Yazid Sabeg, commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances : « L'État a le devoir d'être beaucoup plus directif sur l'ouverture sociale des grandes écoles »

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier Publié le
Yazid Sabeg, commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances : « L'État a le devoir d'être beaucoup plus directif sur l'ouverture sociale des grandes écoles »
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Un an après la publication de son programme d'action pour la diversité, nous avons rencontré Yazid Sabeg. Le commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances regrette que « la réforme du lycée ne s'intéresse pas assez aux filières technologiques », critique les prépas « devenues des armes de destruction massive » ou encore l'attitude des grandes écoles dans le débat sur les quotas de boursiers.

Lors de la polémique sur les quotas de boursiers dans les grandes écoles, on vous a dit fâché avec ces établissements. Vous êtes-vous réconciliés depuis ?

Je ne suis pas fâché avec eux, mais, sachant le poids des mots, je dois indiquer que les 30 % de boursiers ne sont pas un quota, mais un objectif d'équité sociale parmi d'autres. Ensuite, sur cette grave question, ils ont manqué une occasion de se taire et ont déclenché une polémique artificielle. Leur insouciance risque de les délégitimer alors qu'elles constituent un dispositif qui fonctionne et qui peut se développer s'il parvient à se réformer et à s'ouvrir socialement. Les Cordées de la réussite ou le tutorat sont utiles, mais ne suffiront pas à transformer la composition sociale des grandes écoles. Les réformes nécessaires et indispensables sont de grande ampleur et concernent l'élargissement du vivier de recrutement aux filières technologiques, l'accroissement de la taille des promotions, les relations universités-grandes écoles, mais aussi les méthodes et les critères de sélection. Les prépas sont devenues des armes de destruction massive et ne correspondent plus aux exigences de demain. Les critères d'excellence eux-mêmes doivent être repensés pour ne plus être limités aux seules mathématiques.

Valérie Pécresse a annoncé la mise en place d'un indicateur de performance sociale pour les établissements d'enseignement supérieur. Qu'en pensez-vous ?

Les politiques publiques doivent pouvoir être évaluées et leurs résultats mesurés. Je suis évidemment favorable au développement d'un tel indicateur qui devrait croiser différentes données : le taux de boursiers, les catégories socioprofessionnelles, l'origine territoriale, la taille des familles. L'évolution des cohortes d'élèves nous renseignerait sur les parcours et l'impact de l'éducation sur la mobilité sociale. La Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'Éducation nationale devrait être en mesure de fournir d'ores et déjà de telles informations.

Par ailleurs, la création d'une agence pour le développement des grandes écoles afin de coordonner leurs ressources et leurs politiques serait opportune. La parole de l'État qui finance la plupart des grandes écoles n'est pas assez forte. L'État a le devoir d'être beaucoup plus démonstratif et plus directif sur l'ouverture sociale de ces établissements.

Votre rapport sur la diversité et l'égalité des chances date de mai 2009. Estimez-vous que la situation a changé depuis sa parution ?

Il y a certainement une prise de conscience sur le fait que l'enjeu d'ouverture sociale pour notre pays comporte la nécessité impérieuse d'investir massivement en faveur de sa jeunesse. En fait, la France n'a pu être prospère que parce qu'elle est parvenue à former une main-d'œuvre abondante et de qualité, continuellement et au cours des trente années postérieures à la Seconde Guerre mondiale. Ce progrès est aujourd'hui rompu si l'on observe des indicateurs tels que le taux d'emploi des jeunes ou la quotité d'étudiants dans l'enseignement supérieur par classe d'âge qui sont très défavorables dans notre pays. Il en est de même s'agissant de l'adéquation entre les formations des jeunes et les besoins de notre industrie.

Pour corriger une telle situation, notre objectif devrait donc être de passer de 42 à 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur. La population étudiante devrait ainsi passer de 2 à 2,4 millions.

Pour réaliser cet objectif on ne pourra plus se contenter du vivier des bacs scientifiques. Il sera nécessaire d'élargir le recrutement de l'enseignement supérieur, IUT et grandes écoles comprises aux bacs de la filière technologique.

Or, on ne fait pas grand-chose pour les élèves de cette filière alors que, sociologiquement, c'est bien là que sont les facteurs d'ouverture sociale. L'efficacité ainsi que la justice sociale devraient conduire à une vraie refonte de cette filière pour la rendre utile et attractive. Je l'ai dit à Luc Chatel. Je lui ai également dit que l'on pouvait craindre que la réforme du lycée telle qu'elle est envisagée nous fasse manquer une opportunité, car elle laisse de côté les filières technologiques, alors qu'elles devraient faire l'objet d'une attention approfondie et être revues de fond en comble : contenus, méthodes, évaluation... Je rappelle que c'est aussi un vœu du président de la République qui a constamment souhaité mettre l'égalité des chances au cœur de la réforme du lycée.

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier | Publié le