Concertation sur l’école et Panthéon scolaire : la chronique de Benoît Falaize

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l'émission de Louise Tourret, "Rue des écoles", sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université de Cergy-Pontoise) évoque les combats d'Odette Laguerre, une figure importante de la république scolaire, dans la lignée de Condorcet, Buisson et Zay. Inspirant à l'heure du lancement de la concertation sur l'école voulue par le gouvernement.

"Est-ce parce que nous approchons de la concertation prévue par le ministre de l'Éducation nationale, le 5 juillet en Sorbonne, ou parce que la parité est à l'honneur au gouvernement (ou dans cette émission pour la distribution des chroniques, Louise Tourret), ou est-ce parce que depuis longtemps je voulais, à cette antenne, parler d'elle ? Je voudrais rendre hommage à Odette Laguerre, pédagogue du primaire, sous la IIIe République.

Il s'agit d'une personnalité étrangement assez peu connue de la pédagogie de la IIIe République, que les féministes connaissent mieux que l'institution scolaire et les chercheurs en histoire de l'éducation. Il est vrai qu'elle a écrit un texte très remarqué à l'époque, en 1905, ‘Qu'est-ce que le féminisme ?', paru chez un éditeur très militant de la rue de la Tunisie à Lyon, la Société d'éducation et d'action féministes. Les chercheurs en histoire de l'école primaire la connaissent moins, même si l'on croise certains de ses articles dans la revue ‘le Journal des instituteurs' au tout début du XXe siècle."

Louise Touret : "Au moins, l'affaire est claire chez Napoléon !"

"Du reste, dans ce texte très engagé pour la cause féministe, Odette laguerre évoquait la question de l'éducation des filles, et cite ce mot de Napoléon Ier : ‘La religion est une importante affaire dans une institution publique de demoiselles. Elle est, quoi qu'on puisse en dire, le plus sûr garant pour les mères et les maris. Élevez-nous des croyantes et non pas des raisonneuses.'

Mais on voit comment, l'année même de la séparation des Églises et de l'État, Odette Laguerre montre le lien entre les valeurs de la République en combat et l'obligation ardente de prendre en compte l'égalité homme/femme, y compris dans l'éducation. Si Laguerre, estime que la République a rempli son rôle dès les lois Ferry, qui décidaient l'enseignement des garçons et des filles obligatoires, la loi de 1886, elle, celle qui oblige la laïcisation des écoles de garçons sous 5 ans, est inacceptable, car la loi laisse toute latitude pour les écoles des filles.

La question même de l'orientation était évoquée par notre pédagogue : elle salue le fait que le Congrès international féministe de 1900 ait demandé le droit à toutes les jeunes filles d'apprendre un métier, à côté d'un enseignement complémentaire féminin comprenant ‘la science de l'enfant et la science domestique'. ‘On est femme, capable de marcher seule (donc de bien s'orienter dans la vie professionnelle, à côté des hommes et non contre), dit-elle ; et on sait nos responsabilités de mères.' Ainsi éduquée, la femme unira son influence à celle de l'homme et ce sera ‘la fin de la guerre et l'avènement de la fraternité'."

Louise Touret : "Quel autre rôle a-t-elle dans l'institution scolaire ?"

"Odette Laguerre n'était pas que féministe, ou plutôt, elle était à la fois féministe, pacifiste, humaniste, pédagogue républicaine, amoureuse du genre humain, dévouée à la cause des enfants en difficulté, et très spécialisée dans l'enseignement de l'histoire pour l'école primaire. Sur les enfants, elle écrit un texte, paru un an après son retentissant ‘Qu'est-ce que le féminisme ?'. Il s'agit d'un livre, chez le même éditeur, pour la protection de l'enfance (1). Et en relisant son ouvrage écrit avec Ida R. Sée, j'ai retrouvé une préoccupation, là encore très proche de l'orientation scolaire, ou, du moins, de la volonté d'accompagner l'élève après la scolarité obligatoire qui était beaucoup plus courte qu'aujourd'hui. L'archéologie d'une réflexion sur la formation continue, en quelque sorte : ‘Mais à l'école primaire, il faut un lendemain. L'écolier, à 12 ou 13 ans, muni de son certificat d'études, ne doit pas cesser d'apprendre. Il a besoin de compléter son instruction générale et de commencer son éducation professionnelle. Il faut organiser l'enseignement post-scolaire, l'enseignement des adultes, les cours techniques, et il faut aussi que les enfants du peuple puissent en profiter, que l'usine ou les ateliers ne les accaparent pas tout entier au sortir de l'école.' Prémices d'une question qui trouvera en Henri Pieron, quelqu'un qui consacrera la question de l'orientation professionnelle, dès 1928.

Pour finir, j'ai tenté de recenser les thèmes d'articles sur l'enseignement de l'histoire et ses interventions dans les revues pédagogiques à destination du primaire. Les sujets qu'elles abordent concernent presque exclusivement la tolérance religieuse. Et là encore, dans les conseils qu'elles adressent aux instituteurs, le ton est ferme : ‘Dieu le veut ! C'est à ce cri que les chrétiens d'Occident s'armèrent pour la croisade. C'est à ce cri, ou dans cette pensée que les croyants de toutes les religions se sont crus en droit de combattre, persécuter et massacrer ceux qui ne partageaient pas leurs croyances. (...)' (2)

Je cherchais les raisons de venir parler d'Odette Laguerre. J'espère vous avoir convaincu qu'elle figure une des figures les plus importantes de la république scolaire, dans la lignée de Condorcet, Buisson et Zay, ou encore sa propre contemporaine et son aînée, Pauline Kergomard. En temps de refondation de l'école, voici un beau panthéon scolaire féminin."

Benoît Falaize, université de Cergy-Pontoise, coauteur avec Elsa Bouteville de "L'Essentiel du prof d'école", Didier-l'Etudiant, 2011.

(1) La protection de l'enfance, avec Ida R. Sée, Société d'éducation et d'action féministes, Lyon, 1906.
(2) O. Laguerre, "La paix !", "Journal des instituteurs", 15 novembre 1903.

Maëlle Flot | Publié le