Yannick L’Horty : "Maîtrise de l'orthographe et réussite en licence sont liées"

Natacha Lefauconnier Publié le
Yannick L’Horty : "Maîtrise de l'orthographe et réussite en licence sont liées"
Yannick L'Horty est professeur d'économie à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée. // ©  Photo fournie par le témoin
Les étudiants ayant une bonne maîtrise de l’orthographe et de la langue française obtiennent de meilleures notes en licence. Si le lien de causalité semblait établi, il est désormais démontré par une étude menée pendant trois ans par quatre enseignants-chercheurs, dont Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée.

Pourquoi avoir choisi d’étudier la causalité entre maîtrise de l’orthographe et réussite en licence ?

En tant qu’enseignant à l’université, je suis confronté au décrochage et à l’échec en licence. Chaque année, ce sont un quart des étudiants qui sortent de l’université sans avoir obtenu de diplôme. C’est assez naturellement qu’avec plusieurs autres professeurs de l’Upem (université Paris-Est-Marne-la-Vallée) et de l’université Lille 1, nous nous sommes posé la question d’une mauvaise maîtrise de la langue comme facteur d’échec en licence. Elle n’avait jamais été abordée par une approche expérimentale.

Comment avez-vous procédé pour mener cette expérience ?

L’expérimentation a porté sur 526 étudiants, uniquement en première année de licence économie-gestion, à l’Upem. Nous avons répété le même protocole trois années de suite (de 2011-2012 à 2013-2014). Pour la troisième année, le protocole a été étendu à l’université Lille 1, avec 323 étudiants.

Le but était de faire progresser certains étudiants en orthographe et de mesurer l’impact sur les notes en licence, dans toutes les matières. Pour cela, nous avons utilisé comme outil le Projet Voltaire, plate-forme numérique permettant de s’entraîner pour améliorer son orthographe.

En début d’année, dans le cadre de l’enseignement "méthodologie du travail universitaire", nous avons tiré au sort les groupes de TD. Pour la moitié d’entre eux, désignés comme le "groupe test", les chargés de TD avaient pour consigne d’encourager fortement les étudiants à utiliser le Projet Voltaire à chaque début de séance.

Pour l’autre moitié des TD, le "groupe témoin", les responsables n’avaient aucune consigne particulière. Pour ne pas fausser les résultats, les étudiants n’étaient pas au courant qu’ils participaient à une étude, mais tous avaient un accès gratuit et illimité au Projet Voltaire.

Comment avez-vous mesuré les résultats sur les progrès en orthographe ?

Nous avons d'abord regardé le temps passé par les étudiants du groupe test et par ceux du groupe témoin sur la plate-forme d’entraînement à l’orthographe. Le temps passé chaque semaine est de vingt minutes pour les jeunes fortement encouragés et de moitié moins pour ceux qui ne sont pas encouragés.

Ensuite, nous avons pris en compte les résultats des étudiants aux tests d’orthographe de début et de fin de semestre. À la rentrée, les résultats étaient homogènes entre les deux groupes, alors qu’à la fin du semestre nous avons constaté des différences assez fortes, le groupe ayant été encouragé à utiliser le Projet Voltaire réussissant mieux au test final d'orthographe.

Le fait de travailler l’orthographe, la conjugaison et la grammaire bénéficie plus fortement aux étudiants initialement plus faibles.

Et sur la réussite en licence ?

Nous avons comparé les notes des étudiants des deux groupes dans toutes les matières. Les résultats sont significatifs : les moyennes des étudiants du groupe test sont plus élevées de 0,5 à 1 point par rapport à celles des étudiants du groupe témoin. Et ce, dans la plupart des matières, qu’elles soient littéraires ou scientifiques. 

Ces résultats suggèrent que l’insuffisante maîtrise de la langue mérite bel et bien de figurer dans la liste des facteurs d’échec en licence. Ils suggèrent aussi qu’il peut être bénéfique d’encourager les étudiants à améliorer leur maîtrise de l’expression écrite, au début du cycle universitaire. Ce qui n’est pas organisé aujourd’hui.

D’autres constats vous ont-ils interpellé ?

Il est intéressant d’observer que le fait de travailler l’orthographe, la conjugaison et la grammaire bénéficie plus fortement aux étudiants initialement plus faibles, qui sont plutôt des garçons ayant obtenu leur baccalauréat sans mention.

Ce constat nous conduit à penser que des actions ciblées sur les étudiants qui éprouvent le plus de difficultés, par exemple au travers de cours de soutien, sont préférables à des actions uniformes sur l’ensemble des étudiants de premier cycle.

En effet, dans certains cas, on obtient des résultats négatifs de l’expérimentation, par exemple dans certaines matières pour les filles, qui sont initialement meilleures en orthographe. Cela qui suggère un effet de lock-in : le temps passé à améliorer la maîtrise du langage empiète sur le travail dans certaines matières. Ces résultats prennent à contre-pied nos préjugés : c’est là toute l’utilité de la méthodologie expérimentale.

Yannick L'Horty est professeur d’économie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée et directeur de la Fédération de Tepp (Travail, emploi et politiques publiques) du CNRS. Il s'intéresse aux protocoles expérimentaux des politiques publiques, notamment sur les thématiques liées à l'insertion professionnelle des jeunes.
Natacha Lefauconnier | Publié le