Dévolution du patrimoine : des universités propriétaires enthousiastes

Morgane Taquet Publié le
Dévolution du patrimoine : des universités propriétaires enthousiastes
Toulouse 1 a expérimenté la mise en conformité de bâtiments datant des années 1970 et la recherche de surfaces supplémentaires. // ©  UT Capitole
Les universités propriétaires de leurs murs sont conquises. Un rapport consacré à la première vague de dévolution du patrimoine immobilier dresse un bilan globalement positif de l'opération. Retour sur l'expérimentation menée depuis 2011 à l'université d'Auvergne et à Toulouse 1, alors que les futures universités propriétaires seront connues le 15 décembre 2016.

Responsabilisation, rationalisation, valorisation. Ce sont les principes qui ont guidé la mesure de dévolution du patrimoine immobilier aux universités, voulue par la loi LRU en 2007. C'est ce que rappelle un rapport de l'IGF (Inspection générale des finances) et de l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche), rendu public début novembre 2016. Le document fait le bilan de la première vague d'universités désormais propriétaires de leur patrimoine. 

Après le transfert de la masse salariale, cette mesure a permis à quelques établissements d'accéder à la pleine propriété de leur immobilier, jusqu'ici détenu par l'État. En 2009, neuf universités s'étaient portées candidates à la dévolution (Avignon, Cergy-Pontoise, université d'Auvergne (Clermont-Ferrand 1), Corse, Paris 2, Paris 6, Paris-Est Marne la Vallée, Poitiers et Toulouse 1). Trois d'entre elles avaient été retenues en 2011 : l'université d'Auvergne, Toulouse 1 et Poitiers.

ACCÉLÉRATION DES PROJETS IMMOBILIERS

En analysant ces trois exemples, la mission conjointe IGF-IGAENR tire une première conclusion : l'impact de la démarche est jugé "positif sur l'élaboration et la conduite de la stratégie immobilière des établissements." À Clermont-Ferrand, où l'immobilier était en mauvais état, les travaux ont débuté fin 2012. La moitié du parc immobilier a pu être rénovée, année après année, grâce à la dotation annuelle de l'État de 6,1 millions d'euros, versée pendant 25 ans.

"Une somme à laquelle s'ajoutent 2 millions d'euros par an, pris sur le fonds de roulement de l'établissement", précise Olivier Guinaldo, vice-président du conseil d'administration de l'université d'Auvergne, en charge des finances, du patrimoine, du système d'informations et du pilotage.

Ingénieurs patrimoine, chargés d'opération dont un diplômé d'une école d'architecture, directeur immobilier, chargés de travaux... L'université disposera, après la fusion avec Clermont 2 prévue pour janvier 2017, d'une direction immobilier et logistique de 180 personnes, dont une douzaine de créations de postes. En 2010, le service central de l'établissement ne comptait que cinq personnes.

Même ambition à Toulouse 1, où l'enjeu résidait dans la mise en conformité de bâtiments datant des années 1970, mais surtout dans la recherche de surface pour cette université de centre-ville. L'établissement a ajouté 1 million d'euros annuels aux 5 millions abondés annuellement par l'État pendant 25 ans. "La construction d'un nouveau bâtiment de 11.000 m2 a démarré en 2013. Il devait être livré en 2015, mais il le sera finalement fin 2018-début 2019", rapporte Bruno Sire, ancien président de l'établissement qui a porté ce dossier, et actuel vice-président en charge du projet immobilier.

Le bâtiment abritera la Toulouse School of Economics, les écoles doctorales, quelques amphis et des centres de recherche. Côté ressources humaines, l'université avait déjà un certain nombre de compétences en interne, et a donc recruté sur la partie maîtrise d'ouvrage. Un ancien directeur du patrimoine de la Poste a été engagé et le service a été étoffé, à hauteur d'un tiers, selon l'ancien président.

UN LEVIER POUR LA STRATÉGIE GLOBALE

Au-delà de la maîtrise du patrimoine, la dévolution est considérée par chacun des trois établissements comme "un levier au service de sa stratégie globale d'enseignement et de recherche", avance la mission. D'ailleurs, "la dévolution, ou plutôt l'argent apporté au projet, a renforcé l'esprit d'appartenance", estime le vice-président de l'université d'Auvergne. "Cela a permis au niveau politique d'expliquer à tous nos doyens que nous étions une seule et même université. Ils ont compris que les économies réalisées aujourd'hui financeront les projets de rénovation de demain dans leur composante."

La dévolution, ou plutôt l'argent apporté au projet, a permis de renforcer l'esprit d'appartenance.
(O. Guinaldo) 

La dévolution a eu une autre vertu, selon le Toulousain Bruno Sire : l'élaboration d'un plan de développement jusqu'en 2036, dans une région où la population augmente de 18.000 habitants en moyenne par an. "Nous avons fait l'effort de savoir ce qu'on voulait faire à 25 ans. Il s'agit de lignes directrices, mais à dix ans déjà, on y voit assez clair, précise-t-il. Cela permet d'avoir une visibilité comme on en voit rarement, que ce soit dans la fonction publique ou dans le privé."

"L'État, qui agit dans le cadre d'une programmation pluriannuelle, ne pouvait pas s'engager à changer une toiture d'un amphi dans trois ans. Nous, nous le pouvons", souligne Bruno Sire, qui se félicite que "la gestion des fonds publics soit ainsi optimisée."

Université d'Auvergne - Clermont-Ferrand - Ecole Universitaire de Management 1 © Service Communication UdA - juin 2013

l'axe recherche restructuré

À Clermont-Ferrand, ville qui a vu sa population étudiante passer de 11.000 étudiants à 17.000 étudiants en moins de dix ans, il a fallu revoir la surface des salles, qui étaient soit des amphis trop grands soit des salles de travaux dirigés trop petites. "Les bâtiments ont été rénovés pour s'adapter à la réalité de la formation, avec de moins de moins de cours en amphi, comme cela est prévu dans le plan licence. Nous avons aussi créé une vingtaine de salles 'gradinées' de 40 places", énumère Olivier Guinaldo.

"L'axe immobilier a également permis de restructurer notre recherche, poursuit le vice-président clermontois. Par exemple, nous lançons un centre de recherche clinique, qui accueillera un gros laboratoire avec 12 équipes de recherche dispersées jusqu'ici sur différents campus. Un autre chantier regroupera toutes les équipes de recherche travaillant sur la bactériologie dans un bâtiment qui sera rénové. Notre maîtrise de l'immobilier sert notre schéma directeur scientifique."

DES RECETTES DE VALORISATION ET DE CESSION DÉCEVANTES

Loin de ces aspects positifs, le taux d'utilisation des locaux ne s'est pas amélioré, constate la mission. Un enjeu pourtant crucial pour les établissements, dans le contexte tendu des hausses d'effectifs étudiants. Si un léger progrès a été constaté à l'université de Poitiers, grâce notamment à la réduction des surfaces, le taux d'occupation reste faible : en 2015, il était de 46 % pour les trois universités, contre 72 % en moyenne, écrivent les inspecteurs.

Le taux d'occupation de l'université d'Auvergne a même diminué, passant de 85 % en 2011 à 82 % en 2015. "Notre souci est lié à la spécificité des enseignements : une salle qui accueille des cours de microbiologie en pharmacie ne peut servir qu'à cet usage. Du côté des amphis, où nous sommes plus libres, ils sont souvent mal situés dans l'agglomération et nous avons du mal à les louer. Sans compter que la ville est saturée de salles de location", justifie Olivier Guinaldo.

Si je voulais louer les bâtiments, je pourrais le faire tous les jours. Mais il y a des cours à assurer tous les jours, de 8 heures à 20 heures.
(B. Sire) 

De fait, les recettes de valorisation et de cession sont décevantes : elles se sont respectivement élevées à 75.000 euros et 420.000 euros en 2015 à Clermont-Ferrand. "Nous continuerons à essayer de louer", assure Olivier Guinaldo, mais le vice-président préfère mettre l'accent sur les "bénéfices cachés, comme de meilleurs résultats en recherche scientifique, que les inspections ne mettent pas en avant".

L'université Toulouse 1 quant à elle, dont le taux d'occupation est de 120 %, n'a pas de marges de manœuvre et n'est pas dans la situation de vendre des bâtiments, affirme Bruno Sire. En termes de valorisation, "nous sommes en plein centre-ville. Si je voulais louer les bâtiments, je pourrais le faire tous les jours. Mais nous avons des cours à assurer tous les jours, de 8 heures à 20 heures."

les DOTATIONS ESSENTIELLES de l'état

Et si c'était à refaire, les universités repartiraient-elles sur la voie de la dévolution ? Oui, sans hésiter, répondent en chœur les intéressés. Pour autant, la question de la dotation de l'État est centrale, pointent-ils, alors que la seconde vague de dévolution, qui doit être annoncée le 15 décembre 2016, ne prévoit pas que "l'éventuelle reprise de ce processus s'effectue selon les mêmes conditions financières", rappelle la mission.

Mission qui, par conséquent, ne formule pas de recommandations sur ce volet. "Nous avons été très satisfaits de notre dotation récurrente, et même un peu surpris du montant", déclare Olivier Guinaldo. Mais pour la prochaine vague sans dotation, très peu d'universités se lanceront !"

Bruno Sire ne partage pas tout à fait cet avis. "C'est évidemment la bonne méthode, je la conseille à tous mes collègues, car on ne peut pas élaborer une stratégie universitaire sans la maîtrise de son patrimoine." Mais l'ancien président préfère placer la balle dans le camp des universités. "Si je regarde mon budget consolidé [le budget immobilier est un budget à part], on peut évaluer à 5 % la proportion consacrée à l'investissement, la construction, le gros entretien. Les universités, surtout si elles ont des moyens plus importants que nous, doivent se débrouiller pour dégager 5 % de leur budget pour l'immobilier. À un moment donné, c'est une question de volonté politique de la part de l'établissement."

Deuxième vague de dévolution : 12 universités en lice
Au printemps 2016, 13 universités se sont portées candidates à la pleine propriété de leur patrimoine, dans le cadre d'une deuxième vague de dévolution. L'université de Lorraine a finalement renoncé, "les possibilités de cession et de valorisation [de son patrimoine] ne lui semblant pas suffisantes pour pallier l'absence de financement spécifique", relate le rapport IGF-IGAENR. Contrairement à la première vague, qui avait permis aux trois universités cibles de décrocher des dotations conséquentes, les prochains établissements retenus ne recevront pas d'aide financière de la part de l'État.

Globalement, la mission n'est pas favorable à l'idée d'un modèle unique de dévolution, "qui limiterait le nombre d'universités candidates", et imagine deux scénarios : "une dévolution progressive, limitée d'abord soit aux seuls bâtiments classés en bon état, soit à un ensemble cohérent de biens défini et pour lequel l'université a un projet de restructuration, ou une dévolution totale pour les universités qui sont en mesure de l'assumer financièrement ou techniquement."

Dans ce contexte, seules les universités de Bordeaux et d'Aix-Marseille pourraient prétendre à une dévolution totale dès 2017, note la mission. Enfin, cette dernière émet une dizaine de recommandations afin d'améliorer le dialogue entre les parties et les conditions techniques d'accès à la dévolution.

Les douze universités candidates à la deuxième vague

Établissements candidats en 2016 Étude de cas réalisée par la mission Avis de la mission
Insa Toulouse non non
Université de Tours oui Doute sur le pilotage
Université Rennes 1 non non
Université de Lorraine oui non (l'université s'est rétractée)
Université de Nice non non
Université Aix-Marseille oui Favorable dès 2017
Université Clermont-Ferrand 2 oui Incertain sur le plan financier
Université de Caen non non
Université de Dijon non non
Université de Limoges non non
Université de Bordeaux oui Favorable dès 2017
Université de Strasbourg oui Intérêt faible de l'établissement
Université Lyon 3 non non
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