"Taille des classes et efficacité des enseignants", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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Le métier d'enseignant est censé se réinventer. Ira-t-on jusqu'à arrêter de confier les meilleurs élèves aux meilleurs enseignants ? Cette chronique a été publiée par l'Echo Républicain.

Diminuer la taille des classes permet d'améliorer les résultats des élèves. Problème : les finances publiques rendent hautement hypothétique la mise en œuvre de cette solution à une large échelle. Comment sortir de la contradiction ?

Un think tank conservateur américain, le Thomas B. Fordham Institute, a eu l'idée de s'intéresser non pas aux effectifs d'élèves mais à l'efficacité des enseignants. Son raisonnement repose sur un tabou absolu en France, du moins au plan institutionnel : certains professeurs sont meilleurs que d'autres (cette idée-là passe encore mais pas son corollaire : c'est donc qu'il y en a de "mauvais").

Pourquoi ne pas leur confier plus d'élèves, à ces enseignants qui, face aux mêmes élèves, font mieux que leurs collègues ? Et quand on le fait, cela profite-t-il toujours autant aux élèves ? Mieux : en modulant la taille des classes en fonction de l'efficacité des enseignants, ne pourrait-on pas offrir aux professeurs moins expérimentés – ou moins "efficaces" – des effectifs suffisamment réduits pour que cela compense les effets de leur moindre "efficacité" ?

L'étude répond par l'affirmative à ces trois questions. Tout en admettant qu'elle repose sur des modèles statistiques théoriques, défaut sur lequel ne manqueront de bondir les détracteurs de cette approche, lesquels, soit dit en passant, se montrent plus souples au plan méthodologique quand d'autres modèles, tout aussi théoriques, affirment que la diminution de la taille des classes entraîne mécaniquement une amélioration du niveau.

Mais son principal défaut est évidemment de prétendre que tous les enseignants ne produisent pas le même effet sur leurs élèves et d'envisager d'utiliser cette variable, qui plus est en rendant visible les différences – difficile d'imaginer un établissement fonctionnant ouvertement selon de tels principes, avec des classes à petits effectifs de "mauvais profs" côtoyant les classes à effectifs renforcés des "bons profs" (même si c'est ce que vivent déjà certains enseignants du supérieur, notamment aux États-Unis ou, en France, lorsque les enseignements sont notés et librement choisis par les étudiants).

Il n'empêche. Pour choquante qu'elle apparaisse, cette approche pointe trois urgences. La première consiste à inventer des carrières enseignantes qui n'inviteraient pas les enseignants les plus capés et les mieux notés à choisir presque systématiquement des établissements accueillant des élèves toujours "meilleurs". Car derrière le tabou qui interdit d'affirmer que certains enseignants sont "meilleurs", l'institution est à la manœuvre. Elle sait que certains font mieux. Que fait-elle pour les récompenser ? Leur proposer des élèves eux aussi meilleurs. Tous ne cèdent pas à ces sirènes, mais il faut un caractère bien trempé, de solides convictions, voire, de préférence, les deux, pour refuser cette pente naturelle et son cortège de rétributions salariales et symboliques.

La deuxième serait de soutenir vigoureusement les recherches en intelligence artificielle qui permettent d'offrir une "aide à l'enseignement" comme un radar ou un GPS offrent des "aides à la navigation" (la machine ne se substitue pas au pilote mais l'aide à se concentrer sur l'essentiel).

La troisième consiste, une fois encore, à repenser rapidement la formation des enseignants, notamment après leur entrée dans la carrière, seule façon de faire converger la réalité avec l'idée selon selon laquelle il n'y a pas de "mauvais" enseignants, et de faire ainsi en sorte que tous les enfants, conformément à la promesse gravée au fronton des écoles, soient traités de manière égale.

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