Portfolios et individualisation des parcours
Depuis une quinzaine d’années, les établissements d’enseignement supérieur testent des portfolios, un équipement précieux face à la flexibilité des parcours. Comme le montre la floraison d’apprentissages extracurriculaires (stages, workshops, activités, projets personnels), les trajectoires s’individualisent.
Les étudiant.e.s sont mobiles, entre cursus, disciplines, établissements, pays. Beaucoup visent, davantage qu’une insertion professionnelle, le 'design de leur existence' (life design), ambition qui suppose un certain outillage. Un changement culturel s’amorce : le rôle de l’établissement de formation ne se borne plus au diplôme. Il sera le garant des trajectoires des étudiants, pendant et après le cursus.
Le portfolio enracine un travail fondamental de conscientisation et de réflexivité. Il est le support de conservation et de publication. Il s’ouvre à la reconnaissance par les pairs (badges). Les transformations de l’orientation et le nouveau paysage de la formation expliquent que, de la licence au Compte Personnel de Formation (CPF), on parle désormais de compétence à s’orienter comme d’une compétence en soi.
Les mondes numériques sur la scène de l’orientation
Après deux années universitaires passées dans l’angoisse de la pandémie, la génération des étudiants actuels est consciente de la gravité des alarmes. Obligée de réviser ses projets, elle se découvre bien décidée à inventer ses propres chemins. Elle cherche à concilier un rapport au monde, une conscience écologique, des valeurs humaines, avec l’activité future.
L'établissement sera le garant des trajectoires des étudiants, pendant et après le cursus.
Si les mondes numériques ne fourmillaient pas de récits d’expériences et de parcours, il serait difficile aux étudiant.e.s et à leurs mentors de mener de tels cheminements. Les trajectoires des alumni sont souvent plus stimulantes que les références familiales. Elles suscitent le désir de buts élevés, et mobilisent sur l’expérience propre. Mais comment digérer ces innombrables histoires de vie ? Comment repérer les jalons qui les scandent ? Comment identifier les compétences qui les permettent ?
Cela peut sembler paradoxal mais ce sont les data sciences qui vont donner une prise pour circuler dans ces sources d’inspiration, et guider chaque étudiant vers les voix de ceux qu’il veut entendre .Il est intéressant de voir où en sont les data sciences de l’orientation en tant qu’elles explorent les profils de carrière comme un énorme skill hub.
Le portfolio intelligent
Les data des compétences et de l’insertion professionnelle émergent depuis les dix dernières années sur les plateformes et dans les bases de données institutionnelles. Ce matériau recèle un discours de preuve précieux pour à la fois rationaliser les envies des individus et explorer des possibles toujours renouvelés (nouveaux métiers et compétences).
Il devient possible de se situer sur un champ de compétences sans avoir à partir d’une feuille blanche. "De nouvelles réponses se trouvent dans les parcours de ceux qui m’ont précédé. Je ne suis pas seul dans un désert."
La rencontre entre le life design et les data invite à concevoir un nouveau portfolio intelligent, ancré dans le quotidien des apprenants, et participant à la transformation de l’enseignement et des rapports au monde. Précisons qu’ il ne s’agit évidemment pas de prétendre confier à l’IA une optimisation des trajectoires professionnelles.
Quand la pédagogie du life design donne vie à des outils puissants
L’intérêt pour le portfolio ne se dément pas. La volonté de découpage des formations en bloc de compétences reste un objectif prioritaire et le Portfolio est bien présent dans la loi ORE, sous la forme certes allusive du "parcours motivé de formation".
Mais la mise en œuvre des portfolios se heurte, tentative après tentative, à l’incompréhension des étudiants. Ceux-ci ne s’adaptent pas au contraste entre un enseignement descendant et, tout à coup, une demande d’implication ascendante qui se concrétise dans une écriture de soi et de la compétence.
La rencontre entre le life design et les data invite à concevoir un nouveau portfolio intelligent, ancré dans le quotidien des apprenants.
Or cette narration doit permettre aux étudiants d’avoir une maîtrise sur leur parcours et potentialités (capabilités), dans le respect de leurs aspirations morales - et d’être utiles au monde -, sans quoi ils ne peuvent que se sentir désorientés face à ce qui leur apparaît comme une injonction. Le portfolio intelligent se positionne comme un traducteur, rendant l’étudiant.e plus autonome dans ses rêves et ses apprentissages, et mieux capable de les faire valoir.
Pour les établissements, la promesse est d’être au rendez-vous d’un portfolio démocratisé, ce qui suppose une pédagogie de la compétence et de la capabilité. On voit donc apparaître de nouveaux acteurs sur la scène de l’orientation professionnelle. Les data analystes sont capables d’extraire des profils représentatifs du potentiel qui s’offre à un.e étudiant.e. Ils sont rejoints par des médiateurs, mentors, coachs et designers. Ces derniers s’emploient à faciliter le life design évoqué plus haut. L’enjeu est de tenter de réduire le gouffre actuel qu’il y a entre des outils puissants mais inertes, faute d’intentions, et une énergie, des envies d’étudiants qui souvent laissent de côté leur rêve faute de confiance en eux.
Les étudiants fabriquent ainsi des portfolios qui reflètent leur projet unique et s’enrichissent d’explorations massives de parcours. Les entrepôts de données de carrières, d’une part, l’invention d’une pédagogie de la compétence ancrée dans l’activité d'autre part, sont deux avancées permettant d'envisager un usage massif du portfolio intelligent.
My Road, lancée en début d'année, est une application qui articule une démarche pédagogique dans un temps long à la simulation de trajectoire fondée sur les données.