«Rendons à Lakanal... Réflexion sur la formation des maîtres», la chronique de Benoît Falaize

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l'émission de Louise Tourret, Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université de Cergy-Pontoise) s'intéresse à la figure de Joseph Lakanal, l'un des premiers artisans de la formation des maîtres.

"Dans ces temps où le ministre évoque la refondation de l'école, notamment encore hier dans son courrier paru au BO, à destination de l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale (1), on cherche sans cesse les piliers, les fondations de notre maison commune. On tente toujours, par sens commun, d'en inscrire l'origine au temps de la IIIe République naissante, au temps des combats où la démocratie s'installait en même temps que les grands principes d'éducation de Jules Ferry, de Ferdinand Buisson et d'autres encore, inscrits dans le XIXe finissant. Au temps aussi du combat contre l'Église.

On oublie parfois que l'histoire de l'école ne débute pas à Ferry, mais est le fruit d'une longue histoire, au Second Empire bien sûr, mais aussi depuis le ministre Guizot, après les Trois Glorieuses. Surtout, on n'a pas toujours nécessairement en tête que beaucoup de principes, de discours sur l'école de la nation se sont écrits en pleine période révolutionnaire.

Prenons la question de la formation des enseignants, thème éducatif et politique crucial pour les deux années à venir. On évoque sans cesse les écoles normales de la IIIe République en en faisant le lieu de naissance de l'école dont beaucoup gardent une nostalgie parfois authentique et sincère, parfois suspecte. C'est à leur sujet qu'il convient, du même coup, d'évoquer la figure de Joseph Lakanal, l'un des premiers artisans de la formation des maîtres, né en 1762 et décédé à 83 ans juste avant les révolutions de 1848, précisément afin de rappeler les origines de l'idée de la formation des maîtres.

Louise Tourret : Lakanal, le scientifique philosophe ? Celui qui a laissé son nom à un lycée parisien ?

Celui-là même. Un député de l'Ariège également, membre du comité sur l'instruction publique sous la Convention (1792-1795). Lakanal, comme Condorcet, furent des penseurs de l'éducation nationale et citoyenne. C'est Lakanal qui demanda, entre autres choses, la création d'écoles normales pour former les maîtres. Il développa, lors d'un rapport célèbre (2) présenté l'an III de la République, les fondements de cette formation essentielle à ses yeux.

Il énumère tout d'abord les conditions nécessaires à un plan d'éducation : un gouvernement qui croit en la raison et au progrès ; que ce gouvernement, expérimenté, soit bon par nature ; que ce gouvernement sache faire face aux orages politiques et assume donc une part de courage ; «que la liberté n'ait plus aucune conquête à faire» et «que le peuple tout entier ait senti [...] qu'il faut soumettre la démocratie à la raison». Il précise aussi qu'après le changement (Lakanal évoque la révolution), «l'espérance la plus brillante, l'attente la plus universelle étaient celle d'un nouveau plan d'éducation qui mettrait la nation toute entière en état d'exercer dignement cette souveraineté qui lui était rendue». Comme cette phrase sonne de manière contemporaine...

Louise Tourret : Quels sont les objectifs qu'il assigne à la formation des enseignants ?

Lakanal souhaite que cela ne soit pas les contenus disciplinaires qui soient enseignés, mais bien «l'art de les enseigner» «Les disciples ne devront pas être seulement des hommes instruits, mais des hommes capables d'instruire», préconise-t-il.

Ensuite, Lakanal propose d'appeler de toutes les parties de la République, autour de grands savants, des citoyens reconnus pour leur civisme et leurs talents afin d'«étudier tout le savoir humain disponible». «Aussitôt que seront terminés à Paris ces cours de l'art d'enseigner les connaissances humaines, poursuit Lakanal, la jeunesse savante et philosophique qui aura ses grandes leçons ira les répéter à son tour dans toutes les parties de la République d'où elle aura été appelée. Elle ouvrira des écoles normales. [...] Aux Pyrénées et aux Alpes, l'art d'enseigner sera le même qu'à Paris. [...] On ne verra plus, dans l'intelligence d'une grande nation, de très petits espaces cultivés avec un soin extrême, et de vastes déserts en friche.»

On ne verra plus, dans l'intelligence d'une grande nation, de très petits espaces cultivés avec un soin extrême, et de vastes déserts en friche... L'égalité des élèves et des futurs citoyens selon le territoire, n'est-ce pas aujourd'hui même une véritable idée révolutionnaire et nécessaire à l'école et à la nation toute entière ?"

Chronique de Benoît Falaize, université de Cergy-Pontoise, coauteur avec Elsa Bouteville de L'Essentiel du prof d'école (Didier/l'Etudiant, 2011).

(1) Bulletin officiel de l'Éducation nationale, n° 26, 26 juin 2012, ou : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=60701.

(2) Rapport de Lakanal sur l'organisation des écoles normales, présenté à la Convention le 2 Brumaire, an III de la République, in : L'instruction publique en France pendant la révolution ; textes publiés par C. Hippeau, éditions Klincksieck, 1990.

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