"La chasse à l’excellence est ouverte", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

Emmanuel Davidenkoff Publié le
En matière d'éducation, l'ambition proclamée d'offrir le meilleur au plus grand nombre est loin de se traduire par des faits concrets. Cette chronique a été publiée par l'Echo Républicain.

Ainsi donc il y aurait la bonne et la mauvaise excellence. La bonne, du point de vue du gouvernement, se doit d’être destinée à tous ; la mauvaise se reconnaît à ce qu’elle ne s’adresse qu’à une minorité choisie.
C’est cette logique qui prévaut aussi bien dans le supérieur que dans le secondaire : elle fonde la détestation des pôles d’excellence, Idex (Initiatives d’excellence) et autres Labex (Laboratoires d’excellence) inventés par la droite pour cibler ses financements universitaires, comme la fermeture annoncée des internats d’excellence créés par Luc Chatel pour accueillir collégiens et lycéens en difficulté – celui de Douai vient d’être informé qu’il ne verrait pas la rentrée 2014.

Sur le principe, l’ambition d’offrir le meilleur au plus grand nombre est difficilement critiquable. Malheureusement, en matière d’éducation, les approches trop radicales ont toutes montré leurs limites. Le recours à la seule émulation par la concurrence d’inspiration libérale ne permet pas de tendre la main aux plus fragiles, voire aggrave les inégalités (consulter les divers rapports sur les effets de l’assouplissement de la carte scolaire décidé par Nicolas Sarkozy).
Mais l’égalitarisme qui prétend régler tous les problèmes en refusant de voir dépasser une tête ne produit pas de meilleurs résultats dans un système éducatif fortement affecté par les inégalités sociales et territoriales – quarante ans de littérature sociologique l’ont amplement démontré.

Mais il y a plus grave : le service public tient, sur cette question, un terrible double langage. Le cas des internats d’excellence est, de ce point de vue, caricatural. Il leur est reproché de coûter plus cher, de sélectionner les élèves et de déroger aux règles d’affectation des enseignants (ils sont volontaires et choisis par le chef d’établissement).
Les classes préparatoires aux grandes écoles ne fonctionnent pas autrement ; pour autant elles ne sont pas menacées de fermeture. De même, l’État consent pour ses classes préparatoires une dépense par étudiant nettement supérieure à celle qu’il réserve aux étudiants des premiers cycles universitaires.
Excellence et fonctionnement d’exception sont donc jugés acceptables pour les élites mais nuisibles pour le vulgum pecus : notre système continue à régler son fonctionnement sur des représentations et méthodes qui ne profitent à plein rendement qu’à 10% des bacheliers.

Excellence et fonctionnement d’exception sont jugés acceptables pour les élites mais nuisibles pour le vulgum pecus

Cette vision extrêmement conservatrice en termes de structure contraste en outre avec les priorités des académies, toutes mobilisées sur les questions de la lutte contre le décrochage et de promotion des bacheliers technologiques et professionnels dans l’enseignement supérieur. Comme si l’écrasement symbolique que l’élitisme méritocratique fait peser sur l’ensemble du système n’avait pas quelque rapport avec le découragement qui frappe certains élèves et l’insuffisante valorisation des filières technologiques et professionnelles. Raison pour laquelle la chasse à l’excellence ouverte par le gouvernement laisse un goût d’inachevé, voire d’amertume.

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