Jeunesse : entre Fête à la Sorbonne et Indignés à Bastille

Emmanuel Vaillant (à la Sorbonne) et Sylvie Lecherbonnier (à la Bastille) Publié le
Jeunesse : entre Fête à la Sorbonne et Indignés à Bastille
Bd Richard Lenoir - crédit : S. Lecherbonnier // © 
La première « Fête de la jeunesse » organisée à l’initiative de Jeannette Bougrab, secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et de la Vie associative, mardi 30 mai 2011, s'ouvrait par un colloque à la Sorbonne suivi d’un concert au Zénith à Paris. Un évènement qui fait l'actualité avec les Indignés de la "french revolution". Reportages à la Sorbonne et à la Bastille.

Sous les ors du grand salon de la Sorbonne, ils sont quelque 300 personnes venus assister au colloque « Engagement 2.0 », en ouverture de la première « Fête de la Jeunesse » qui se prolongera par un concert gratuit au Zénith de Paris avec, à l'affiche, Colonel Reyel, James Blunt, Aaron et Jenifer. A la tribune, la secrétaire d’Etat rappelle l’objectif de ce rendez-vous (« Célébrer et mettre en avant l’engagement de la jeunesse, loin des clichés ») avec quelques références historiques à l’appui : « C’est une fête révolutionnaire qui était prévue au même titre que le 14 Juillet par la Convention mais abolie sous Napoléon », souligne Mme Bougrab avant de citer Saint Just, puis Einstein « qui n’avait que 25 ans quand il a découvert la physique quantique, les résistants étaient des étudiants… »

Les cyber-activistes tunisiens en vedette

« Aujourd’hui aussi, c’est la jeunesse qui change le monde », lance la secrétaire d’Etat en présentant la guest star de cette première partie : Slim Amamou, symbole 2.0 de la révolution du Jasmin et lui aussi secrétaire d’Etat à la jeunesse, récemment démissionnaire du gouvernement provisoire tunisien.

Applaudissements nourris de l’auditoire dont la moitié est composé de représentants de différentes associations de jeunesse (Animafac, Radio Campus, Parlement européen, des jeunes, Unis cités, JOC…) et de jeunes engagés dans un service civique. Tous invités par « leur » secrétaire d’Etat. « On est venus pour voir, sans rien attendre de particulier. Juste pour le plaisir d’entendre les jeunes leaders de la révolution tunisienne », glisse l’un d’entre eux. « Je ne suis pas dupe, je sais que c’est une opération de communication et qu’on fait de la figuration », lance un autre qui restera tout de même toute la matinée « pour écouter Slim Amamou ».

Des conseils pour la "french revolution"

Accompagnés de plusieurs cyber-activistes tunisiens, Slim Amamou intervient lors d’une première table ronde sur « la génération 2.0, une génération engagée ». Le débat sur l’influence des réseaux sociaux est lancé. « Ce sont vos médias qui ont dit que Facebook avait fait la révolution, note Lamia Slim, une cyber-dissidente tunisienne. Il ne faut pas croire que Facebook sont les sauveurs du monde : ils ont aussi fermés certains de nos comptes. »

Dans la salle, un jeune demande : « Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui mènent la french révolution à la Bastille ? ». Les recommandations fusent. Slim Amamou : « Rester sur place, crier joyeusement la révolution et passer du bon temps »… Aziz Amami, plus connu sous son compte twitter slim404 : « Ne jamais s’épuiser. Tenir et… pensez à la logistique pour vous nourrir »… Lamia Slim : « Amener des filles. La révolution ne se fait pas sans elles »… Rires dans la salle et commentaire de Jeannette Bougrab qui semble assumer cette liberté de ton : « Etant mes invités vous pouvez dire tout ce que vous voulez même au risque de choquer. » Puis, questionnée sur la « french revolution », la secrétaire d’Etat dit « comprendre le mouvement » tout en notant que sur la place de la Bastille, "ce n'est qu'une partie des jeunes. »


Changement d’ambiance pour la seconde table ronde. Louis-Christophe Laurent, fondateur de GL Trade et Marc Simoncini, fondateur de Meetic sont à la tribune, parce que « l’économie du net est importante pour les jeunes », précise Mme Bougrab. Chacun y va de ses commentaires : « Les jeunes sont des créateurs. Ils n’ont pas le choix… » « Créer une entreprise n’a jamais été aussi facile… ». « Il suffit d’un ordinateur et d’une idée… », « Vous avez tellement de problèmes qu’autant les transformer en opportunités »…

Fin des débats. Côté salle, plusieurs jeunes en service civique râlent : "Ce n'était pas concret. On n'a pas pu parler de nos expériences. Heureusement qu'il y avait les Tunisiens. " Puis autour du buffet, la fête semble lancée. Avec une question en suspens : reste t-il des places pour le concert de ce soir. Réponse d'une jeune fille à son copain : "Va à la Fnac, ils ont des places. Gratuites pour une fois."

Et pendant ce temps là (ou presque), à Bastille... avec les Indignés


Mais pourquoi êtes-vous-là ? « Pour changer le monde ». Cécile, pédopsychiatre de 30 ans, vient depuis une semaine tous les soirs à la Bastille à Paris défendre ses idéaux. Comme elle, ils étaient entre 300 et 400 en cette soirée estivale du 30 mai à s’être réunis pour discuter de l’avenir de la société. Avec pour référence le mouvement des « Indignidos » espagnols de la Puerta del Sol à Madrid. Ce soir-là, l’évacuation policière de la place de la Bastille dimanche 29 mai 2011 est dans toutes les discussions. Un cordon de CRS interdit d’ailleurs les marches de l’Opéra où les Indignés français se réunissent depuis une semaine. Qu’à cela ne tienne, ce mouvement pacifiste prend possession du terre-plein du boulevard Richard Lenoir.

Ces rassemblements ont débuté à l’initiative d’étudiants espagnols en échange Erasmus pour soutenir leurs camarades espagnols. Les collectifs comme Génération précaire ou Jeudi noir, ont relayé cet appel dans le but de transposer la « spanish revolution » en « french revolution ».

Un rassemblement hétéroclite

Difficile de faire le portrait des Indignés français, rassemblement hétéroclite d’étudiants, de jeunes actifs, de chômeurs et aussi de moins jeunes. De sensibilité de gauche évidemment. Peu sont encartés ou militants. Beaucoup se rappellent du mouvement contre le CPE (Contrat premier embauche) comme de leur premier engagement.  A côté de Cécile la pédopsychiatre, l’artiste Cyril, 33 ans, est venu exprimer ses « exigences démocratiques » : « Les élus ne nous représentent plus », s’alarme-t-il.

Non loin, Rémi, 23 ans, jeune chômeur, vient retrouver ses potes et s’indigner contre la précarité grandissante des jeunes. Après un BTS électrotechnique qui ne lui a pas plu, il a obtenu un CDD à la Poste… qui n’a pas été renouvelé. Augustin, étudiant en BS hôtellerie, vient, lui des beaux quartiers et est venu voir par lui-même ce qui se passait place de la Bastille. « Personnellement, je n’ai pas de souci. Mais je m’inquiète, un jeune aujourd’hui aura plus de mal que ses parents pour réussir. Et pour peu qu’il n’ait pas de famille derrière lui pour le soutenir, la moindre tuile peut lui être catastrophique ».

Des revendications en construction

A l’image du mouvement espagnol, ces Indignés travaillent par commissions. Assis en rond par-terre, les uns discutent des relations avec les médias, les autres de démocratie interne, les troisièmes des propositions à faire pour faire évoluer la société française... Après l’évacuation policière de dimanche, la commission « action » regroupe, et de loin, le plus de monde. Doivent-ils changer le lieu de rendez-vous ? Aller à la confrontation avec les CRS ou au contraire rester pacifiste ? Les discussions sont vives.

Mais les revendications précises peinent pour le moment à émerger. « Nous sommes dans une phase de structuration, prévient Julien des collectifs « 21 avril » et « Les pas de noms ». Les gens ont envie de s’exprimer, de prendre la parole, de rêver. Nous ne sommes pas dans un mouvement d’opposition mais de construction porté par un immense espoir. La démocratie prend du temps… » En attendant le rendez-vous est pris pour un nouveau rassemblement à côté de Bastille mardi 31 mai à 19 heures. Pour être de plus en plus nombreux, ces Indignés diffuseront leur message via les réseaux sociaux, internet et des tracts dans les universités. Avec l’espoir un peu fou que cette « french revolution » encore embryonnaire éclose.



Emmanuel Vaillant (à la Sorbonne) et Sylvie Lecherbonnier (à la Bastille) | Publié le