José Milano : "Une entreprise, comme Kedge, ne peut pas se permettre de s'éparpiller"

Cécile Peltier Publié le
José Milano : "Une entreprise, comme Kedge, ne peut pas se permettre de s'éparpiller"
Kedge veut "se doter d'infrastructures de haut niveau". // ©  Kedge BS
José Milano, patron de Kedge BS depuis 2017, est l'un des rares directeurs d'école de commerce à avoir passé l'essentiel de sa carrière dans le privé. Une expérience dont il se nourrit pour piloter son "entreprise académique". Il dévoile son modèle économique, en amont de la conférence EducPros du 22 mars sur le marché de l'éducation.

Vous êtes l’un des rares directeurs d'école de commerce à avoir réalisé l'essentiel de votre carrière au sein d'une entreprise privée. Est-ce pour cela que vous avez été recruté par Kedge, en 2016 ?

Je pense, en effet, que mon expérience au sein d'Axa a pesé dans mon recrutement, en 2016, au poste de directeur général adjoint en charge du développement corporate de Kedge. Puis à mon accession à celui de directeur général en 2017.

José Milano, directeur général de Kedge BS, est l'un des rares patrons d'école de commerce à avoir réalisé l'essentiel de sa carrière dans le privé.
José Milano, directeur général de Kedge BS, est l'un des rares patrons d'école de commerce à avoir réalisé l'essentiel de sa carrière dans le privé. © Kedge BS

C'est le souhait de Thomas Froehlicher de quitter l'école en juillet 2017, qui a conduit ensuite à ma nomination à la direction générale, en septembre.

Avez-vous ressenti un choc culturel en arrivant à Kedge ?

"Choc culturel", c'est un peu fort, mais c'est vrai que le fonctionnement d'une école consulaire est très différent de celui d’une entreprise. La fonction de directeur général concentrait l’essentiel des décisions. Au début, j'étais consulté sur tout et tout le temps, y compris sur des détails matériels. C’est très chronophage et peu agile. Tout l'enjeu a consisté à responsabiliser les équipes et les rendre plus autonomes.

Nos écoles sont devenues des organisations trop complexes pour être gérées par une seule personne. Le directeur d'une grande école de commerce, quel que soit son profil, ne peut pas être spécialiste de tous les dossiers. Il doit pouvoir s’appuyer sur une gouvernance plus collégiale. C’est le sens de la réorganisation opérée ces derniers mois. Nous avons scindé certains postes : nous avons embauché un directeur des programmes et sommes en train de recruter un doyen ; fonction occupée jusqu’ici par le directeur général !

En parallèle, nous avons recomposé un comité de direction. Constitué d’une dizaine de directeurs et de directrices, il est chargé de piloter et de déployer le plan stratégique de l'école. Je voulais une direction plus collective. C’est bien plus riche et très formateur pour les collaborateurs qui ont là l’occasion d'aborder des problématiques de gestion d’entreprise.

Nos écoles sont devenues des organisations trop complexes pour être gérées par une seule personne.

Mais Kedge reste une école. Pourquoi vouloir la piloter comme une entreprise ?

Oui, c'est une école, mais quand on fonctionne sans subventions sur un marché concurrentiel et dans un environnement complexe comme c’est désormais notre cas, on se doit d’avoir une approche managériale. Ainsi, j’ai l’habitude de dire que Kedge est une entreprise académique.

Quelles ont été vos premières initiatives en tant que directeur général ?

Nous avons d'abord concentré nos efforts sur la bonne gestion financière de nos activités et finalisé la fusion dans le cadre du plan stratégique 2016-2020, que j'ai élaboré en tant que directeur général adjoint à compter de janvier 2016.

Pour le concevoir, j'ai appliqué à ce plan ce que j’avais appris dans le privé. Pour coller au maximum à la réalité, j’ai choisi de le faire démarrer sur la base du budget en cours. Il est ensuite actualisé chaque année entre mars et mai, en fonction de sa mise en œuvre. Les résultats, formalisés au sein d’un tableau de bord, sont validés une fois par an par la direction et diffusés aux collaborateurs. Cela permet aux équipes de savoir où elles en sont et d’aligner leur vision sur les réalisations.

Sur le fond, le plan s’appuie sur cinq axes essentiels : l’impact, qui permet de valoriser nos expertises sur une gamme de programmes modulaires ; l’expérience étudiante ; la durabilité, qui doit assurer notre capacité d’autofinancement, ainsi que les réseaux et l’international sur lequel j’ai voulu insister. L’objectif, demain, est de devenir une entreprise internationale, capable de penser et de parler la globalisation. Dans notre monde hyperconcurrentiel, si une ETI (entreprise de taille intermédiaire) comme la nôtre veut survivre, elle ne peut pas se permettre de s’éparpiller et doit se concentrer sur la réalisation de ses axes stratégiques.

Quelles sont les prochaines étapes pour Kedge ?

En l’absence de subventions, il nous faut dégager une capacité d'autofinancement suffisante afin de réaliser les investissements nécessaires à notre développement. Nous devons réinvestir chaque année entre 12 et 15 % de notre chiffre d’affaires. Pour cela, il ne suffit plus que la maison soit bien gérée, il faut réussir à faire croître notre budget – de 110 millions d’euros en 2017-2018, soit le quatrième des écoles de commerce en France, il devrait atteindre 130 millions d'euros en 2020.

Ces dernières années, nous avons beaucoup investi dans le recrutement d'enseignants-chercheurs qui publiaient beaucoup. Nous devons continuer à attirer toujours plus de pédagogues stars, tout en poursuivant la digitalisation de notre business model et nous dotant d’infrastructures de haut niveau. C'est déjà le cas avec les travaux récents réalisés sur le campus de Bordeaux, le projet d'extension et de modernisation de celui de Marseille et notre déménagement à Paris dans un espace de près de 3.000 m2.

De quelle manière comptez-vous augmenter vos ressources ?

Kedge n’a pas encore une marque suffisamment puissante à l’international pour miser sur ce créneau à très court terme, et ne dispose pas du réseau d’anciens d’HEC pour lever 100 millions d'euros. Nous misons donc aujourd'hui sur une diversification du portefeuille de programmes, à travers la création notamment de mastères spécialisés. Pour attirer ces nouveaux étudiants, notre expérience étudiante doit être différenciante et nous devons être en mesure de toucher en présentiel ou en digital un public international.

À long terme, nous espérons tirer profit de nos activités à l'international. Kedge connaît aujourd'hui un fort développement en Afrique, via sa filiale BEM Dakar, dont nous détenons 50 %. Nous continuons aussi de développer nos activités en Chine, avec l’université de Renmin, via l’Institut franco-chinois, et la Cafa (China Central Academy fine of Arts) à Shanghai, lancée en partenariat avec Sorbonne université, les Arts décoratifs et le musée d’Orsay. Globalement, s’implanter à l’étranger nécessite d’importants investissements à la base, mais assure des marges élevées, sachant qu’on vise une classe moyenne aisée.

Aujourd’hui, Kedge est une association. Le statut d'EESC (établissement d'enseignement supérieur consulaire) ne serait-il pas plus adapté ?

Nous surveillons de près l’évolution des structures juridiques de nos confrères mais, pour l’instant, il n’en est pas question. L’association présente un certain nombre d’inconvénients, comme la lourdeur liée aux marchés publics, et des avantages, comme l’exonération sur la TVA (taxe sur la valeur ajoutée).

Ce statut d'EESC permet à des entreprises extérieures de prendre des parts dans une école mais j’ai du mal à comprendre pourquoi elles le feraient. Elles resteront de toute manière minoritaires, ne percevront pas de dividendes et n'auront pas la possibilité de les revendre au prix qu'elles souhaitent.

Aujourd'hui, je vois mal comment des fonds pourraient s’intéresser aux écoles consulaires, dont le fonctionnement est assez antinomique du leur.

Et si demain, un fonds d’investissement vous proposait d’investir dans votre établissement ?

D’abord, un fonds irait trouver les chambres de commerce, majoritaires au sein du conseil d’administration de l'école, pas la direction. L’éducation est un marché porteur et l’enseignement supérieur privé, qui absorbe 80 % des nouveaux étudiants, est susceptible d’attirer des fonds. Mais, aujourd’hui, je vois mal comment ils pourraient s’intéresser aux écoles consulaires dont le fonctionnement est assez antinomique du leur. Leur vocation vise essentiellement la rentabilité et le profit, alors que les CCI agissent dans l'intérêt supérieur de leur territoire.

Pour cela, il faudrait que le statut d’EESC évolue ou que les chambres, acculées, n’aient plus d’autre choix que de valoriser un certain nombre de leurs actifs. Mais ce n’est pas le cas, loin de là ! Certaines chambres, à l’instar de nos tutelles, ont encore du patrimoine.

En revanche, le marché bouge beaucoup et nous devons être attentifs aux concurrents potentiels que représentent les acteurs 100 % digitaux, en plein essor. Aura-t-on besoin durablement d’un diplôme pour assurer l’employabilité d’un jeune ? Je n’en suis pas persuadé...


Conférence EducPros sur le marché de l'éducation

EducPros organise le 22 mars 2018 à Paris une conférence sur le marché de l'éducation. Dans un contexte économique contraint, l'enseignement supérieur français voit la part de financements privés croître, année après année. Rachat d'écoles par des fonds d'investissement, arrivée d'investisseurs étrangers et de sociétés de capital-risque sur le marché… Quels sont les objectifs de ces acteurs privés ? Quelles sont les conséquences de cette libéralisation sur la gestion des établissements, leur développement et leur offre pédagogique ? Telles sont les questions dont les intervenants débattront lors de cette journée.

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Cécile Peltier | Publié le