiques et en français, notamment. Malgré leur statut de très bons élèves de terminale professionnelle, ils ne maîtrisaient pas certaines résolutions d’équation de niveau collège, la règle de trois ou le calcul de pourcentage, par exemple. Et certains sont arrivés avec de grosses lacunes en orthographe et du mal à comprendre ce qu’ils lisaient. Mais à force de travailler là-dessus et de rédiger des exposés, ils ont généralement fait des progrès considérables dans la maîtrise de la langue écrite. Reste qu’un ou deux apprentis de la première promotion ne seront peut-être pas en mesure de continuer leur formation à la rentrée 2011, malgré les adaptations pédagogiques incontournables que nous avons opérées pour tenter de les emmener vers une licence. Contrairement au lycée professionnel, où ils n’avaient peu ou pas de travail personnel, la quantité de travail personnel demandée ici aux élèves est importante. En plus des 35 heures hebdomadaires de cours ou de travail, certains apprentis cumulent des temps de transports parfois très importants entre leur domicile et leur lieu de formation ou de travail. Le tout avec seulement cinq semaines de congés.


A l’issue de la première année, jugez-vous positivement les adaptations pédagogiques mises en œuvre par l’Ecole ?

Nous fonctionnons sur un rythme d’alternance école-entreprise d’environ un mois et demi à deux mois. A l’école, notre pédagogie est adaptée à des jeunes qui n’aiment pas trop l’école, justement. Nous devions prendre en compte le fait que les apprentis accueillis puissent avoir des difficultés à prendre des notes et à rester immobiles pour écouter un cours. Tous les fondamentaux sont donc repris par projets et non par cours disciplinaires. Lorsqu’ils travaillent sur des projets pluridisciplinaires, les apprentis sont actifs et en quête d’informations pour parvenir à les monter. Cette année, ils ont travaillé, par exemple, sur un projet de création d’une association pour réaliser une action humanitaire. Ce projet les a conduits à s’interroger sur le monde associatif existant, le type d’action à envisager, le budget... C’est une autre manière de toucher au droit, à la comptabilité, tout en écrivant, s’exprimant et en allant à la rencontre de beaucoup de monde. Les apprentis ont également droit à des cours de théâtre et de posture pour améliorer leur façon de parler. Une compétence qu’ils peuvent réinvestir à chaque période d’un mois et demi passée sur des projets, puisque chaque projet donne lieu à une présentation et à une évaluation.

Il était prévu que l’initiative fasse des petits et que d’autres écoles du même type voient le jour à la rentrée 2011. Qu’en est-il ?

Certains partenariats avec des écoles de commerce et d’ingénieurs ont pris un peu de retard. Rien ne devrait donc être en place avant la rentrée 2012 dans l’Ouest et le Sud de la France. Mais d’autres sites poursuivant le même objectif devraient effectivement voir le jour, en Bretagne, du côté de Rennes ou Saint Brieuc, et probablement à Marseille. En ce qui concerne l’Ecole Vaucanson, nous prévoyons d’accueillir une trentaine de nouveaux apprentis à la rentrée de septembre 2011. Ils ont été sélectionnés parmi 70 candidatures.

Quelle sont les qualités requises pour figurer parmi les bacheliers professionnels qui intègrent l’Ecole Vaucanson ?

Il faut faire partie des 10 % qui forment la tête de classe ou être au moins dans le premier tiers de sa classe de terminale. Nous tenons énormément compte du fort potentiel du bachelier, notamment à travers l’avis confidentiel du professeur principal de terminale. Dans le dossier proposé au candidat, un formulaire permet au professeur principal de se prononcer sur le niveau scolaire, les potentialités et les qualités de l’élève : qualités humaines, sociabilité, aptitude à raisonner, expression orale et écrite, autonomie et esprit d’initiative. Cet avis, qui nous est transmis par enveloppe cachetée, est essentiel. Il est également impératif que le candidat soit très motivé, parce que cette formation demande de fournir énormément de travail. Pour juger de la motivation et du potentiel de l’élève, nous examinons aussi les expériences de stages, les projets réalisés au lycée, les raisons qui poussent le bachelier à poursuivre ses études et ses notes de première et de terminale. Et l’entretien auquel sont convoqués les élèves dont le dossier semble convenir permet de vérifier qu’ils ont bien le profil pour tenter l’aventure. Même si nous les avons recrutés sur dossier avant les résultats du bac, il se trouve que les apprentis de l’Ecole Vaucanson cette année avaient tous décroché une mention assez bien minimum au bac. Ensuite, leur admission est soumise à la signature d’un contrat d’apprentissage avec une entreprise. Nous avons fait le choix de l’apprentissage parce qu’il est indispensable qu’ils soient sur le terrain pour exercer leur métier. Afin de ne pas perdre leur spécificité.


Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le