BTS et IUT : les recteurs imposent des quotas

Isabelle Dautresme Publié le
BTS et IUT : les recteurs imposent des quotas
À peine 29% des entrants en STS sont issus de la voie professionnelle et moins d’un étudiant en IUT sur trois est passé par un bac technologique. // ©  IUT de Belfort-Montbéliard
Manuel Valls a annoncé, le 11 avril, la création de 2.000 places par an sur cinq ans pour les bacheliers professionnels et l'accueil de plus de bacheliers technologiques en IUT. Avant ces annonces, le ministère avait déjà demandé aux recteurs de fixer des quotas par décret pour la rentrée 2016. Une décision pas toujours bien acceptée par les chefs d’établissement, qui s'inquiètent des conditions de réussite de ces étudiants.

Les élèves de la voie professionnelle doivent pouvoir poursuivre des études supérieures en STS et ceux de la voie technologique en IUT", a déclaré Manuel Valls, lundi 11 avril 2016, aux syndicats lycéens et étudiants mobilisés contre la loi Travail. 

Le Premier ministre a annoncé la création de 2.000 places par an sur cinq ans en STS, "pour permettre à davantage de bacheliers professionnels d’être accueillis en STS". Ces places devraient être créées "en particulier dans les spécialités en lien avec les métiers d’avenir". Le coût de cette mesure est estimé à 120 millions d’euros.

Concernant les bacheliers technologiques, le gouvernement entend "poursuivre et amplifier [leur accueil] en IUT, en prévoyant de fixer un nombre minimal de bacheliers technologiques par IUT". Une mesure qui figure déjà dans le cahier des charges des recteurs pour la rentrée 2016.

Des quotas par académie dès la rentrée 2016

Depuis la promulgation de la loi ESR, à peine 29% des entrants en STS sont issus de la voie professionnelle et moins d’un étudiant en IUT sur trois (30,3%) est passé par un bac technologique.

Pour redonner du souffle à un dispositif qui patine et harmoniser des pratiques très variables selon les académies, les filières et les établissements, Najat Vallaud-Belkacem demandait, déjà en janvier, aux recteurs de fixer des quotas par décret pour la rentrée 2016. 

Pas d'obstacle idéologique en BTS

Une méthode qui a du mal à passer du côté des chefs d'établissement. À commencer par ceux qui ont en charge des BTS. À les écouter, la question serait mal posée. "Il ne s'agit pas tant de s'interroger sur le nombre de bacheliers professionnels qu'il faut accueillir en STS – là-dessus tout le monde s'accorde à dire qu'il en faut davantage – mais sur les conditions de leur réussite, affirme Joël Lamoise, proviseur du lycée Mendès-France à Épinal et secrétaire national du SNPDEN (le syndicat majoritaire chez les chefs d'établissement). "Le ministère affiche des chiffres sans avoir réfléchi à l'accompagnement pédagogique des élèves", déplore le syndicaliste.

Or, d'après Emmanuel Percq, chef du service académique de l'information et de l'orientation (CSAIO) de Strasbourg, "le décalage entre les compétences acquises par les bacheliers pro et les référentiels de STS est très important". En atteste "le nombre non négligeable d'étudiants de la voie pro qui abandonnent en cours d'année de STS", pointe Joël Lamoise, ou encore leur taux de réussite à l'examen : il plafonne autour de 50% (51% en 2014), bien en deçà des 82,6% des autres bacs.

Pour réduire la marche entre lycée pro et STS, la plupart des académies ont mis en place des dispositifs visant à mieux préparer les élèves à la poursuite d'études supérieures. À Strasbourg par exemple, un accompagnement est prévu dès la classe de première dans le cadre de l'accompagnement personnalisé (AP) – dans la droite ligne de ce que préconise le rapport Lerminiaux – et se poursuit jusqu'à la fin du premier semestre de STS.

Quant aux enseignants de la voie professionnelle et du supérieur, ils sont vivement encouragés à se rapprocher. "Nous demandons aux PLP (professeurs de lycée professionnel) d'intervenir en BTS et inversement", détaille Emmanuel Percq.

Ce qu'il faut, c'est maintenir une certaine diversité des recrutements. Les enseignants ne sont pas prêts à aller au-delà de 40% de bacs pro.
(L. Hugot, CSAIO à Paris)

Même s'il existe encore des disparités entre académies et établissements, en deux ans, les lignes ont clairement bougé. "Il n'existe plus d'obstacles idéologiques de la part des équipes pédagogiques de BTS à l'accueil de bacs pro", souligne Laurent Hugot, CSAIO à Paris. Et Éric Blum, proviseur du lycée Marcel-Pagnol à Athis-Mons d'ajouter : "La plupart des équipes ont adapté leur pédagogie à ce nouveau public, qu'elles ont appris à connaître."

Dans certains BTS, qui peinent à faire le plein, l'arrivée de ces bacheliers pro est même perçue comme une réelle opportunité pour éviter la fermeture de classes. "Ceux-là n'hésitent pas à leur ouvrir grand les portes", précise Joël Lamoise.

De là à accepter en priorité des bacs pro en STS, quitte à ne pas accueillir d'autres bacheliers ? Il n'en est pas question. "Ce qu'il faut, c'est maintenir une certaine diversité des recrutements. Les enseignants ne sont pas prêts à aller au-delà de 40% de bacs pro", souligne Laurent Hugot. Et Patrice Herzecke, CSAIO de Nantes, de mettre en garde : "Il ne faudrait surtout pas filialiser la STS."

Des IUT à la peine

Si la diversification des recrutements s'essouffle en STS, du côté des IUT, elle est quasiment à l'arrêt. À la rentrée 2014, plus de 6 étudiants d'IUT sur 10 étaient issus de la voie générale. Quant à la proportion de bacheliers technologiques, elle n'augmente plus, voire régresse à certains endroits. Malgré ces chiffres, pour le moins "décevants", les IUT ne veulent pas entendre parler de quotas, les jugeant trop contraignants.

Parmi les arguments avancés pour justifier la faible présence des bacheliers technologiques dans certaines filières d'IUT, le manque de vivier arrive en tête. "À Nantes, en sciences et génie des matériaux, nous retenons 90% des bacheliers technologiques candidats, mais ils ne représentent que 15% de nos effectifs", pointe ainsi Rodolphe Dalle, directeur de l'institut nantais et vice-président de l'Adiut (Association des directeurs d'IUT).

En cause : le manque d'attractivité de la filière technologique au lycée."À Strasbourg, les bacs STI2D ne représentent que 6,5% des poursuites d'études après la troisième, contre 38% pour les bacs S", souligne Emmanuel Percq.

Les directeurs d'IUT pointent la qualité insuffisante des dossiers qu'ils reçoivent. (M. Cherfi)

À la baisse du nombre de bacheliers technologiques (- 26% entre 2004 et 2015) s'ajoute le fait que ces derniers ont tendance à préférer s'orienter en STS plutôt qu'en IUT (plus de 40% demandent à rejoindre prioritairement un STS) par crainte de ne pas y réussir. Une attitude qui ne surprend pas Patrice Herzecke : "On entend partout que le DUT est très difficile pour les bacheliers techno. Les IUT eux-même tiennent un discours guère rassurant", regrette le CSAIO.

Et Medhi Cherfi, chef du SAIO de Créteil, d'ajouter : "Les directeurs d'IUT pointent la qualité insuffisante des dossiers qu'ils reçoivent. Plutôt que de le déplorer, il faut agir en préparant mieux les bacheliers technologiques qui souhaitent poursuivre des études en IUT et en les accompagnant davantage."

Des initiatives allant dans ce sens ont d'ores et déjà été prises dans le cadre de signatures de conventions entre IUT et rectorats. Le principe : "Le rectorat s'engage à faire connaître les IUT auprès des lycées, et les IUT à s'ouvrir davantage aux bacheliers technologiques", détaille Rodolphe Dalle. Ainsi, à Toulouse par exemple, il est prévu des journées d'immersion en institut pour des lycéens technologiques et des visites d'universitaires en classes de terminale technologique. "Histoire de sensibiliser les élèves aux attentes de l'IUT", détaille Nicolas Madiot, chef du SAIO.

Limiter l'échec en licence
Si le ministère met la pression sur les STS et les IUT pour qu'ils accueillent respectivement plus de bacheliers pro et plus de bacheliers techno, c'est que l'enjeu est de taille.

Les bacheliers professionnels sont en effet de plus en plus nombreux à souhaiter poursuivre des études supérieures et, à défaut de trouver suffisamment de places en STS, ils s'inscrivent à la fac où leurs chances de réussir sont minimes (moins de 5% décrochent leur licence en trois ou quatre ans). À Créteil, par exemple, 16% des bacs pro ont mis une licence en premier vœu sur APB, ils sont 10% à Toulouse.

Mais pour que les bacheliers pro puissent rejoindre les bancs de STS, il faut que ceux issus de la voie technologique, encore très nombreux dans ces filières (en 2014, 35,1% des nouveaux entrants en STS étaient issus de la voie technologique ), libèrent la place et rejoignent les IUT. En 2015, sur les 4.800 bacheliers sans propositions à l'issue d'APB, 64% étaient issus de la voie professionnelle.

Isabelle Dautresme | Publié le