Le bac, quelle histoire... La chronique de Benoît Falaize

Sylvie Lecherbonnier Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission de Louise Tourret Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université de Cergy-Pontoise) s'intéresse à l'histoire du baccalauréat.

"Vous avez remarqué, et nous avons tous remarqué si nous avons des adolescents dans notre entourage, que c’est la semaine du baccalauréat. Et vous avez également noté, Louise, la semaine dernière en le recevant, que Michel Fize venait d’écrire un nouveau livre intitulé sobrement Le bac inutile (1). Régulièrement, tel un marronnier, la question de l’opportunité du baccalauréat est posée. Faut-il le supprimer, le réformer ? Faut-il plus de contrôle continu ? Faut-il continuer à le considérer comme un rite de passage ?

Il faut dire qu’il n’est sans doute pas inutile de réfléchir à une institution dans l’institution scolaire, une institution dans la société toute entière, qui date de Napoléon, c’est-à-dire de deux siècles. Ce qu’on a sans doute oublié, ce qu’on a davantage à l’esprit quand on est parent, c’est que le baccalauréat a été institué en tant que grade universitaire. Il s’agissait d’un examen qui permettait l’ouverture aux études universitaires.  

Est-ce qu’il s’agissait du même bac ?

Bien entendu, non. Non seulement dans sa forme, mais aussi dans sa fonction sociale. À lire l’historien Bruno Belhoste (2), on pourrait grossièrement distinguer trois grandes périodes qui se succèdent. D’abord celle de l’inscription universitaire du baccalauréat jusqu’aux années 1850, où seule une toute petite minorité d’étudiants l’obtient : c’est l’époque du développement de l’administration d’État, dont la clé d’entrée est le baccalauréat.

Deuxième période, l’âge d’or, celle des deux baccalauréats, ès lettres et ès sciences – celui-ci est obligatoire dès 1852 pour être admis en médecine ou à Polytechnique –, même si une chronologie plus fine mériterait d’être précisée. Disons que, durant cette phase, le baccalauréat est, de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle, le titre de la bourgeoisie par excellence, comme il existait dans l’Ancien Régime des titres de noblesse. Il est le diplôme qui dit la fin du lycée, l’entrée à l’université, alors réservée à l’élite sociale, mais aussi la consécration dans la bourgeoisie de l’époque. Très peu de lycéens le passent et l’obtiennent.

Enfin troisième temps, qui nous concerne, c’est le bac des années 1960, le moment d’une large modification des épreuves comme de sa popularité : la massification intervient, l’épreuve de français est placée en fin de première, et les différents bacs sont organisés : A, B, C, D et E, remplacés depuis par d’autres lettres, et surtout en 1985 la création du bac professionnel. Mais attention, si une classe d’âge – entre 75 et 80% des élèves – passe le bac – environ 65% d’entre eux l’obtiennent –, il est resté longtemps déterminé et discriminant socialement : au début des années 1980, seuls moins de 20% obtenaient le bac général, contre 50% environ aujourd’hui.

Bruno Belhoste nous explique donc que si le bac s’est largement démocratisé – nous dirons plutôt massifié, car les instances de consécrations universitaires et sociales se sont elles-mêmes déplacées en cinquante ans –, l’épreuve est restée une véritable institution nationale.

Et c’est en partie ce que dénonce Michel Fize, non ?

En fait, Michel Fize rassemble avec intérêt les différentes critiques émises depuis plusieurs décennies déjà : bachotage à outrance, esprit de compétition – «Oublions ces examens qui agissent comme des aimants pernicieux en orientant les efforts vers la réussite», nous dit Albert Jacquart (3) –, atteinte à la santé des enfants, absence de prise en compte du travail de l’année avec un contrôle continu digne de ce nom… Autant de critiques qui sont autant de pistes de réflexion chez tous ceux soucieux de réfléchir à la fin de scolarité des élèves de lycée. Ce que reconnaissent du reste les historiens de l’école, qui ajoutent cette autre critique selon laquele cet examen est devenu une voie d’accès massive à un enseignement universitaire de premier cycle, sans sélection, sans orientation et sans formation pour une institution universitaire très XIXe dans ses traditions, qui se montre souvent incapable d’accueillir tous ces entrants.

Michel Fize utilise un dernier argument, le fait que l’État n’a pas à instituer des rites de passage. Car, finalement, le bac n’est sans doute plus que cela. Après la disparition du service national pour les garçons, le passage du bac est ce qui fédère symboliquement l’ensemble d’une génération, l’ensemble d’une classe d’âge, malgré les différences entre les filières. Faut-il le regretter et appeler du coup à sa suppression pure et simple ? À l’ère du numérique, peut-on espérer de ne pas voir jouer une opposition radicale contre une autre, les antibac contre les tenants de la tradition à outrance ? Envisageons une position d’intelligence, dans un monde complexe, aux nouvelles exigences et loin, très loin du XIXe siècle…"

Benoît Falaize
Université de Cergy-Pontoise
Coauteur avec Elsa Bouteville de L’Essentiel du prof d’école, Didier/l’Etudiant, 2011.

(1) Michel Fize, Le bac inutile, L’œuvre éditions, 2012.

(2) B. Belhoste, «Les examens», in F. Jacquet-Francillon, R. d’Enfert et L. Loeffel, Une histoire de l’école. Anthologie de l’éducation et de l’enseignement en France, XVIIIe-XXe siècle, Retz, 2010 ; B. Belhoste (dir.), «L’examen, évaluer, sélectionner, certifier, XVIe-XVIIIe siècle», Histoire de l’éducation, numéro spécial, n° 94, INRP, 2002.

(3) A. Jacquart, Petite Philosophie à l’usage des non-philosophes, entretiens avec Huguette Planès, Livre de poche, 1999.

Sylvie Lecherbonnier | Publié le