La philosophie a-t-elle sa place en école de commerce et dans l’entreprise ?

Fabienne Guimont Publié le
Face à la crise économique, au taux de chômage galopant, à l’absence de projets de société et au mauvais classement de la France au bonheur mondial, notre monde économique a besoin d’une aide d’urgence. La philosophie vole légitimement au secours de l’entreprise. Certaines écoles n’hésitent pas à introduire des cours de philo, d’éthique des affaires et de développement durable à leur programme, et plus seulement en option. Le but est de former des managers responsables. Nous parlons ici de la véritable responsabilité, de la fierté de l’homme libre, et non pas du titre galvaudé de « responsable » imprimé sur trop de cartes de visite...

Certaines écoles organisent des Semaines de la philosophie, montent des Chaires du mieux-vivre, font intervenir des représentants religieux sur des thèmes tels que l’argent ou le travail.


Les qualités exigées dorénavant pour anticiper et construire le monde de demain ont changé. Les compétences techniques et les « basiques » commerciaux (Comptabilité, gestion, finance) sont incontournables pour un manager, mais plus suffisantes. Un bon manager doit développer un sens aigu de la responsabilité, à la fois vis-à-vis de ses clients, de ses fournisseurs et de ses collaborateurs. Le manager du XXIe siècle sera philosophe ou ne sera pas !


Le cadre accompli sera capable de s’adapter à toutes les circonstances, tout en gardant à l’esprit l’essentiel, c’est à dire l’Homme. Ici la culture générale ne suffit pas. Au-delà d’une bonne érudition, nous aiguisons le bon sens durable de nos étudiants. Beaucoup d’hommes sont doués de raison, trop peu de bon sens.


Cela se traduit par une volonté de prendre sa vie et celle de l’entreprise en main. D’où la parution d’ouvrages tels que Manager avec la philo d’Eugénie Vegleris, ou encore Socrate, un philosophe au secours de l’entreprise, de Damien Goy.


Les managers manifestent un besoin de plus en plus pressant de « donner du sens » à leur action et à leur travail. Gagner de l’argent n’est plus une motivation en soi, car trop de richesse tue la richesse. L’argent pour l’argent conduit à la destruction de l’homme et de l’environnement et ne fait qu’accentuer les déséquilibres nationaux et internationaux entre riches et pauvres. De même trop de progrès tue le progrès. L’expérimentation biologique, mécanique et informatique sans garde-fous éthiques conduit au non-respect du corps humain et des lois de la nature.


C’est justement la segmentation des savoirs qui conduit à séparer les champs et les hommes. Il faut savoir créer ou recréer des ponts entre des domaines a priori étrangers. Y réfléchir est vital, l’ignorer fatal : « science sans conscience n’est que ruine de l’homme ». Il est indispensable d’éveiller chez nos étudiants une conscience et une autonomie de pensée. Pour cela, le recours à la philosophie s’impose, faisant le lien entre les sciences « dures », les sciences économiques, les sciences juridiques et les sciences humaines. C’est cet esprit pluridisciplinaire et surtout polymathique que nous nous efforçons d’initier à nos futurs managers.


Les secteurs du marketing-produit et de la publicité, par exemple, ont bien compris l’intérêt des philosophes pour mieux comprendre le comportement des clients. Il faut savoir analyser les motivations et les actions des consommateurs en termes d’individus moraux face à l’influence du groupe. Un nouveau défi.


Il est naïf d’imaginer que les questions de rentabilité et de productivité sont ici exclues. L’objectif premier est certes de redonner du sens, des valeurs et de la responsabilité aux salariés de l’entreprise. Mais un comportement éthique est extrêmement rentable, selon le fameux adage « Ethic pays ». C’est un pari gagnant-gagnant. Une entreprise plus éthique obtiendra une confiance accrue de ses clients, fournisseurs et salariés, condition de relations stables et pérennes et donc de prospérité. A l’inverse, afin de donner le meilleur d’eux-mêmes, les salariés d’une entreprise exigent de leurs dirigeants un comportement exemplaire. Sartre disait que la confiance se gagne en goutes et se perd en litres. Accorder de la confiance, c’est aussi savoir gérer les risques. Cela favorise la créativité et l’initiative, nécessaires pour une sortie de crise.


A travers nos enseignements philosophiques, nous cherchons à enseigner l’idéal du management, c'est-à-dire le leadership vertueux. Il faut s’imaginer un dirigeant sachant anticiper et baser son action sur les vertus philosophiques antiques. Ces vertus cardinales sont la magnanimité (générosité et visions), l’humilité (garder le sens de la mesure), la prudence (qui n’est pas de la méfiance), la justice (pour assurer l’équité au sein d’une équipe), le courage (qui ne signifie pas être kamikaze) et la tempérance (ou self-control). Ce « capitaine d’entreprise » saura motiver ses troupes en délégant travail et responsabilités. Le véritable leader est ainsi à la fois entrepreneur et entreprenant, passionné et passionnant. Ce sont de telles hommes et femmes que nous nous efforçons de préparer à l’ICD.

Stéphane Gillet, enseignant en philosophie à l’ICD

Fabienne Guimont | Publié le